« Ils affirmèrent trois choses : puisse l'honneur de ton prochain t'être aussi cher que le tien ; ne te mets pas facilement en colère, repens-toi la veille de ta mort et réchauffe-toi au feu des Sages… »

QUESTIONS

  1. Est-ce qu'il ne mentionna que ces trois choses ?
  2. On dit que Rabbi Eliézer mentionna trois points, mais il semblerait qu'il en relève quatre.
  3. Les clauses sur l'honneur et la colère sont-elles liées ?
  4. Que signifie l'honneur dans ce contexte ?
  5. L'honneur n'est-il pas à bannir ?

La Michna nous enseigne que Rabbi Eliézer mentionnait trois enseignements particuliers. D'après Rabbénou Yona, cela ne signifie pas qu'il ne mentionna que ces trois choses, mais qu'il s'agissait plutôt de thèmes centraux sur lesquels il insistait et qu'il répétait fréquemment.

Or, nous avons un problème pour définir ces trois points auxquels la Michna fait référence, sachant qu'à première vue, on en relève quatre : honorer notre ami tout comme on s'honore soi-même ; tarder à se mettre en colère ; se repentir la veille de la mort ; et une série d'enseignements sur la manière de traiter les Talmidé 'Hakhamim. Les commentateurs[1] répondent que les deux premières leçons – honore ton ami comme toi-même et ne cède pas facilement à la colère – sont une seule et même leçon. Ils expliquent que Rabbi Eliézer enseigne qu'afin de pouvoir honorer autrui, il faut éviter de se mettre facilement en colère, car lorsqu'un homme est en colère, il risque bien plus de traiter son prochain de manière irrespectueuse. De la même façon, une condition préalable pour traiter autrui honorablement est de maintenir le calme et d'éviter la colère.

Dans la première clause sur l'honneur à accorder aux autres, nous considérons, en général, que les honneurs sont à éviter. Dans cette optique, Rav Yéhouda Leib Steinman avait l'usage de souligner que lorsqu'un individu est récompensé par des honneurs dans ce monde-ci, il perd la récompense qu'il aurait acquise dans le monde futur. En conséquence, Rav Steinman avait l'usage de mépriser toute marque d'honneur qu'on voulait lui accorder.

Or, ici la Michna assume qu'une personne s'attend à être honorée et qu'elle doit accorder le même genre d'honneur aux autres. L'honneur est-il positif ou non ? Pour répondre simplement, la Michna n'encourage pas les hommes à poursuivre les honneurs, mais à reconnaître la réalité, à savoir que l'on s'attend généralement à être traité de manière honorable. Dans ce cas, on doit traiter les autres avec le même honneur qu'on attend pour soi-même.

Or, à un niveau plus profond, il semble que le Kavod ne soit pas toujours perçu négativement par nos Sages. Par exemple, une autre Michna dans Avot dit : « Qui est Mékhoubad (honoré) ? Celui qui honore les autres. »[2] Cette Michna semble considérer l'honneur sous un jour positif.

Il existe donc deux sortes de Kavod. La forme négative de Kavod est l'honneur accordé à une personne, qu'elle le mérite ou non. Un tel Kavod n'est pas le reflet de son réel niveau spirituel réel, comme l'indique le fait que dans le vaste monde, on accorde une incroyable déférence à des hommes d'un niveau spirituel très bas, qui sont adulés pour des qualités futiles.[3] C'est à ce type de Kavod que le Rav Steinman faisait référence, estimant qu'il risquait de porter atteinte à la récompense ultime de l'homme.

Afin de déterminer une forme valable de Kavod, analysons le sens de la racine du terme Kavod, qui vient du terme Kaved, signifiant lourd. Quelle est la relation entre ces deux idées apparemment disparates ? Rav Noa'h Weinberg explique que lorsque quelque chose est lourd, cela signifie qu'il a une véritable valeur et a du sens. En conséquence, une personne "Mékhoubad" est quelqu'un qui mène une vie chargée de sens.

Nous pouvons suggérer qu'il est acceptable qu'une personne aspire à obtenir du Kavod au sens où elle désire accéder à une haute stature spirituelle. Et la Michna nous enseigne que l'on doit traiter notre prochain de la même manière et lui accorder une certaine valeur spirituelle. C'est même le cas si la personne n'est pas dotée d'un niveau spirituel élevé. En effet, chaque être humain a une valeur intrinsèque, du fait qu'il est conçu à l'image de D.ieu.

L'histoire suivante illustre à quel point on est tenu d'honorer tout un chacun. Rav Isser Zalman Meltzer était chez lui, entouré de certains de ses élèves. L'un d'eux regarda par la fenêtre et aperçut un homme approcher de la maison et qui ressemblait à l'illustre Rav de Brisk, Rabbi Its'hak Zéev Solovetchik. L'élève avertit le Rav Meltzer qui revêtit rapidement ses vêtements de Chabbath en l'honneur de ce visiteur distingué. Puis il se précipita dehors pour accueillir le Rav. En s'approchant de lui, il s'avéra qu'il ne s'agissait pas du Rav de Brisk, mais plutôt d'un simple Juif qui lui ressemblait. Or, le Rav Meltzer continua à se conduire avec l'homme comme il l'aurait fait avec le Rav de Brisk. Il le traita avec les plus grands égards, l'installa en bout de table et lui servit à manger. L'homme, surpris par ce traitement royal, demanda au Rav Meltzer de ne pas déployer tant d'efforts pour lui. Il était venu pour solliciter une recommandation du Rav pour une certaine affaire. Le Rav accéda avec joie à sa requête puis le raccompagna jusqu'à la porte. Au retour du Rav, ses élèves, interloqués, lui demandèrent pourquoi il était allé à de tels extrêmes pour honorer cet homme, même après s'être rendu compte qu'il ne s'agissait pas du Rav de Brisk. Il leur expliqua qu'en réalité, la Mitsva d'honorer un Juif est si grande que nous devrions honorer chaque Juif simple de la même manière que nous honorons les grands érudits en Torah. Or, compte tenu de notre faible niveau, les Mitsvot ne sont pas importantes à nos yeux et nous ne traitons pas chaque Juif avec l'honneur qu'il mérite. Mais dans ce cas, la Providence divine avait orchestré les choses de sorte qu'il s'était préparé à accueillir un illustre Rav et il ne devait pas perdre cette précieuse Mitsva uniquement parce que le visiteur s'était avéré être un simple Juif. En outre, poursuivit-il, comment pouvons-nous déterminer si cet homme est un simple Juif ? Ce récit nous renseigne sur la valeur intrinsèque de chaque Juif, quel qu'il soit.[4]

 

[1] Voir Barténoura et Roua'h 'Haïm.

[2] Pirké Avot 4:1.

[3] Comme un as du ballon ou un individu attirant sur le plan physique. Ces attributs ne sont pas intrinsèquement problématiques, mais ce n'est certainement pas une manière de mesurer la valeur d'une personne.

[4] Lékah Tov, Nasso 7:18-9, p.73-74.