Chaque mercredi, retrouvez les aventures de Eva, célibattante parisienne de 30 ans… Super carrière, super copines. La vie rêvée ? Pas tant que ça ! Petit à petit, Eva découvre la beauté du judaïsme et se met à dessiner les contours de sa vie. Un changement de vie riche en péripéties… qui l’amèneront plus loin que prévu !
Dans l'épisode précédent : De retour à Paris après la fin de son séminaire en Israël, Eva réalise que sa place est à Jérusalem. Elle est décidée à faire son Alyah...
Un vrai cri du cœur ! Mon avenir, je le voyais à Jérusalem. Je n’avais aucune idée de ce que j’allais faire ni devenir en faisant mon Alyah, mais je savais comme une évidence que ma place était là-bas !
Ça me faisait peur, rien que de me l’avouer. Mais maintenant que je l’avais dit, je comprenais pourquoi je me sentais si mal depuis mon retour.
Revenue à Paris, je me sentais comme avec ma paire d’escarpins préférée : j’essayais tant bien que mal de continuer à la porter, même si, avec les années, elle était passée de mode et ne m’allait plus si bien que ça.
Et quoi ? Moi la princesse parisienne, qu’est-ce que j’allais devenir à Jérusalem ? Admettre que j’avais non seulement envie de vivre une vie religieuse, une vie “Froum”, mais qu’en plus je voulais la vivre ailleurs, c’était beaucoup, même pour moi, curieuse de nouveaux défis.
La tête me tournait face à cette grande décision qu’il fallait que je prenne d’un coup (faire les démarches, démissionner, trouver un logement, l’annoncer à tous…).
De retour chez moi, je faisais les 100 pas dans mon salon en pesant le pour et le contre et, en dehors de brûler des calories, il n’y avait aucune progression dans toute cette prise de tête.
Il était déjà 23h et tout ce stress ne m’apportait rien de bon, si ce n’est une nouvelle nuit d’insomnie en perspective. Ma grande décision de faire l'Alyah n’était pas ma seule source de tracas. Il y avait un autre point qui me stressait et que j’avais réussi à occulter pendant mon séjour au séminaire, et qui, depuis mon retour à Paris, était devenu vraiment pesant. Depuis mon retour en France, j’avais croisé quelques fois Karen dans les couloirs de l’agence. Plusieurs mois s’étaient écoulés depuis qu’il y avait eu cette “affaire de la rumeur” au travail, où Karen avait fait courir le bruit que Franck mon directeur m’avait confié un nouveau projet parce qu’il y avait une relation plus que “professionnelle” entre nous. A cause d’elle, j’avais expérimenté les dégâts du Lachone Hara’ (médisance), qui non seulement avait failli me coûter ma place, mais avait brisé mon amitié avec Karen. Avec le temps, la colère avait fini par s’estomper… mais pas l’incompréhension ni le manque de mon amie d’avant.
Sur une impulsion, j’attrapais mon téléphone et pianotais à la vitesse de l’éclair : “Karen, suis de retour d’Israël, j’ai pas mal pensé à ce qui s’est passé et j’aimerais qu’on discute, on peut se voir maintenant ?”
Je n’arrivais pas à croire ce que je venais de faire !
A peine le temps de réfléchir, j’entendis le bip du message : “Ok, je suis à la maison, tu peux passer.”
Je ne savais pas trop ce qui allait se passer, mais je savais que je devais mettre les choses à plat pour y voir plus clair.
30 minutes après, je tapais à la porte de son appartement et je priais secrètement pour que ma discussion avec mon ancienne amie ne tourne pas façon combat de boxe.
J’entrais dans son salon, mais j’étais hyper mal à l’aise. Elle était là, à me regarder les bras croisés, mais il fallait que je me lance. Sinon, ça voudrait dire que je n’avais rien appris de mon séjour au séminaire (“Courage Eva, tu peux le faire !”, oui, je suis ma propre coach dans ma tête) :
“Voilà, on était amies et je n’ai pas compris ce qui s’est passé, ou plutôt, si. Je réalise que j’ai pas mal changé et ça n’a pas dû être simple de me suivre.
- Surtout que tu as cru bon de me laisser hors du coup, du jour au lendemain.
