Un jour, Rabbi Zoucha reçut un hôte dans son humble demeure qu’il avait invité à partager son repas. Son invité était fort surpris par les conditions de pauvreté matérielle dans lesquelles vivait ce si grand Rav. Il était surpris par l’état de sa maison, par les meubles qui la composaient, et même par les couverts et les assiettes très modestes dans lesquels le Rav prenait ses repas. Rabbi Zoucha remarqua que son invité était particulièrement absorbé dans ses réflexions, et qu’il regardait avec insistance l’assiette dans laquelle son plat était servi. Aussi, il s’empressa de lui préciser :
« Écoute, je ne veux surtout pas que tu transgresses le commandement de ne pas « envier » son prochain. Si vraiment cette assiette te plaît, je te l’offre avec grand plaisir ! »
La Paracha Chofetim s’insère pleinement dans le projet du livre de Dévarim, faire une synthèse des enseignements énoncés précédemment par Moché Rabbénou et préparer le peuple à son entrée et son installation dans la terre d’Israël.
Notre Paracha insiste tout particulièrement dans son ouverture sur la nécessité d’établir dans chaque ville et pour chaque tribu des juges et de veiller au bon fonctionnement des institutions judiciaires. Le texte de la Torah met ainsi en garde les juges contre une justice corrompue, et elle exhorte le peuple à toujours se soumettre à l’autorité des tribunaux rabbiniques, quelles que soient les époques.
Par ailleurs, notre Paracha revient sur différents principes que nous avions vus précédemment, notamment celui des prélèvements à offrir au Cohen, ou encore celui des villes de refuge pour les meurtriers involontaires.
Certains versets de notre Paracha reviennent également sur l’interdiction d’avoir recours à la sorcellerie, à la nécromancie, ainsi qu’à l’évocation des esprits. Et immédiatement après ces versets, la Torah énonce un principe général relatif à l’attitude que chaque Juif doit rechercher face à Hachem, un verset court mais décisif (chapitre 18, verset 13) : « Reste entièrement avec l'Éternel, ton Dieu! » (« Tamim tiyie im Hachem E-lo-kekha »).
Rachi nous propose le commentaire suivant :
Intègre, tu seras avec Hachem, ton Élokim : Marche avec Lui avec intégrité, aie confiance en Lui, et ne scrute pas l’avenir. Mais accepte avec intégrité tout ce qui t’advient, et alors tu seras avec Lui et tu seras Sa part.
Ce verset, assez simple à première lecture, suscite un commentaire nourri de Rachi et qui peut se décomposer en différentes facettes.
Rachi fait tout d’abord un lien avec les versets qui précédent et qui évoquaient l’interdiction d’avoir recours à la sorcellerie ou à toute autre pratique similaire. En effet, ce qui peut amener l’homme à s’intéresser à ces pratiques, c’est bien souvent une inquiétude quant à l’avenir, une préoccupation sur ce qui peut arriver et l’incapacité à décider par lui-même de la bonne voie à suivre. L’homme est ainsi amené à faire des projections, des conjectures sur le futur afin d’anticiper et de calculer les probabilités que telle ou telle situation survienne. Ce faisant, l’homme s’éloigne, D.ieu préserve, de son Créateur dans la mesure il se perçoit comme en proie soit à une fatalité, soit à un déterminisme inexorable auquel nul ne peut rien.
C’est oublier, bien sûr, qu’il est un Maître du monde qui oriente la vie de chacun pour le bien, qui veille sur chacun, et qui n’abandonne jamais Ses enfants aux mains du hasard et des coïncidences. Au lieu d’avoir recours à des hommes qui ne sont d’aucun secours, Rachi nous rappelle que nous avons le privilège de pouvoir nous adresser simplement au Créateur du monde qui peut tout.
