On a l’obligation de rendre visite à son Rav pendant le Yom Tov. Rabbi Moché Turk, un célèbre Rav engagé dans la diffusion de la Torah à Bné Brak, rendit visite au Machguia’h de Poniowitz, Rav ‘Hatskel Lévinstein, la veille du septième jour de Pessa’h. Il frappa à la porte, mais personne ne répondit, il plaça son oreille sur la porte et entendit le son d’un chant émouvant, exprimant des remerciements à Hachem. Il prit son courage à deux mains et entrouvrit légèrement la porte, augmentant ainsi le volume du chant. Il l’ouvrit encore et la scène qui s’offrit à ses yeux l’ébahit. La lourde table de la salle à manger avait été déplacée sur le côté, touchant l’étagère des livres de Kodech. Les chaises étaient disposées en deux rangs, les unes en face des autres, créant deux murs. Le vénérable Machguia’h courait entre les deux, son visage tourné vers le haut et les yeux fermés, et il chantait le cantique de la mer, Az Yachir, avec une profonde émotion et une ferveur ardente, priant de tout cœur à Hachem.
Rav Moché entra discrètement dans la pièce et ferma la porte derrière lui. Il était captivé par cette scène vibrante. Ses yeux suivaient chaque pas de son Rabbi. Chaque mot était chanté avec emphase et nostalgie, jusqu’aux derniers mots, exprimant le souhait fervent que D.ieu règne pour toute éternité.
Le Machguia’h s’arrêta alors et ouvrit les yeux. Il quitta la scène où une servante avait vu ce qui n’avait pas été révélé aux plus illustres prophètes, où de jeunes enfants avaient déclaré : « C’est mon D.ieu et je Lui construirai un sanctuaire », où tous les enfants d’Israël avaient entonné un chant prophétique analogue à la Chira, au cantique qui sera chanté à l’avenir lors de la Délivrance. On aurait dit qu’il était revenu d’un lieu lointain, des milliers d’années plus tôt, de retour dans son modeste appartement à Bné Brak. Il ne fut pas plus surpris de voir son visiteur que de retrouver les meubles de sa maison.
« Ah gutten moed, Moadim Lésim’ha », dit-il à son élève. Dans le but d’accueillir son invité comme on accueille la Chékhina (Présence divine), le Machguia’h entreprit de remettre chaque meuble à sa place et son élève se pressa de l’aider. Tout était désormais en place et Rav ‘Hatskel s’expliqua : « C’est la veille du dernier jour de Pessa’h, le moment de la Kriat Yam Souf, l’ouverture de la Mer des joncs. Il y a six jours, nous avons quitté l’Egypte et nous l’avons vécu par la consommation de Matsa, de Maror et le récit de la sortie d’Egypte en nous accoudant à table. En ce moment, les Egyptiens nous poursuivent et nous tentons de nous échapper. Vers où ? Vers la mer. Une nuée fait la séparation entre nous et nos poursuivants. Dans peu de temps, la nuit va tomber et une nuée de feu émergera devant nous pour nous éclairer le chemin. Un vent fort en provenance de l’est va souffler. Nous allons bientôt atteindre la mer, qui se divisera en douze canaux. Nous la traverserons ensuite à pied sec, et le matin, nous entonnerons un cantique de remerciement. Nous devons vivre ces événements et les ressentir ! » conclut le Machguia’h.
Il n’est pas étonnant qu’après le décès du Rav ‘Hatskel, Rav Chlomo Wolbe ait dit de lui : « Avec sa mort, nous avons perdu le dernier des Yotsé Mitsrayim, ceux qui sont sortis d’Egypte. »
Nous sommes loin du niveau du Machguia’h, de sa faculté à se transporter littéralement sur les rives de la Yam Souf. Une telle Emouna et la capacité de ressentir les événements nécessitent toute une vie de travail. Mais sans posséder ce niveau, nous sommes tenus de considérer que nous avons quitté l’Egypte. Mais pourquoi évoquer ce sujet maintenant, alors que Pessa’h est fini ? Car nous sommes encore dans le processus de la Guéoula, la Délivrance.
Le soir de Pessa’h, nous buvons quatre coupes de vin, chacun d’entre elles correspondant à un stade différent de la Guéoula. « Véhotséti » représente la fin du dur labeur par le début des plaies. « Véhitsalti » désigne le moment de quitter l’Egypte. « Végoalti » signifie le moment où Hachem nous a sauvés des griffes des Egyptiens à la Kriat Yam Souf. Vient ensuite le sommet de la rédemption : « Vélaka’hti » lors de la révélation au Mont Sinaï, le don de la Torah à Chavouot. Nous espérons avoir d’une certaine façon vécu les trois premiers stades de la Guéoula par le biais des Mitsvot de Matsa, Maror et du récit de la sortie d’Egypte. Mais nous sommes uniquement au début du périple, car le but principal de ces trois étapes est la Kabalat Hatorah, le don de la Torah. Et ce moment a nécessité d’intenses préparatifs. Il a fallu passer par la faim et la soif, une bataille contre Amalek dans le désert et un appui total sur Hachem. La consommation de la manne et de l’eau extraite du puits de Miriam les ont également purifiés avant de pouvoir accepter la Torah.
