L’une des principales caractéristiques de Chavou'ot est l’habitude qu’ont les hommes de veiller toute la nuit pour étudier la Torah. Le Maguen Avraham explique la raison de ce Minhag (coutume) ; ‘Hazal affirment que les Bné Israël dormirent la nuit précédant le Don de la ToraH et qu’Hachem dut les réveiller pour qu’ils la reçoivent.
C’est pourquoi nous restons éveillés pour rectifier l’erreur de nos ancêtres.[1] Le Arizal garantit que celui qui veille pour étudier la Torah la nuit de Chavou'ot passera une année sereine et ne connaîtra aucun mal[2].
Comment comprendre que de si grands hommes s’endormirent à un moment aussi crucial ?[3] Nous savons qu’ils souhaitaient ardemment recevoir la Torah, puisqu’ils acceptèrent d’en respecter les lois avant même de les connaître ! Alors pourquoi se montrèrent-ils si peu enthousiastes, la nuit précédant Matan Torah ?!
Il nous faut également comprendre pourquoi le fait de rester éveillés rectifie leur erreur.
Les commentateurs expliquent que les Bné Israël allèrent délibérément dormir cette nuit-là ; ils pensaient qu’ils parviendraient mieux à se lier à Hachem dans leur sommeil.
Nous avons pour principe qu’à chaque fois que d’importants personnages ont trébuché et commis une « faute », ils avaient des raisons apparemment valables d’agir de la sorte. Pourtant, la transgression finale montre bien que le Yétser Hara les a induits en erreur.[4] Quelle était cette motivation sous-jacente qui les entraîna à dormir en cette nuit décisive ?
Le peuple juif voulait sincèrement recevoir la Torah, comme l’indique sa déclaration « Na'assé Vénichma' » (Nous ferons puis nous comprendrons). Cependant, il ressentait peut-être encore un certain malaise, une indécision subtile. Il réalisa que le fait d’accepter la Torah impliquait plusieurs obligations et responsabilités. La vie d'un Juif pratiquant est certes celle qui procure le plus de satisfaction, elle demande néanmoins de nombreux efforts et un travail sur soi. C’est pourquoi un individu peut être tenté d’« échapper » à ces défis de diverses manières, entre autres, par le sommeil.[5]
Ainsi, les gens qui souffrent ou qui traversent des moments difficiles ont tendance à vouloir dormir plus que nécessaire. C’est une façon de manifester leur volonté d’échapper à leurs épreuves.
Ainsi, le peuple juif appréhendait peut-être la nouvelle responsabilité qui allait bientôt lui échoir. Donc les Bné Israël tentèrent inconsciemment d’« échapper » au caractère « décourageant » de Matan Torah. Leur échappatoire fut le sommeil.
Le Minhag de rester réveillé toute la nuit à étudier la Torah vient « rectifier » cette faille subtile. Cela prouve que nous désirons faire face aux responsabilités qui accompagnent l’observance de la Torah. Nous réalisons que bien que cette tâche ne soit pas facile, le respect de la Torah est la voie la plus valorisante. Le fait d’éviter les défis n’assure pas de réelle satisfaction, ce n’est qu’en les affrontant que l’on peut vraiment se sentir épanoui.
Le rav Noa’h Weinberg zatsal répétait souvent à ses disciples que rien ne s’acquiert sans difficulté. Chaque expérience importante implique inévitablement de gros efforts ainsi qu’un sacrifice personnel.
C’est particulièrement le cas de l’étude et du respect de la Torah ; les plus grands génies échouèrent dans leur étude de la Torah s’ils n’étaient pas disposés à fournir de considérables efforts pour comprendre la profondeur de la Torah. Seuls ceux qui étaient prêts à se surmener et qui exigeaient beaucoup d’eux-mêmes connurent le véritable plaisir de l’étude de la Torah et s’élevèrent à de très hauts niveaux.
Certaines personnes s’opposent à la coutume de rester éveillé toute la nuit à étudier la Torah. Ils estiment que l’on étudie moins en veillant toute une nuit qu’en gardant un rythme habituel de sommeil.
Statistiquement, cet argument paraît logique et correct. Ceux qui ne dorment pas la nuit de Chavou'ot se reposent habituellement durant quelques heures la veille de Yom Tov, puis récupèrent après Cha’harit (la prière du matin) et souvent, ils se reposent encore un peu après le repas de midi !
Toutefois, le rav Its’hak Berkovits chlita souligne l’erreur de ce raisonnement ; si l’objectif de cette soirée était d’étudier le plus possible, cette preuve aurait été justifiée ; il aurait été plus sensé de dormir normalement pendant la nuit et de plus étudier en journée. Mais là n’est pas le but de la veillée de Chavou'ot. Comme nous l’avons vu, elle doit servir à nous préparer à faire face aux défis que la Torah présente. En sacrifiant le sommeil de cette nuit, nous montrons que nous ne souhaitons pas « échapper », mais plutôt que nous reconnaissons que la seule manière de mener une vie pleine de sens est d’affronter les difficultés et de les surmonter.
Puissions-nous tous mériter de recevoir la Torah avec joie, empressement et soumission.
[1] Maguen Avraham, Ora’h ‘Haïm, siman 494.
[2] Michna Beroura, siman 494, s.k. 1.
[3] Cette génération est appelée Dor Déa, « la génération du savoir », du fait du niveau extrêmement élevé qu’ils avaient atteint.
[4] Les commentateurs adoptent cette approche concernant les fautes comme celle d’Adam qui consomma du fruit interdit, celle du Veau d’Or ou encore celle des explorateurs.
[5] ‘Hazal affirment qu’une personne endormie se situe à un soixantième de la mort, état dans lequel on ne peut plus affronter aucun challenge.