Chaque mercredi, retrouvez les aventures de Eva, célibattante parisienne de 30 ans… Super carrière, super copines. La vie rêvée ? Pas tant que ça ! Petit à petit, Eva découvre la beauté du judaïsme et se met à dessiner les contours de sa vie. Un changement de vie riche en péripéties… qui l’amèneront plus loin que prévu !
Dans l'épisode précédent : Eva a fait son entrée au Séminaire à Jérusalem. Pas facile de changer de décor, mais grâce à l’entraide des étudiantes, elle s’adapte vite…
Les trois premières semaines de séminaire étaient passées en une fraction de seconde. J’avais réussi à m’intégrer bien plus facilement que je ne l’aurais cru. Bon ok, le réveil aux aurores c’était pas encore ça, mais en gros, vraiment, je me sentais comme un poisson dans l’eau (même si mon aquarium avait été réduit de moitié niveau espace).
J’avais troqué mes talons de 8 cm pour une paire de ballerines, seule concession à mon style chic parisien… mais il fallait penser pratique quand on se déplaçait dans une ville sans métro et savoir marcher vite si on ne voulait pas rater son bus !
Mon grand bonheur, c’était les cours où on étudiait le ‘Houmach. Chaque page que je découvrais me donnait l’impression d’ouvrir un coffre à trésors ! Même des passages sur les habits du Cohen Gadol réussissaient à m’intéresser et pas uniquement parce que ça parlait mode ! Mais à chaque cours, j’avais le sentiment que mon lien avec Hachem devenait plus profond et fort. C’était le bonheur !
A l’étage des chambres, c’était bonne ambiance, un peu comme une colo pour adultes. Personne ne se prenait au sérieux et ça faisait du bien.
Je partageais ma chambre avec Léa. On était très différentes, mais la cohabitation était chouette (même si je ne comprenais toujours pas pourquoi elle laissait systématiquement ses portes d’armoires ouvertes). Léa venait de terminer ses études d’ingénieur en réseaux télécoms. Oui, oui, c’était une tête (mais à force de papoter avec elle le soir avant de dormir, j’avais découvert qu’elle avait aussi un grand cœur).
D’ailleurs, ce soir, elle était assise en tailleur par terre, écouteurs dans les oreilles, en train de rédiger un devoir, pendant que moi j’entamais mon deuxième yaourt liégeois avec pépites de choco qui était dangereusement addictif, quand on entendit un cri de ralliement dans les couloirs : “Alerte générale, préparation pour Chidoukh, rendez-vous immédiat dans la chambre de Dana !”
Je crois que s’il y avait eu une alerte incendie, on ne se serait pas levées plus vite ! En moins d’une minute, on avait fait un débarquement en force dans la chambre de Dana qui se tenait face à la glace avec un tas de jupes dans les mains.
“Bon, les filles, nous dit Hanna, Dana est en méga-stress : c’est sa deuxième rencontre avec Raphaël et elle panique sur le choix de la jupe : je suggère un vote !”
C’était toujours l’euphorie, les préparatifs au Chidoukh : ça débattait des coiffures, du choix des tenues, de la coordination des accessoires… mais c’était tout sauf superficiel ! En fait, le vrai but de la manœuvre, c’était de détendre l’atmosphère avant le rendez-vous pour ne pas que la fille n’arrive trop anxieuse, ni stressée. Et pour mettre l’ambiance, Hanna, c’était la meilleure. Ce soir encore, on eut le droit à pas mal de blagues sur le sujet. J’avais vite compris depuis mon arrivée que les Chidoukh, c’était LE sujet au séminaire, quand on ne parlait pas Torah. D’ailleurs, une fois de retour dans notre chambre, Léa me demanda d’un air songeur : “Tu n’aimerais pas toi aller en Chidoukh à Jérusalem ?”
J’avoue que ça ne m’était pas venu à l’esprit depuis mon arrivée à Baté Sarah !
- Je ne sais pas, ça me paraît un peu démodé comme mode de rencontre. C’est quelqu’un qui décide pour nous qui on devrait rencontrer… comme si on était incapable de trouver par soi-même. En plus, je me vois mal assise en face d’un inconnu lui dire si je rêve d’une famille nombreuse ou lui demander s’il y a des antécédents d'allergies dans sa famille… Bonjour le romantisme !”
- Hein ? Mais c’est quoi ce gros cliché ? Dé-mo-dé ? Il faut que tu révises tes classiques, parce que c’est la seule méthode qui a fait ses preuves à travers les siècles. D’ailleurs, comment tu crois qu’Its’hak a rencontré Rivka ? Par appli ? Non, madame ! Le premier Chadkhane (marieur), c’était Eliezer… Tu vois, le Chidoukh, c’est un concept Made In Torah. Et Eva, ce que tu décris, ce n’est pas un Chidoukh : c’est un questionnaire médical... Toi, ça se voit que tu n’as jamais fait de Chidoukh !
- Parce que toi oui ?
- Pas encore en Israël, mais en France, oui. Moi perso, les garçons, je ne les fréquente pas. Donc, j’ai pas d’occasion d’en rencontrer. En plus, je suis contente qu’une femme d’expérience soit capable de me proposer de rencontrer des personnes qui pourraient me correspondre, plutôt que de faire confiance à mon instinct ou à un 6ème sens que je n’ai pas ! Et oui, ça m’est arrivé plus d’une fois d’avoir des rendez-vous très romantiques, bien plus que si j’avais vécu la rencontre magique via réseaux sociaux !
- Ah bon, romantique comment (oui j’avoue elle me donnait envie d’en savoir plus) ?