Bien que nous n’ayons pas de Séder spécial pour vivre ces événements à notre époque, nous avons reçu ces jours précieux où nous comptons le Omer pour nous préparer à cet événement grandiose. Le problème est qu’en-dehors de la Mitsva de compter chaque jour, il n’y a pas d’autre Mitsva réelle pour nous aider à entrevoir le sens de cette période. Pour un grand nombre d’entre nous, les jours du Omer se résument à demander à notre ami le jour compté la veille au soir, s’abstenir d’écouter de la musique en prenant le deuil pour les élèves de Rabbi Akiva, profiter enfin le jour de Lag Baomer d’écouter de la musique, puis attendre avec impatience les dernières recettes lactées pour Chavouot.
Sur cette période, la Torah dit : « Ouséfartem Lakhem - et vous compterez pour vous…Sept semaines pleines » (Vayikra 23 :15). Pourquoi la Torah nous demande-t-elle de compter « pour nous » ? Cela semble superflu (Voir Ména’hot 65b). D’après le Ktav Véhakabala, cela nous enseigne que le décompte de ces semaines ne doit pas être effectué simplement pour connaître le nombre de jours et de semaines qui nous séparent de Chavouot. Il doit être plutôt Lakhem, à vous : intégrer ce jour afin de nous changer et de nous améliorer dans chaque aspect de notre vie. Le « pour vous » est analogue à ce que Hachem a dit à Avraham Avinou : « Lekh Lékha…Va pour toi » (Béréchit 12:1). Ce décompte nous est destiné, il doit nous purifier et nous aider à devenir de meilleurs Juifs.
Il existe un débat entre les Richonim sur la Mitsva de compter le Omer de nos jours, pour savoir s’il s’agit d’une Mitsva Doraïta (de la Torah) ou Dérabbanane (de nos Sages). Le Ran, à la fin du traité de Pessa’him, cite un Midrach affirmant qu’il s’agit d’une Mitsva des Sages. « Lorsque Moché Rabbénou a rapporté aux Juifs les propos de Hachem : « quand tu auras fait sortir ce peuple de l'Égypte, vous adorerez le Seigneur sur cette montagne même. » (Chémot 3 :12), les Juifs lui demandèrent : « Quand ce moment aura-t-il lieu ? » Moché répondit : « Au bout de cinquante jours. » Et chaque Juif a compté chaque jour. De là, nos Sages ont institué la Mitsva de compter le Omer, même de nos jours, alors que nous n’apportons pas le Min’hat Omer, l’offrande du Omer à Pessa’h.
C’est remarquable. Chaque année, le Juif ressentait le besoin de servir Hachem au Mont Sinaï, au point que sans en avoir reçu l’ordre, chaque individu, mû par sa propre volonté, comptait les jours jusqu’au don de la Torah, attendant avec impatience cet événement mémorable.
Nous avons réuni les deux aspects de cette période de Sfira : la préparation et l’anticipation. Mais comment nous préparer et anticiper ce moment-là, si nous ne ressentons pas ce désir naturel d’arriver à Chavouot ?
En réalité, ces deux points sont liés. Plus nous nous préparons à un événement, plus nous ressentons son importance. C’est vrai dans tous les domaines, mais encore plus dans le domaine de la spiritualité. Revenons à la Haggada pour en juger.
Que dit l’enfant sage ? Quels sont ces témoignages, ces statuts et ces lois que Hachem, notre D.ieu, vous a ordonnés ? » Il semblerait, d’après la question, que le fils soit ignorant en matière de Mitsvot. Si c’est le cas, pourquoi est-il nommé ‘Hakham, sage ? Nous trouvons une question semblable lorsqu’il est dit dans la Torah : « d’autres esprits industrieux que j’ai doués d’habileté. » (Chémot 31,6). De quelle manière cette personne était-elle habile avant de recevoir sa sagesse de Hachem ? De même, il est dit : « Il donne la sagesse aux sages… » (Daniel 2 :21). En quoi la personne était-elle sage avant que Hachem lui confère la sagesse ?
Une réponse simple : « Le principe de la sagesse, c’est la crainte de Hachem » (Psaumes 111:10). Avant même d’avoir acquis des connaissances en Torah, on peut être imprégné de crainte du Ciel, qui est un conduit pour la ‘Hokhmat Hatorah, la sagesse de la Torah, car si l’on craint D.ieu, on sera naturellement enclin à se renseigner sur ce que Hachem désire de notre part. »
Autre réponse : avant que l’homme acquière la ‘Hokhma, il doit d’abord posséder un cœur susceptible de devenir un réceptacle pour la Torah. Tout comme la terre doit être cultivée avant que des fruits y poussent, de même, le cœur doit être préparé pour absorber la Torah. Puisque la Torah est la parole de Hachem et est de nature spirituelle, elle ne peut se développer que dans un cœur qui n’est pas gâté par les plaisirs matériels et la pensée des poursuites terrestres. Un homme qui n’y voit aucun intérêt est nommé ‘Hakham Lev et a une inclination naturelle pour la sagesse. Une telle personne bénéficie d’une aide divine lorsque Hachem lui confère la sagesse. « Il donne la sagesse aux sages… » se réfère aux hommes suffisamment avisés pour savoir que le cœur et l’esprit sont des territoires sacrés et leur valeur réelle dépend de ce que nous y implantons.