- C’est vrai, mais la vérité c’est que même moi je ne savais pas trop ce qui se passait dans ma vie. Comment j’aurais pu t’en parler ? Et puis, qu’est-ce que tu m’aurais dit si j’étais venue te voir en te disant : “J’ai décidé de faire Chabbath, de manger Cachère, de jeter mes jeans et mes tops décolletés, d’arrêter les soirées en boîte” ?
- Tu veux savoir ? Et bien je t’aurais dit que tu étais tombée sur la tête ! Pourquoi te mettre autant d’interdits sur la tête, pourquoi vivre dans la contrainte ? C’est pas comme si on était des non-croyantes avant, alors pourquoi passer d’un extrême à l’autre ?
Elle venait de poser des questions justes. Pourquoi changer, pourquoi ne pas me contenter de ce que j’avais avant ? Pas facile d’exprimer ce que je ressentais...
- Karen, c’est justement ça. Pour pouvoir répondre à tes questions, je devais déjà avoir des réponses pour moi. Je n’étais pas sûre de mes choix, pas sûre qu’une vie religieuse était ce qui me convenait, voilà pourquoi je ne t’ai rien dit.
- Et maintenant, tu sais ? Tu es sûre de toi ?
- Franchement ? Sûre, je ne sais pas. Je ne sais pas quel sera mon avenir, mais oui, je me retrouve tout à fait dans mes choix. Ce ne sont pas des contraintes, au contraire, pour la première fois, tout a un sens pour moi. Je comprends qu’on ne voit pas toutes la vie de la même façon, mais plus j’avance, plus je me sens à ma place.
- Ok…
- Karen, tu es ma meilleure amie et j’ai compris que peut-être mes silences t’ont blessée, et si c’est le cas, j’en suis désolée.
- Wouaw… Merci. Je ne m’attendais pas à tout ça ! Moi je suis tellement désolée d’avoir lancé cette affreuse rumeur au travail sur toi et notre directeur. Je ne sais pas ce qui m’a pris… Peut-être que tu ne me croiras pas, mais je l’ai regretté à la minute où les mots sont sortis de ma bouche. Mais c’était trop tard, et quand j’ai vu les dégâts que ça a faits, j’avais trop honte pour venir te voir.
Pour moi, vivre une vie Froum, ce n’était pas uniquement rallonger la taille de mes jupes, c’était appliquer tous les enseignements d’Hachem, même ceux qui faisaient mal à l’égo. “Lo Tikom Vélo Titor”, “Ne garde pas rancune et ne te venge pas”. Ça m’avait pris du temps, mais on était à la veille de Roch Hachana, je m’apprêtais à changer de pays, de vie, et je ne pouvais pas laisser ces affaires non résolues. Et de la même façon que, plus que jamais, je priais Hachem d’être bienveillant à mon égard, je me devais d’en faire autant avec les autres. C’est pour ça que j’étais passée voir Karen ce soir.
J’attendis d’avoir une confirmation que mes démarches pour la Alyah étaient complétées pour prévenir mon travail.
C’était sûr que je n’allais pas être aussi franche sur ma Téchouva avec Franck mon directeur, néanmoins, j’avais envie d’être honnête et je lui expliquais mon intention de m’installer en Israël dans très peu de temps.
“Vous êtes prête à sauter dans un avion ou vous avez le temps d’effectuer votre préavis ?” Il ne perdait pas le nord ! Il ne restait plus beaucoup de temps avant la remise de mon étude, donc je pouvais sans problème écourter mon temps de travail. On se mit rapidement d’accord sur une date de départ avec la direction et la RH et le jour-J, je me retrouvais à signer tout un tas de papiers dont le fameux “solde de tout compte”.
J’avais esquivé le pot de départ, parce que je n’avais pas envie d’une ambiance non-Cachère, et aussi, parce qu’il fallait l’admettre, j’avais tendance à pleurer comme une fontaine !
