Là aussi, le judaïsme va user de pédagogie, voire de psychologie. Les tragédies liées à la destruction du Beth Hamikdach suivent une logique applicable dans les faits : le début de malheur est le plus douloureux, le plus insoutenable.
Une semaine après l’illumination, l’éclat, le scintillement des flammes de ‘Hanouka, nous voici déjà de retour à une invitation à la réflexion.
Le jeûne du 10 Tévèt va nous interpeller : ce jeûne - le premier de l’année qui évoque la destruction du Beth Hamikdach - intervient en pleine période hivernale.
Avouons en passant que cette singularité n’est pas pour nous déplaire. Ce jeûne particulièrement court nous permettra de le vivre pleinement, avec une réflexion plus alerte que celle qui sature parfois lors des jeûnes plus longs.
Puisque nous aurons l’esprit vif pour méditer, questionnons-nous sur cet évènement. Sa signification, sa place, ses secrets, ses appels…
Le siège de Jérusalem
Bien des années avant le 10 Tévèt 3336, D.ieu avait averti Israël que le Temple et le peuple juif étaient en danger.
Les prophètes s’efforçaient de sermonner le peuple, invitant chacun à se reprendre. Mais ces appels furent - au mieux - tournés en dérision, voire considérés comme des vociférations de "mauvaise augure", ou – au pire – suivis de violences vis-à-vis de ces prophètes, pourtant bien inspirés.
Hélas, le 10 Tévèt 3336, Nabuchodonosor et ses armées assiégèrent Jérusalem.
Malgré cela, D.ieu, dans Sa grande miséricorde, attendit la Téchouva possible du ‘Am Israël. Le prophète Jérémie s’employa de toutes ses forces à alerter le peuple et provoquer un repentir. Mais la nation, loin de s’en émouvoir, envoya Jérémie en prison.
Après 30 mois, les murailles de Jérusalem furent brisées (le 17 Tamouz 3338) et le 9 Av suivant, le Beth Hamikdach fut détruit et le peuple juif exilé.
Il est rapporté dans le Talmud (Roch Hachana 31a) que la Présence divine qui pouvait se percevoir dans le cœur du Beth Hamikdach, s’est retirée par étapes, au fur et à mesures des tragédies annonciatrices d’une probable destruction du Temple.
Rabbi Yohanan cite ces étapes. Tout d’abord, La Chékhina s’éloigna du Kodech Hakodachim, sortit vers l’extérieur du Temple, rejoignit la ville de Jérusalem, le Mont des Oliviers, puis gagna le désert, pour finalement rejoindre les cieux.
Le message est clair. Le siège de Jérusalem le 10 Tévèt était un évènement de malheur, mais aussi de mise en garde. D.ieu, dans Sa miséricorde et Son amour infini pour le peuple juif, ne souhaite pas son malheur. Avec patience, D.ieu nous teste, nous attend…
Le 8 Tévet : la traduction de la Torah en grec
La singularité de ce jeûne est qu’il est bordé d’évènements qui indiquent que ce n’est pas uniquement une journée qui est rappelée avec douleur ; il s’agit plutôt d’une période. Du 8 au 10 Tévèt (voire plus tard) le ‘Am Israël a connu des moments difficiles.
Le 8 Tévèt 3515, l’empereur gréco-égyptien Ptolémée emprisonna 72 Sages dans des cellules différentes, leur demandant de traduire la Torah en grec. Par miracle, leurs 72 versions furent identiques.
Mais nos Sages ont tout de même jugé que cette traduction était une tragédie. Une forme de dénaturation du texte divin, certains n’hésitaient pas à parler d’entreprise aussi néfaste que la fabrication du Veau d’or.
Mais à y réfléchir, pourquoi cette traduction semblait-elle si catastrophique ?
L’accès à la compréhension du message divin qu’est la Torah ne pourrait-il pas constituer un atout ?
En réalité, la volonté de cet empereur grec était totalement perverse. Il souhaitait vulgariser la Torah, la vider de son sens sacré et l’intégrer à une littérature grecque des plus ordinaires.
Le 9 Tévet : décès d’'Ezra Hassofer
Le 9 Tévet de l’an 3448, 'Ezra Hassofer (le Scribe) quitta ce monde. Ce dirigeant hors-norme conduisit le peuple juif vers Israël après l’exil de Babylone, exil consécutif à la destruction du Premier Temple.
Si son décès fut si douloureux, c’est qu’il fut un leader particulièrement entreprenant et audacieux, dans le bon sens du terme.
Il prit l’initiative de construire le Deuxième Temple. Il restaura une pureté de mœurs au sein du peuple juif, durement malmenée à cette époque. Il créa la Grande Assemblée et compila la Bible (Tanakh) en 24 livres. Il instaura en outre avec courage des lois pratiques et souvent révolutionnaires qui régissent, depuis, le judaïsme tel que nous le pratiquons.
Malheurs et évocations contemporains
C’est donc un moment plutôt austère que ce début du mois de Tévèt. Mais nos Sages ne souhaitaient pas instaurer 3 jours de jeûne consécutifs ! Alors, ils se sont accordés pour fixer la date du jeûne au 10 Tévèt. D’autant que le Tanakh rapporte que D.ieu apparut en rêve au prophète Yé’hezkiel pour lui demander d’inscrire le 10 Tévèt comme jour de commémoration du siège de Jérusalem.
Vendredi aussi !
La question revient souvent. Pourquoi le jeûne du 10 Tévèt est-il observé même s’il tombe un vendredi (c’est le cas cette année 5784), alors que tous les autres jeûnes sont repoussés s’ils tombent vendredi ?
Là aussi, le judaïsme va user de pédagogie, voire de psychologie. Les tragédies liées à la destruction du Beth Hamikdach suivent une logique applicable dans les faits : le début de malheur est le plus douloureux, le plus insoutenable.
De ce principe, découlent des lois de comportement pratiques. En particulier le jour de Ticha’ Béav. La chronologie nous apprend que le Temple a commencé à brûler le 9 Av, mais a brulé toute la journée du 10 Av. Pourquoi dès lors ne pas jeûner le 10 Av ? Parce que, comme énoncé, le début, le déclenchement du malheur, est le plus pénible.
De même le 9 Av : plus la journée avance, plus les lois de deuil s’assouplissent.
Dans cet esprit, comme nous l’avons dit au début, le 10 Tévèt est bien le premier évènement qui, chronologiquement parlant, déclenche les différentes étapes malheureuses qui amèneront à la destruction du Beth Hamikdach.
Ce jour porte donc une gravité particulière, la rigueur et la pénibilité du commencement du malheur.
Voilà pourquoi le 10 Tévèt ne porte pas ce traitement de faveur, permettant de remettre le jeûne à plus tard.
Mais j’évoquai plus haut la pédagogie et la psychologie de la Torah. Ce principe de la douleur du début du malheur doit nous inspirer espoir et approche positive. Le parcours crescendo qui part du bas pour se diriger vers le haut, du moins bon vers le meilleur, doit en effet nous rassurer.
L’année 5784 n’a pas débutée de la meilleure manière. Et (curieusement !) cette année 5784, le jeûne du 10 Tévèt tombe un vendredi. Et si nous nous permettions d’y voir ce signe nous indiquer que le début, avec ses douleurs et ses rigueurs, est terminé, et que l’année et l’avenir s’acheminent vers la douceur et la Guéoula !
Arié Lévy