C’est précisément cette simplicité du rapport à D.ieu que Rachi nous invite à méditer et à retrouver. L’homme a parfois tendance à se perdre dans des abîmes de réflexions et de calculs, soit par ignorance de la Torah, soit par une volonté de percer les mystères de la Providence divine et de vouloir comprendre des éléments qui échappent radicalement à l’esprit humain.
Pour atteindre cette simplicité, l’homme doit être « Tam » nous dit la Torah, non pas dans le sens d’une simplicité d’esprit, mais plutôt dans le sens d’une innocence et d’une pureté. L’homme doit s’efforcer de remettre sa confiance en D.ieu, de mettre en suspens sa propre logique et ses calculs, et d’essayer simplement de faire la volonté de D.ieu et de marcher auprès de Lui comme nous y invite Rachi.
Il est intéressant de constater que Rabbi Nahman de Breslev a choisi de commencer son fameux livre Likouté Moharan en commentant précisément cette notion de simplicité et d’intégrité, de « Temimout ». Rabbi Nahman s’appuie notamment sur le premier verset du long psaume 119 qui énonce « Heureux ceux dont la voie est intègre (Temimé Dérèkh), qui suivent la Loi de l’Éternel » ayant recours à cette notion de « Temimout ». Rabbi Nahman analyse également cette simplicité comme la capacité de l’homme à conserver la pureté originelle de sa Néchama, à ne pas se perdre dans des calculs personnels mais simplement à vivre près d’Hachem. Cette simplicité désigne finalement une faculté à rester soi-même, dans toute son authenticité et sa pureté.
Si nous voulons donner une image de l’horizon vers lequel nous devons tendre, nous pourrions peut-être observer la Émouna des enfants. Ces derniers ne connaissent pas le doute, le cynisme, ou le pessimisme, ils incarnent l’innocence et ont une confiance absolue dans la vie et dans la Providence divine, que l’on aurait tort de confondre avec de la naïveté. Lorsqu’on leur parle d’une Mistva ou d’une bonne disposition d’esprit ou de cœur, ils souhaitent immédiatement l’acquérir et ils questionnent les adultes pour savoir comment y parvenir concrètement.
À l’approche de Roch Hachana, et dans ce mois de la Téchouva, ce n’est pas un hasard si nous lisons ce verset qui nous invite donc à retrouver notre simplicité et notre pureté originelles, et peut-être, à coïncider à nouveau avec la pureté de la Néchama que nous avions lorsque nous étions enfants. Nous devons aspirer de tout notre cœur à la retrouver et Hachem nous y aidera sans aucun doute, conformément à ce que nos Sages nous enseignent « Celui qui veut se purifier, la Providence le purifie ».
Depuis notre naissance, notre âme est reliée à la même source près de D.ieu, elle y puise sa force et son énergie vitale, même si parfois nos fautes obstruent plus ou moins la communication. Il nous appartient donc d’éliminer tous les obstacles afin de nous engager dans un retour près d’Hachem authentique et porteur de bénédictions. Ce travail peut paraître compliqué, mais il est en réalité à la portée de tous, il suppose bien sûr l’étude de la Torah et la pratique des Mitsvot, chacun à son niveau, mais il requiert avant toute une volonté fermement chevillée au corps d’y parvenir et le désir de retrouver la grandeur spirituelle qui nous est promise depuis notre naissance. Puisse Hachem nous aider à trouver la force et la lucidité pour accomplir ce travail d’un cœur pur et entier !
Concluons sur une autre anecdote à propos de Rabbi Zousha d’Anapoli. Ce grand Tsadik, comme nous l’avons vu plus haut, surprenait tous ses visiteurs par sa gentillesse et sa gaieté, en dépit de sa très grande pauvreté. Un de ses visiteurs l’interrogea un jour et lui dit « Mais comment pouvez-vous être aussi gai alors que votre famille vit dans une telle pauvreté ? » Reb Zousha lui répondit « Comment peuvent-ils être heureux ? C’est très simple. Ils mettent leur confiance dans un « être simple » comme moi, mais moi, je mets ma confiance dans la Toute Puissance de D.ieu ».