La paracha de cette semaine, Tazria-Metsora, nous rappelle l’importance de la parole dans la Torah, le poids des mots et à quel point le privilège du langage, spécifique à l’homme, est constitutif de son bonheur.
Pour comprendre la valeur de la parole, il faut tout d’abord se remémorer les premiers versets de la Torah qui décrivent la création de l’homme : « Et l’Eternel insuffla en l’homme un esprit de vie, et il devint une âme vivante » (Béréchit, 2.7). Le fameux commentaire de Onkelos traduit « âme vivante » par « rouah mémaléla » « un esprit parlant ». Aussi, l’attribut de la parole est un cadeau directement divin. Lorsque l’homme parle, le souffle qui sort de sa bouche est un don de D.ieu. Il s’agit même, pourrait-on dire, du « souffle de D.ieu ». Nous comprenons dès lors facilement pourquoi il est si important de ne pas souiller ce souffle divin avec des paroles grossières, ou médisantes.
En outre, la parole renforce la ressemblance entre l’homme et son Créateur. Comme nous le savons, la création du monde a été opérée à partir de « dix paroles » primordiales prononcées par l’Eternel. Il faut mesurer ce que ce postulat implique : la parole, qui est immatérielle, un souffle, a le pouvoir de créer des réalités, de créer le monde ! Or, bien souvent, l’homme a tendance à minorer l’importance de la parole : « ce ne sont que de paroles ! » signifiant ainsi qu’aucun acte irréversible n’a été commis, aucun coup n’a été donné, aucun préjudice matériel direct n’a été engendré. Tel n’est point la pensée de la Torah.
Selon notre tradition, l’homme doit rendre compte de ses paroles, elles sont très importantes précisément car elles ne sont pas matérielles et qu’elles sont finalement l’expression de la dimension spirituelle de l’homme. Pensons par exemple à l’importance des « vœux » « nedarim » dans notre tradition. L’homme est en effet tenu d’accomplir tous les engagements qu’il prononce « Motsa sefate’ha tishmor » « Ce que ta bouche a prononcé, tu observeras… », les mots ont une valeur impérative pour lui au même titre que les autres obligations de la Torah. Le corpus de mitsvot, a priori fixe, peut ainsi s’élargir au gré des vœux qu’un homme prend sur lui. L’homme a le pouvoir, à travers sa parole, de se créer de nouvelles mitsvot complémentaires à celles de la Torah, même si cela n’est bien sûr pas recommandé sauf dans des cas particuliers.
Ce contexte étant posé, la question qui nous intéresse ici demeure « En quoi la parole participe-t-elle de mon bonheur ? ».
Notre paracha nous met en garde contre la mauvaise parole, « le lachon hara », d’une part qui consiste à tenir des propos péjoratifs sur autrui même s’ils sont vrais, et le « motsi chem ra’ » d’autre part, la diffamation, qui consiste pour sa part à tenir des propos négatifs et mensongers sur autrui. Celui qui commettait une telle transgression se voyait affliger de la « tsara’at » une affection de la peau qui le conduisait à être isolé du peuple durant une période déterminée.
Comme l’a merveilleusement détaillé le Hafets Hayim dans son ouvrage, le lachon hara est prohibé pour de nombreuses raisons, et notamment car il nuit à l’unité du peuple, à l’amour fraternel que l’on doit éprouver les uns envers les autres. Il contribue notamment à focaliser l’attention de l’homme sur le négatif, sur la petitesse supposée des hommes, et cela fait naître dans son coeur de l’amertume, du mépris pour les hommes, voire de la rancœur. La mauvaise parole enferme l’homme dans un cercle vicieux de négativité qui aspire son énergie, l’empêche de s’ouvrir aux merveilles de la création, et l’éloigne de l’accomplissement des mitsvot à l’égard d’autrui.
Inversement, nos Sages nous recommandent de privilégier le « lachon hatov » la « bonne parole ». Cette dernière consiste à jeter un regard positif sur autrui, à lui témoigner des sentiments bienveillants, de l’affection, à le valoriser, et à le juger favorablement, en lui trouvant des excuses, lorsque son attitude nous surprend ou nous déçoit.
Loin d’être une attitude superficielle, ou hypocrite, l’attention prêtée à la parole, la « chemirat halachone », contribue à raffiner la sensibilité de l’homme, à l’élever au-dessus des rivalités d’égo, et à hisser avec lui son entourage vers le haut.
En outre, et peut-être par-dessus tout, cette faculté de contrôler sa parole permet à l’homme d’apprécier le monde et la vie que l’Eternel lui a donnés. Elle lui permet d’ouvrir les yeux sur tout le « Bien » que D.ieu lui donne au quotidien, de pouvoir exprimer de la gratitude, et donc, en dernière analyse, de se rapprocher de son Créateur.
A travers une parole positive, l’homme développe en lui des qualités de « patience », de miséricorde et de générosité, et renforce ainsi sa « ressemblance » à son Créateur. Cet exercice élève ainsi l’image que l’homme a de lui-même, il lui permet de faire le bien, de trouver la bonheur, et de le diffuser autour de lui. En outre, il est capable de susciter le respect et l’affection spontanés de ses proches, et de coïncider chaque jour davantage avec sa nechama, son âme.
En devenant un orfèvre des mots, l’homme élargit son esprit, son cœur et son âme. Il peut ainsi accueillir l’Autre, l’encourager, et le soutenir. Il renforce sa vitalité et donne un supplément de vie à ceux qui le fréquentent. Il ne se comporte pas en procureur mais en ami bienveillant. Il ne se rassure pas artificiellement en constatant les défauts des hommes, mais il essaie de plutôt de trouver et de faire émerger en chacun son étincelle divine, parfois enfouie en raison des difficultés de la vie ou de son éducation.
Un tel homme élève ainsi sa parole, la sanctifie et se rapproche cheque jour davantage de son Créateur.