« Ils affirmèrent trois choses : Rabbi Eliézer dit : puisse l'honneur de ton prochain t'être aussi cher que le tien ; ne te mets pas facilement en colère, repens-toi la veille de ta mort et réchauffe-toi au feu des Sages… »
QUESTIONS
- Pourquoi la Michna ne dit-elle pas : « Ne te mets pas en colère » ?
- La colère est-elle parfois appropriée ?
- Comment peut-on éviter de se mettre facilement en colère ?
Rabbi Eli'ézer nous exhorte à ne pas nous mettre aisément en colère. Les commentateurs remarquent qu'il ne préconise pas de ne jamais se mettre en colère, mais plutôt de ne pas nous emporter facilement. Ils expliquent que parfois, un homme doit manifester de la colère pour une raison constructive, comme pour discipliner quelqu'un qui s'est mal conduit, mais il faut faire très attention à ne pas se mettre facilement en colère. En effet, la colère est responsable d'un grand nombre de conduites négatives, comme les cris, les disputes, les propos cruels, le mauvais traitement d'autrui, voire la violence.
Le Rambam s'exprime très fortement contre la colère et relève que même lorsqu'il faut en manifester, elle ne doit pas être ressentie en notre for intérieur. Il est d'avis que pour la plupart des traits de caractère, il faut aspirer à la voie médiane, et ne pas totalement bannir un trait de caractère. Mais il souligne néanmoins qu'il existe deux exceptions – l'une d'entre elles étant la colère[1]. Voici comment il s'exprime :
« La colère est un trait de caractère extrêmement préjudiciable, et il convient de s'en éloigner à l'extrême opposé. Et il faut s'enseigner à ne pas se mettre en colère, même s'il s'agit d'une situation où elle est appropriée. De même, si un homme cherche à instiller la peur chez ses enfants et dans son foyer, ou dans sa communauté (…), et s'il veut se mettre en colère avec eux afin de les inciter à retourner dans la voie du bien, il devra prendre un visage colérique afin de les sanctionner, mais il doit avoir l'esprit lucide, comme un homme qui a l'air en colère, mais qui ne l'est pas réellement. »[2]
Le Rambam reconnaît que dans certaines circonstances, il convient de manifester de la colère, mais on ne doit jamais en ressentir à l'intérieur.
Nos Sages se sont également fortement élevés contre la colère. Ils expliquent que toute personne qui se met en colère ressemble à un idolâtre.[3] Pourquoi la colère est-elle particulièrement comparée à la 'Avoda Zara ? Un homme se met en colère lorsque les choses ne se déroulent pas comme il estime qu'elles le devraient. Rav Noa'h Orlowek chlita, exprime cette idée en affirmant que la définition de la colère est la différence entre ce qu'on estime devoir advenir et ce qui advient en réalité. L'individu estime connaître le meilleur déroulement possible des événements, mais lorsque les choses ne se déroulent pas comme il l'avait prévu, il est frustré et si elles tournent mal, il risque de se mettre en colère. En substance, cette personne livre un culte à sa propre manière de regarder le monde et renie le fait qu'Hachem dirige l'univers et agit pour le mieux. Dans ce sens, sa colère est une sorte d'adulation de soi, et de ce fait, elle est comparée à la 'Avoda Zara.
Comment peut-on travailler sur soi pour devenir moins prompt à la colère ? L'histoire suivante, fascinante, propose une idée. Un homme réussissait dans tous les domaines de la vie, à l'exception d'un seul : il avait un tempérament colérique. Cela avait atteint un point où toutes ses relations risquaient la destruction. Après plusieurs tentatives échouées pour rectifier ce défaut, il se rendit chez le Steipeler à qui il confia son problème. Le Steipeler lui expliqua qu'il pouvait guérir sa colère, mais à une condition : il devait le fixer des yeux pendant plusieurs minutes sans détourner son regard. Il accepta cette requête à priori étrange, se demandant comment elle pourrait l'aider. Dès qu'il se mit à regarder le Steipeler, ce grand Sage se mit à faire toutes sortes de grimaces bizarres, à l'image d'un homme dans un accès de colère. Il va de soi que le Steipeler arborait une expression étrange. Au final, il expliqua à son interlocuteur qu'il avait l'air aussi ridicule lorsqu'il cédait à ses accès de colère.
Ceci nous enseigne une stratégie importante sur la bataille à mener contre les traits de caractère négatifs en général, et la colère en particulier. En méditant sur l'apparence que l'on doit avoir lorsqu'on est en colère, on peut en venir à prendre conscience de la stupidité de la colère. Cela peut nous aider à réaliser l'absurdité de ce trait de caractère et à nous inciter à travailler pour la réduire. Cette prise de conscience ne nous aidera pas en temps réel, lorsqu'on sent la colère monter en nous, mais il faudra réfléchir à la stupidité du courroux en période de calme, ce qui nous aidera à éviter d'être happé par le trou noir de la colère.
[1] L'autre est l'arrogance.
[2] Hilkhot Déot 2,3.
[3] Guémara, traité Chabbath 105b, Béréchit 27b.