La Haftara de cette semaine, qui coïncide avec Chabbath Hagadol, est issue du livre de Malakhi et figure donc dans le livre des 12 « petits » prophètes « Tré Assar ». Ces derniers sont nommés « petits » prophètes en raison de la taille relativement restreinte de leurs livres, qui ne compilent que les prophéties qui ont une valeur pour toutes les générations. Naturellement, ce terme de « petit » ne vient en rien diminuer l’importance et la profondeur de leurs propos qui sont bien souvent capitaux.
C’est le cas notamment du prophète Malakhi qui se trouve être le dernier des douze prophètes et le dernier des prophètes d’Israël. Avec lui, s’est achevée la tradition prophétique en Israël. Et, dès lors, nos Sages nous enjoignent d’accorder une importance particulière à ses propos car, étant porteur des dernières prophéties, il nous transmet probablement la quintessence des messages que D.ieu a voulu nous transmettre pour l’éternité.
Notre Haftara recèle une solennité toute particulière dans la mesure où elle coïncide avec les derniers mots du prophète et les derniers mots de notre tradition prophétique. Comme chacun le comprend, il s’y joue donc des enjeux fondamentaux quant à la vie du peuple juif.
A cet égard, le nom même du prophète témoigne de l’importance de sa mission. Malakhi signifie « Mon messager », celui à qui l’Eternel a transmis Son message, par excellence si l’on peut dire.
Liens entre la Haftara et la fête de Pessa’h
Le choix de cette Haftara pour le Chabbath Hagadol est très significatif. Plusieurs points la rapprochent de la fête de Pessa’h.
Tout d’abord, la Haftara évoque le commandement adressé aux enfants d’Israël de respecter les prélèvements qu’ils doivent offrir aux prêtres et aux Léviim, et avoir confiance en Hachem qui les protègera de tout manque. Or, la dénomination de notre Chabbath comme « Chabbath Hagadol » est destinée à nous rappeler également le « grand » acte de foi des enfants d’Israël, qui avaient gardé chez eux un agneau en vue de le sacrifier alors qu’il s’agissait d’une divinité pour les Égyptiens, manifestant ainsi leur confiance dans la protection divine.
Par ailleurs, nos Sages nous enseignent que de même que les Bné Israël ont été libérés d’Egypte au mois de Nissan, de même le peuple juif accueillera la Machia’h lors de la Délivrance finale au mois de Nissan, et cette libération sera précédée par l’annonce de la venue du Machia’h par le prophète Elie. Or, notre Haftara se conclut précisément sur un verset évoquant « le jour grand et redoutable » de notre délivrance à travers le prophète Elie.
Enfin, la conclusion de notre Haftara évoque le retour des enfants vers leurs parents, et précisément la fête de Pessa’h marque bien souvent les retrouvailles familiales et la présence des enfants, quel que soit leur tempérament, autour de la table familiale.
L’écho de la Haftara
Le contenu de cette Haftara est naturellement très profond et appelle différents niveaux de lectures. Nous pouvons toutefois remarquer que notre texte évoque tour à tour trois notions cardinales de notre tradition : le service divin : « Vous avez parlé ainsi : "C’est une chose vaine de servir D.ieu. Qu’avons-nous à gagner à observer son culte…" » (3. 14) ; l’étude de la Torah : « Souvenez-vous de la loi de Moché, Mon serviteur, à qui J’ai signifié, sur le ‘Horev, des statuts et ordonnances pour tout Israël » (3. 22) ; et enfin les actes de générosité : « Mais vous qui révérez Mon Nom, votre charité vous éclairera comme le soleil… ».
La présence de ces trois thématiques à la conclusion du livre des prophètes nous rappelle avec force cet enseignement des Pirké Avot : « Le monde tient sur trois choses : la Torah, le service divin, et les actes de générosité ».