Tout homme de Yéchiva sait que l’un des plus illustres maîtres juifs de l’histoire est Rav Arié Leib Hacohen Shain, dont les trois œuvres maîtresses, Kétsot Ha’hochen, Avné Milouim et Chev Chmatata sont les ouvrages fondamentaux de l’étude des Sédarim Nachim et Nézikin. Le ‘Hazon Ich s’est exprimé sur ce géant en Torah : « Il m’apparait clairement qu’afin de rédiger le Kétsot, Rav Arié Leib n’avait certainement aucun goût pour un morceau de Kougel. » Cela peut sembler novateur pour notre génération caractérisée par une grande abondance matérielle, mais les générations précédentes vivaient de cette manière. Ils vivaient une vie de Pachtout, de simplicité, qui était très propice à l’acquisition de la ‘Hokhma et de la sainteté.
Chaque jour, lorsque nous récitons la Birkat Hatorah, nous implorons Hachem : « Véhaarev Na…De grâce, Hachem, notre D.ieu, adoucis les paroles de Ta Torah dans la bouche de Ton peuple Israël. » Le Rebbe de Skulin, Rav Israël Avraham Portugal, s’interroge : pourquoi devons-nous demander à Hachem d’adoucir la Torah pour nous, alors qu’elle est naturellement douce et délicieuse ? A-t-on besoin d’une aide particulière pour profiter d’une boule de glace savoureuse, qui est naturellement délicieuse ? Quelle est la nécessité de cette prière particulière pour la Torah ?
Le Rabbi répond que la glace est naturellement sucrée lorsque nos papilles fonctionnent convenablement. Si l’on vient de manger des piments, des oignons et de l’ail, ces goûts restent prédominants dans la bouche, et on ne peut pas vraiment apprécier la douceur de la meilleure des glaces. De même, notre indulgence pour les divers goûts du Olam Hazé compromettent nos papilles spirituelles et notre faculté à apprécier la douceur réelle de la Torah. Nous adressons donc une prière à Hachem afin qu’Il nous confère une aide divine particulière pour surmonter cette faiblesse et vivre un réel plaisir dans la Torah.
C’est l’attribut du fils sage. Il n’a pas encore appris les diverses Mitsvot de la Torah, mais il en est déjà à la recherche, au questionnement et s’interroge de manière intelligente. « Quels sont ces témoignages, ces statuts et ces lois que Hachem, notre D.ieu, vous a ordonnés ? » Il est déjà capable d’articuler et de catégoriser sa soif pour la parole divine. Cela provient d’un ‘Hakham Lev, d’un cœur imprégné de crainte divine et peu séduit par les autres intérêts qui le détourneraient de son objectif. Ce cœur pourra absorber et générer beaucoup de ‘Hokhma.
Le ‘Hafets ‘Haïm répétait souvent que notre désir est de réaliser la volonté de Hachem. Pourquoi est-il alors si difficile d’atteindre cet objectif ? Car nous avons d’autres attraits qui entrent en concurrence avec la motivation de plaire à Hachem. Plus nous mettons un frein à ces autres caprices, plus il est facile de réaliser notre désir profond.
C’est l’une des facettes de notre service divin pendant cette période où nous nous préparons au don de la Torah. Le premier soir de Pessa’h, nous avons vécu la Guéoula en mangeant de la Matsa, une nourriture simple, un symbole de Pachtout, et un éloignement du matérialisme. A cette période, les Juifs dans le désert sont isolés de toute autre société et éloignés de la matérialité afin de développer une appréciation pour la spiritualité. « Oui, il t'a fait souffrir et endurer la faim, puis il t'a nourri avec cette manne » (Dévarim 8,3). Après nous avoir éloignés du matérialisme, Hachem nous a nourris par le pain des anges, qui nous a purifiés et préparés à recevoir la Torah.
A cette époque, lorsque nous revivons l’expérience de la Guéoula, nous devons également repenser notre attachement au Olam Hazé, à ce monde-ci, à la manière dont nous pouvons nous en détacher d’une certaine manière, car en réduisant la part du matérialisme dans notre existence, nos esprits deviennent plus limpides et nos cœurs plus concentrés sur la Parole de D.ieu. Si nous pouvons nous atteler à la tâche afin que notre but principal soit de plaire à Hachem, alors notre décompte des jours du Omer sera effectué avec le souhait sincère d’arriver au jour tant désiré, le Matan Torah, le don de la Torah.
Rabbi Yitzchok Tzvi Schwarz pour Yated, traduit par Torah-Box