La Paracha de cette semaine, Chémini, coïncide presque avec notre calendrier puisque nous y apprenons en introduction que l’inauguration du Temple s’est produite, selon Rachi, durant Roch ‘Hodech Nissan. D’autres commentaires évoquent la date du 23 Adar, c’est-à-dire celle de notre Chabbath. Nous aurons donc la chance de connaître une intensité spirituelle toute particulière.
Après avoir achevé la construction du Temple au mois de Kislev, les Bné Israël procèdent à présent à son inauguration, l’étape ultime de la construction du Tabernacle. L’émotion est alors à son comble, et après d’ultimes offrandes et sacrifices, un feu s’élance du ciel en signe d’approbation de toute l’œuvre des enfants d’Israël.
Durant ces heures propices où le peuple éprouva une intense émotion, plusieurs enseignements nous invitent à réfléchir à l’importance spirituelle de la bouche, à la fois en tant qu’organe portant la parole, mais aussi en tant que canal permettant l’alimentation.
Au moment où le peuple se sentait transporté par l’inauguration du sanctuaire, les fils d’Aharon, Nadav et Avihou, ont pris l’initiative d’amener à l’intérieur du sanctuaire un « feu extérieur » afin de consommer les encens.
Toutefois, cette initiative ne sera pas agréée par Hachem, car toutes les conditions requises pour pénétrer dans le Temple et accomplir le service n’étaient pas réunies. Nadav et Avihou vont alors mourir subitement, provoquant un choc et une peine profonde pour leur famille et leurs amis. Toutefois, la Torah nous précise qu’Aharon, leur père, se tut, ne se révolta pas et ne posa aucune question. Voici les paroles de Rachi à ce sujet (Vayikra, 10, 3) :
Aharon se tut : Il a été récompensé de son silence. Quelle rétribution a-t-il reçue ? De se voir adresser à lui seul la parole divine, puisque le passage concernant ceux qui boivent du vin (versets 8 et suivants) n’a été dit qu’à lui.
Le silence d’Aharon a donc été récompensé par le privilège de recevoir directement la parole de D.ieu, et incarne d’une certaine manière le principe « Mida Kénégued Mida », mesure pour mesure. En effet, de la même manière qu’Aharon est parvenu à contrôler sa parole, il a été récompensé en accueillant la parole divine.
La tradition juive accorde bien sûr une importance toute particulière à la parole, notamment à ce qu’on appelle la « Chemirat Halachone », c’est-à-dire la capacité de l’homme à contrôler sa parole. Cela s’entend généralement comme la capacité de se retenir de prononcer des commérages et de mauvaises paroles sur son prochain, de s’abstenir de toute critique, de tout jugement négatif etc., sauf dans certains cas bien particuliers où l’on pourrait prévenir un dommage.
Néanmoins, le verset de notre Paracha vient nous apprendre que contrôler sa parole passe aussi par la capacité à observer le silence face aux évènements de la vie que l’on ne comprend pas. Ce silence laisse entendre que l’homme a la foi profonde que ce qu’il vit n’est pas lié au hasard ni à une quelconque injustice, mais trouve une explication qui dépasse son entendement et qu’il accepte. En observant le silence, l’homme prévient un flot verbal qu’il ne maîtrise pas toujours et qui est généralement guidé par l’émotion.
La récompense d’une telle vertu ne s’est pas fait attendre : c’est Hachem Lui-même qui s’adresse à Aharon, et à lui exclusivement, pour lui transmettre un enseignement. Voilà pourquoi notre tradition accorde une importance si grande à la parole. Celui qui sait la maîtriser est digne de recevoir la parole de D.ieu, de la comprendre et de l’enseigner.
La Paracha Chémini accorde également une place particulière à la description des aliments autorisés et prohibés. Là encore, comme pour la parole, l’organe humain qui est en jeu est la bouche. De même que l’homme doit faire attention à la parole qui sort de sa bouche, il doit également être vigilant à la nourriture qu’il y fait entrer. L’homme exerce à nouveau sa capacité à mettre un frein à son instinct, ses pulsions et ses envies. Il est capable de trier ce qui est digne de le nourrir et ce qui ne l’est pas. Ainsi, il manifeste sa volonté de faire prévaloir son esprit sur son corps.
Notre Paracha nous indique même que c’est précisément dans cette capacité à séparer le pur de l’impur, les aliments autorisés de ceux qui ne le sont pas, que se loge la raison de la sortie d’Egypte. En effet, si un homme est incapable de faire ce tri, il est à nouveau asservi, non pas à une puissance extérieure, mais simplement aux désirs de son corps.
C’est ainsi que notre texte nous amène une nouvelle fois à réfléchir sur la vocation de l’homme à être le point de jonction entre le matériel et le spirituel. La bouche en est le parfait exemple car elle incarne ces deux aspects : elle est non seulement le vecteur de la parole immatérielle de l’homme, mais aussi le canal de son alimentation.
Pour conclure, nous pouvons mentionner la présence d’une lettre très symbolique dans notre Paracha : la lettre Vav du mot « Ga’hone » (Vayikra, 11, 42) qui représente, selon notre tradition, le milieu de la Torah selon les lettres qui la composent.
Le Vav permet généralement de faire un lien entre les mots, de les associer, de les faire coexister. Dans notre texte, ce Vav est plus grand que les autres lettres. Cette lettre toute particulière, placée donc au milieu de la Torah, nous rappelle ainsi symboliquement ce qui se joue au cœur de la Torah : le projet d’amener l’homme à faire coexister en lui sa dimension matérielle et sa dimension spirituelle, c’est-à-dire sanctifier son corps afin de s’élever auprès de la Présence divine, et créer les conditions pour que cette dernière réside parmi les hommes, à travers la reconstruction du Temple et la venue très prochaine du Machia’h, avec l’aide d’Hachem.