Les fêtes de Tichri avaient pour moi un goût de nostalgie. J’avais beaucoup de peine à quitter la synagogue et la Rabbanite qui m’avaient tellement bien accueillie. Est-ce que je trouverai une communauté aussi agréable à Jérusalem ? Toutes les femmes étaient venues me saluer à Chabbath, me souhaitant beaucoup de réussite en Israël, l’une me parlant d’un fils là-bas encore célibataire (“Tu dois absolument le rencontrer, ma fille !”), l’autre de sa sœur à contacter pour Chabbath (“Elle fait un couscous incroyable !”). Ambiance douce-amère.
Par contre, la vraie joie du moment était la naissance du fils de Guila ! J’étais venue lui rendre visite à la maternité et, pendant qu’elle berçait son bébé, le nouveau papa s’était transformé en paparazzi ! Il photographiait sa femme et son fils sous toutes les coutures.
En caressant les minuscules doigts du bébé, je leur racontais mes projets de Jérusalem et ma mélancolie à l’idée de partir et de quitter tout le monde (eux surtout).
“Ton ressenti est normal, c’est ce qu’on appelle le saut dans l’inconnu. Choisir une vie de Torah, une vie Froum, une vie à Jérusalem, tout ça, c’est faire des choix. Mais ce sont de bons choix, crois-moi. On se concentre sur l’essentiel. Tu vas voir tout le bonheur que ça va t’apporter. Regarde ce petit prince, il va nous demander tout notre temps… qu’on va lui donner avec bonheur. C’est ça faire le choix de l’essentiel.”
Le dimanche d’après, c’était déjà la circoncision du bébé et tout le monde s’était réuni à la synagogue. C’était aussi mes derniers jours à Paris. Double émotion, d’assister à la Brit-Mila du fils de Guila et de devoir dire au revoir à la famille. On me fit l’honneur d’habiller le bébé (“Tu vas voir, c’est une grande Ségoula, Eva ! Tu vas te marier cette année !”).
Pendant que j’entendais les faibles pleurs du bébé, je priais de toutes mes forces pour qu’Hachem entende toujours mes prières et m’accompagne toujours, quels que soient mes choix. La beauté et l’intensité de cet instant me rendaient émotive. Quand j’entendis le prénom qu’ils avaient choisi, je ne pus m’empêcher de rire, comme s’il s’agissait d’un clin d’œil: Israël !
Quelques heures après, je quittais déjà à regret le petit Israël et ses parents.
Ma famille avait décidé d’organiser un grand repas de famille pour mon départ, dans un restaurant du 17ème arrondissement. La tournée des aux revoirs se poursuivait et je me sentais tout d’un coup très seule, malgré le monde.
Quand je poussais la porte, quelle ne fut pas ma surprise de voir mes parents, ma sœur, mais aussi mes oncles, plein d’amis, dont Karen… et David !
Dans les films, les filles ont toujours la bonne réaction : quelques pleurs, des sourires et la classe. Dans la vraie vie, je sanglotais bruyamment devant tout le monde avec mon visage tout rouge !
Ça devenait vraiment dur de partir. J’étais super heureuse de voir que Karen était présente. Et je ne manquais pas d’aller la voir pour la remercier d’être venue.
“Tu vois, j’ai réfléchi et je n’ai pas envie non plus qu’on coupe les ponts. Et puis, maintenant j’ai un endroit où dormir quand je viendrai en Israël !”. C’était bon de retrouver mon amie.
Je dus me livrer à l’exercice pénible de faire un discours, mais, grâce à D.ieu, je réussis à ne pas pleurer (y a combien de litres de larmes dans le corps humain ?).
Et tout ce temps, je ne quittais pas David des yeux. Comment savait-il que j’étais revenue et surtout que j’allais partir ? Et qu’est-ce qu’il faisait là au milieu de ma famille et de mes amis ?
Toute cette ambiance me donnait mal à la tête, j’avais besoin de sortir quelques minutes souffler un peu.
“Eva ?”
David m’avait suivie dehors, je ne me retournais pas. “Eva, il faut qu’on se parle.”
Je fermais les yeux. “David, je ne suis pas sûre que ce soit le moment.”
“Eva, tu ne peux pas quitter Paris sans qu’on se parle, on doit mettre les choses au clair.”
Il avait raison. Je me retournais et lui fis face : “Je t’écoute, qu’as-tu à me dire ?”.
“Je t’aime. Je suis sérieux, ne pars pas, reste avec moi”.
La suite, la semaine prochaine…