La paracha de cette semaine, Chemini, nous décrit notamment l’aboutissement de l’inauguration du Sanctuaire (le mishkan), le huitième jour de ces festivités, qui coincide également avec Roch Hodech Nissan.
Le mishkan cristallisait beaucoup d’attentes et d’espoir de la part du peuple, sa construction avait mobilisé beaucoup d’énergie et de travail. Tout avait été fait scrupuleusement selon les recommandations transmises par Hachem à Moïse. Et le peuple attendait fiévreusement un signe du Ciel susceptible de lui confirmer que tout ce travail était bien conforme à la volonté de D.ieu et agréé par Lui.
C’est alors que, à l’issue du service opéré par Aaaron et ses fils, un feu céleste descend du Ciel et consume les sacrifices posés sur l’autel. Le peuple est alors au paroxysme de la joie et de l’émotion, il tombe spontanément face contre terre et s’incline devant Hakadoch Baroukh Hou.
A travers cette scène miraculeuse qui se joue devant eux, le peuple comprend non seulement que son œuvre a été agréée par D.ieu mais aussi qu’il demeure bel et bien le peuple élu, le peuple choisi par Hachem pour avoir la dignité d’accueillir en son sein la présence divine. Il vient en effet d’accomplir la demande exprimée par Hachem « Qu’ils me fassent un Sanctuaire et je résiderai au milieu d’eux ». La création du monde avait requis un retrait d’Hachem (« tsimtsoum ») afin que l’homme puisse exister et disposer du libre-arbitre. Et voici que l’Eternel retrouve à nouveau une demeure sainte sur Terre.
Le transport de joie et de bonheur qui envahit le peuple à ce moment se passe de mots, il vient toucher au plus profond de l’âme humaine et élève l’homme à sa plus haute dignité. Une scène similaire va se jouer quelques siècles plus tard, comme le rappelle le R. Elie Munk, lors de l’inauguration du Temple par le Roi Salomon : « Tous les enfants d’Israël, à la vue du feu descendu du ciel et de la gloire de l’Eternel reposant sur la maison, se mirent à genoux sur les dalles, la face contre terre, se prosternèrent et rendirent hommage au Seigneur, [en chantant]: "Car il est bon, car sa grâce est éternelle! » (Chroniques II, chap. 7, v. 3)
Cette joie a ceci de particulier qu’elle est toute spirituelle, elle ne relève ni du corps, ni de la parole, elle n’est précédée d’aucun mot, d’aucun message, elle vient simplement couronner un effort accompli par le peuple, conformément à la volonté de D.ieu. C’est ainsi que s’exprime Nahmanide, comparant notre scène à l’apparition de la présence divine à Abraham suite à la circoncision : « Là également, les mérites du peuple pour l’érection du Tabernacle lui valurent le privilège de cette apparition. Dans un cas comme dans l’autre, celle-ci ne vint communiquer ni commandement, ni message : elle vient récompenser l’accomplissement d’une Mitsva et elle vient faire savoir que l’Eternel agrée les actions des hommes… » (Gen. 18, 1, rapporté par R. E. Munk).
Nous sommes parfois portés à sous-estimer la valeur des mitsvot dans la mesure où elles relèvent de l’ordre du matériel, où elles résident dans l’accomplissement (ou l’abstention) d’un acte, un geste, une parole. Or, ceux-ci ne semblent pas faire appel à la spontanéité de l’homme ni à la « grandeur » de son esprit. Les mitsvot sont, en effet, codifiées, attendues, obligatoire et elles s’adressent à l’ensemble du peuple. Aussi, nous pourrions penser que l’essentiel de notre mérite se joue ailleurs : dans la pensée, dans l’élan spontané du cœur. Et de fait, nous savons combien Hachem accorde de la valeur à un cœur pur, et un esprit sincère.
Mais, notre paracha nous donne une leçon fondamentale : l’accomplissement d’une mitsva possède une dimension particulièrement élevée, qui ne saurait se confondre avec un formalisme dénué de sens, D.ieu nous en préserve. En vérité, les mitsvot sont si élevées que leur impact et leur force échappent radicalement à l’entendement humain.
A notre modeste mesure, nous pouvons peut-être reconnaître que le corpus de mistvot que l’Eternel nous a confié nous permet de nous arracher au déterminisme de l’instinct, de la nature et du règne matériel. A travers, le caractère impératif de la mitsva, l’homme ne peut pas donner libre cours à toutes ses volontés, il doit les canaliser et contraindre la force galopante de son désir et de son « moi » dans les les « quatre coudées de la loi », pour reprendre la belle expression de nos Sages.
A la force irraisonnée de l’instinct, l’homme oppose l’humble soumission à la loi ; à la prétention de l’esprit à être libre et affranchi de toute contrainte, l’homme oppose une soumission volontaire à son Créateur. A travers ces actes de résistance du quotidien à la dictature de la matière et du désir, l’homme atteint modestement, parfois sans même le réaliser, les plus hautes cimes de la dignité humaine.
C’est peut-être cela que l’Eternel est venu couronner en agréant le mishkan, qui était un vibrant témoignage de l’obéissance fidèle du peuple à la volonté de son Créateur. Comprenant cela et le mérite qu’il avait acquis, le peuple ne pouvait qu’en concevoir une joie intense et authentique.
Puissions-nous avoir le mérite de nous élever également à travers l’accomplissement des mitsvot dont nous avons la grande chance d’être les dépositaires. Nous créerons alors, avec l’aide d’Hachem, les conditions propices à la venue de notre Libérateur. En effet, notre tradition nous dit que la joie que l’Eternel resentira lors des temps messianiques est semblable à celle ressentie lors de l’inauguration du Mishkan, puis du Temple : « Alors l’Eternel prendra plaisir aux offrandes de Juda et de Jérusalem comme Il le faisait aux jours antiques (inauguration du mishkan), dans les années d’autrefois (inauguration du Temple) » (Malachie, 3.4, rapporté par R. E. Munk).