« Et maintenant, écrivez ce chant pour vous-mêmes, et enseignez-le aux enfants d’Israël… »[1]
Nos Sages enseignent que le chant dont parle le verset correspond à l’ensemble de la Torah. Ainsi, chaque Juif a l’obligation d’écrire son propre Séfer Torah[2]. La Guémara affirme que même si une personne hérite d’un Séfer Torah de ses ancêtres, elle doit quand même écrire un Séfer Torah personnel[3]. Les commentaires interprètent cette Halakha de diverses façons[4]. D’après le Ktav Sofer, cette Mitsva enjoint à chacun d’avoir son lien unique avec la Torah ; par conséquent, il ne suffit pas d’utiliser simplement le Séfer Torah hérité de ses parents — il faut écrire le sien, preuve d’un lien personnel avec la Torah.
Le Ktav Sofer développe ce principe sous plusieurs angles. Il estime, par exemple, que la Torah demande à chaque Juif de faire ses propres ’Hidouchim (interprétations innovantes), parce que chacun a une part unique dans la Torah.
Cela pourrait sembler évident, mais en réalité, l’idée que chaque Juif puisse écrire des ’Hidouchim est assez surprenante. Un ’Hidouch est une explication qui n’a été donnée par personne d’autre, à travers l’Histoire.[5] Cela signifie que parmi les millions d’érudits ayant étudié ce sujet de Torah, personne n’a pensé à cette interprétation. D’ailleurs, Rav Berkovits demande comment il serait concevable que l’un d’entre nous valide un ’Hidouch auquel un génie comme le Gaon de Vilna n’a jamais pensé ; après tout, il était infiniment plus intelligent et plus compétent que nous tous.
En fait, il faut savoir que chaque Juif a été créé avec son propre Chorech Néchama (origine de l’âme), avec une façon particulière de se lier à Hachem et à Sa Torah. Par conséquent, il existe des idées et des ’Hidouchim qui ne conviennent qu’à telle personne, même s’il y eut des érudits bien plus illustres qui n’y ont jamais pensé auparavant.
Cela signifie-t-il que n’importe qui peut volontiers inventer ses propres interprétations ? Certaines conditions doivent être remplies pour pouvoir valider un ’Hidouch. Quand il s’agit de commenter les versets du ’Houmach, il y a deux exigences — il faut que l’interprétation aille dans le sens des mots de la Torah et qu’elle soit conforme à la conception de la Torah. Inutile de préciser qu’il est vivement recommandé de parler de son ’Hidouch à d’autres personnes pour voir s’il remplit ces conditions et s’il pourra résister à la pression d’une analyse rigoureuse.
Cela répond également aux fameuses questions que bon nombre de personnes se posent, à savoir quels sont les sujets que l’on doit étudier et quelle est la meilleure façon de les étudier. On posa ces questions à Rav Kanievsky, au Rav Nissim Karelits et à Rav Guershon Edelstein. Ils donnèrent tous la même réponse ; il faut étudier ce que le cœur désire. Il n’y a pas de « sujet-uniforme » à étudier, parce que chaque individu a un Chorech Néchama qui lui est propre et qui l’orientera vers une façon différente de se lier à la Torah. Si quelqu’un n’étudie pas ce que sa Néchama désire, il risque de ne pas éprouver de satisfaction dans son étude, ce qui pourra avoir de nombreuses conséquences négatives.
L’histoire suivante, à propos de Rav Edelsein, illustre bien cette idée. À l’époque où il donnait cours à la Yéchiva, l’étude de la Guémara portait sur les lois des préjudices. L’un des élèves lui a avoué ne tirer aucun profit de cette façon d’étudier. Rav Edelstein lui demanda ce qu’il aimait étudier et le jeune homme lui répondit qu’il préférait étudier le Michna Beroura.[6] Rav Edelstein lui a proposé d’étudier les mêmes lois sur les dommages et préjudices, à partir du Choul’han Aroukh, avec le commentaire du Sma (qui se rapproche le plus des explications du Michna Beroura, dans ce domaine de la Torah). L’étudiant a adopté cette approche et l’a beaucoup appréciée, développant une compréhension profonde du sujet, bien que d’une manière différente de la plupart de ses camarades. Il devint, par la suite, un grand Talmid ’Hakham.
Pour résumer, la Mitsva d’écrire son propre Séfer Torah fait allusion au potentiel de chacun de créer un lien unique avec la Torah - il est primordial, pour la réussite dans l’étude de l’individu, qu’il trouve des domaines auxquels il se sent attaché et qu’il s’épanouisse ainsi dans son étude.
[1] Vayélekh, 31,19.
[2] Les décisionnaires débattent pour savoir si les femmes sont soumises à cette Mitsva.
[3] Sanhédrin, 21 b.
[4] Voir Séfer Ha’hinoukh et Darké Moussar, Parachat Vayélekh.
[5] Certes, il peut arriver qu’une personne écrive un ’Hidouch et constate ensuite que quelqu’un d’autre l’avait déjà écrit. Bien entendu, chaque ’Hidouch doit être rigoureusement analysé pour être sûr qu’il est logique et qu’il surmonte les contradictions.
[6] L’œuvre de Halakha célèbre, écrite par le ’Hafets ’Haïm.