- Déjà, quand tu vas en Chidoukh, tu as des discussions vraiment intéressantes. Tu parles de ta vision des choses, de la place du judaïsme, comment tu te vois avancer dans la vie, de ce que tu aimes… et l’autre aussi, ce qui te donne un aperçu sincère dès les premières rencontres. Et pour moi, il n’y a pas plus romantique que de voir deux personnes qui s’intéressent réellement l’une à l’autre pour ce qu’elles sont. Et si ça ne marche pas ? Et bien, on s’arrête là sans pression et ça n’aura coûté qu’un café et quelques heures de notre temps.
C’est vrai que je n’avais jamais imaginé les rencontres arrangées sous cet angle, ça donnait presque envie. Pendant que j’étais en train de réfléchir à tout ça, Léa ajouta : “Tu connais Mme Friedman ? C’est elle qui s’occupe des Chidoukhim pour les filles de Baté Sarah. Elle vient ici une fois par semaine, tu devrais la rencontrer pour discuter avec elle. Qui sait ? Elle connaît peut-être quelqu’un parfait pour toi ?”
Sur cette dernière phrase, Léa éteignit la lumière et me laissa seule avec toutes mes pensées. Ce qu’elle m’avait dit me faisait sacrément réfléchir. C’est vrai que Dana avait l’air très heureuse de se préparer pour son rendez-vous, bien plus que moi j’avais pu l’être dans le passé. Je ne pouvais pas m’empêcher de repenser à David, resté à Paris. Peut-être que si on s’était rencontré de cette façon-là, on n’aurait eu une autre fin ? Si dès la première rencontre j’avais pu mieux comprendre ses intentions (de ne pas s’engager, de penser d’abord à lui avant de penser à “nous”), sans doute que j’aurais économisé des crises de larmes et des paquets de mouchoirs. Après tant de prises de tête entre nous et aucun signe de projet à deux, je ne trouvais plus du tout notre rencontre romantique. Peut-être qu’après tout, le vrai romantisme aujourd’hui, c’était de réussir à garder son cœur et sa dignité intacts ?
Comme par hasard, le lendemain, alors qu’on terminait notre cours d’histoire juive dans le Tanakh, une femme que je n’avais jamais vue entra dans la salle pour discuter avec Mme Gueitz, notre enseignante. De l’autre côté de la salle de classe, Léa me fit des grands signes en mimant : “C’est elle Mme Friedman ! Va lui parler !”.
Léa avait beau être super intelligente, ce n’était pas la reine du mime et toutes les filles avaient compris le message en même temps que moi. Sonia, ma super copine de cours, à côté de qui je m’asseyais toujours, me murmura : “Elle a raison, va lui parler, elle est super”. Ok, si tout le monde s’y mettait, je n’avais pas vraiment le choix.
Légèrement intimidée, j’allais donc voir Mme Friedman pour me présenter et prendre rendez-vous chez elle en début d’après-midi.
Note pour plus tard : arrêter de croire que les rues de Jérusalem ressemblent aux rues de Paris ! C’est avec vingt bonnes minutes de retard et à bout de souffle que j’arrivais chez Mme Friedman qui vivait en haut d’une côte qui devait être aussi haute que le mont Everest (au moins) !
Chez Mme Friedman, c’était très épuré. Pas de tableaux ni de plantes. Par contre, il y avait une bibliothèque gigantesque qui prenait tout un mur du salon avec ce que je devinais être des livres de Torah.
Je m’attendais à répondre à des questions type entretien d’embauche, mais pas du tout ! Autour d’un verre de thé à la menthe, Mme Friedman me demanda de lui raconter comment j’étais arrivée au séminaire. Et, sans m’en rendre compte, je lui fis tout le récit de ma Téchouva. Je me sentais tellement en confiance que je me livrais et lui parlais pêle-mêle de mes Chabbath à Paris, de mon travail, des changements survenus et de mon histoire ratée avec David.
J’avais l’impression d’avoir parlé pendant des heures et j’avais même un peu honte de n’avoir mis aucun filtre à mon récit. Mais le sourire de Mme Friedman semblait me dire le contraire.
Sans détacher son regard du mien, elle me dit : “En fait, tu es une jeune fille courageuse et pleine d’énergie. Et tu as une grande Emouna (foi en D.ieu). Suffisamment grande pour être capable de changer de vie et de pays. Tu es volontaire et curieuse de la vie. Ce sont de très belles Middot, des traits de caractère. Il te faut quelqu’un qui saura les apprécier. Évidemment, un garçon religieux, mais surtout loyal et attentionné.”
Les filles avaient raison, elle était vraiment peu commune Mme Friedman. Elle avait un sens de l’écoute et une finesse que j’avais rencontré peu de fois dans ma vie. En rentrant au séminaire, je repensais à ce qu’elle m’avait dit. Je n’avais jamais fait le lien entre mon récent parcours et mon caractère. J’étais toute fière, même si j’étais consciente que je devais tout ce chemin à Hachem.
Bien sûr, Léa m’attendait de pied ferme dans la chambre, et “Alors ?” fut sa première question, avant même que je ne puisse poser mon sac.
“Tu avais raison, elle est super. Mais je ne suis toujours pas convaincue d’avoir envie d’aller en Chidoukh”.
“Mais raconte, qu’est-ce qu’elle t’a dit ?” J’allais commencer mon récit quand mon téléphone sonna. De l’autre côté, c’était de nouveau Mme Friedman : “Allo Eva, figure-toi que je repensais à ce que tu m’as raconté et je crois avoir quelqu’un pour toi. Ça t’intéresse ?”
La suite, la semaine prochaine…