L’Éternel nous rappelle ainsi de manière solennelle, avant que la parole prophétique ne s’interrompe, le secret sur lequel le monde repose et auquel notre peuple doit sa longévité et son éternité. Celui-ci se compose de trois piliers : le premier est l’étude de la Torah, la fidélité à la loi transmise à Moché et qui représentait l’objectif de la sortie d’Egypte, ne l’oublions pas. La liberté en tant que telle n’a pas de sens si elle est vécue comme une licence de faire ce vers quoi l’homme est attiré par son instinct. La liberté n’acquiert sa force que lorsqu’elle permet à l’homme de coïncider avec sa nature profonde, d’accomplir la mission que D.ieu lui a assignée en étant affranchi des pulsions matérielles et du conditionnement parfois inconscient des sociétés dans lesquelles il évolue.
Le deuxième pilier est celui du service divin à travers notamment l’accomplissement des Mitsvot et le vecteur de la prière qui a remplacé les sacrifices, nous disent les Sages. C’est précisément en s’acquittant du service divin avec joie, force, et profondeur que l’homme concrétise sa volonté de se rapprocher d’Hachem, et intensifie la relation qu’il construit avec Lui.
Enfin, les actes de générosité, notamment de Tsédaka, sont un pilier essentiel de la vie juive. Parfois, les calculs des hommes et leur peur du lendemain les éloignent, D.ieu préserve, de ce commandement. Or, le Créateur du monde ne peut être plus clair et explicite que dans notre texte : « Apportez toutes les dîmes dans le lieu du dépôt, pour qu'il y ait des provisions dans ma maison, et attendez-moi à cette épreuve, dit l'Eternel-Cébaot : [vous verrez] si Je n'ouvre pas en votre faveur les cataractes du ciel, si Je ne répands pas sur vous la bénédiction au-delà de toute mesure. » (3. 10)
La générosité, la solidarité au sein de notre peuple est une vertu essentielle pour Hachem, elle témoigne de la capacité de l’homme à se défaire de ce qu’il possède pour s’ouvrir à son prochain et le soutenir. C’est précisément à une telle solidarité que nous sommes appelés, à l’approche de Pessa’h notamment, à l’égard des plus démunis, de ceux qui souffrent ou sont isolés.
En outre, comme nous le voyons dans cette Haftara précisément, l’enjeu du pacte que D.ieu a scellé avec le peuple juif, notamment à travers ces trois piliers, réside dans la protection éternelle accordée à Ses enfants. En dépit des persécutions et des vicissitudes de l’histoire, l’Eternel s’engage à ne jamais faire disparaitre les enfants d’Israël : « Moi l’Eternel, Je n’ai jamais changé, vous, enfants de Yaakov, vous n’avez jamais été anéantis ».
Pour conclure, remarquons que le verset relatif à la venue du prophète Elie est écrit au présent : « Voici, Je vous envoie le prophète Elie avant que ne vienne le jour grand et redoutable ». Ce dernier est envoyé sur terre afin d’amener les cœurs des enfants d’Israël à revenir vers Hachem et préserver la terre de la destruction à cause de l’inconduite de ses habitants.
Cette conjugaison au présent de notre verset (« Je vous envoie ») est probablement révélatrice de la faculté qui est ouverte en permanence à chaque juif de revenir vers Hachem, et de trouver près de lui le secours du prophète Elie qui l’aide à se rapprocher du Créateur et de la foi de ses ancêtres. Il ne s’agit pas d’attendre de manière passive le jour de la libération, mais de comprendre qu’il appartient à chacun de nous de créer à chaque instant les conditions de notre libération individuelle de nos passions. Voilà pourquoi la conclusion de l’ensemble des livres de nos prophètes n’est pas écrite au futur mais bel et bien au présent, afin de nous enseigner que la liberté et le processus de libération n’est pas à ajourner et à remettre à plus tard, il doit être entamé et poursuivi chaque jour.
C’est là également un des enseignements de Pessa’h qui invite chacun à se « considérer comme lui-même sorti d’Egypte » et à actualiser dès maintenant le potentiel de libération dont nous disposons. C’est ainsi qu’avec l’aide d’Hachem, nous aurons la joie d’assister à la Délivrance finale, à ce « jour grand et redoutable » très rapidement.