« Tu aimeras Hachem, ton D., de tout ton cœur, de toute son âme et par tous tes moyens. » (Devarim, 6:5.)
Rachi explique, sur les mots « De tout ton cœur » : Avec tes deux penchants.
Dans la paracha de cette semaine, figure le premier paragraphe du Chéma, dans lequel l’ordre nous est donné de servir Hachem de « tous nos cœurs ». Le mot « cœur » se traduit en hébreu par lev, « ton cœur » est transcrit pas libekha (לבך), avec un seul « beit ». Or, dans le Chéma, il est écrit avec deux « beit » (לבבך).
Rachi explique que l’expression « de tous tes cœurs » fait référence aux deux penchants – le bon et le mauvais[1]. Le « beit » symbolise le cœur et le fait qu’il y en ait deux vient inclure les deux forces qui le constituent – le bon et le mauvais penchant.[2]
Plusieurs commentateurs débattent sur la signification d’un service d’Hachem avec notre yétser hara. Par ailleurs, le rav Moché Feinstein zatsal se demande ce que la Thora attend de nous quand elle nous exhorte à servir Hachem avec notre yétser hatov. Pourquoi est-il nécessaire de préciser qu’il faut aimer Hachem avec notre yétser hatov ? Ce penchant ne nous dirige-t-il pas automatiquement vers les bonnes actions ?[3]
Eh bien, non. Si le yétser hatov était livré à lui-même, il n’aurait pas nécessairement dirigé l’individu vers l’accomplissement du ratson Hachem (volonté divine). Sans la guidance de la Thora qui est la source suprême de morale, on aurait pu définir le bien et le mal selon notre propre logique et se tromper. Selon rav Feinstein, le yétser hatov peut entraîner une personne à faire des actions qui contredisent la définition que donne la Thora du vrai et du faux.
Il donne l’exemple de la charité ; le yétser hatov incite parfois la personne à donner de l’argent aux autres, mais certaines causes peuvent être mauvaises. Le rav Its’hak Berkovits chlita précise qu’il n’est pas toujours approprié de donner de la tsedaka à quelqu’un. Cela risque, par exemple de le rendre trop dépendant des autres, ou bien cet argent va être utilisé dans des buts peu louables, auxquels cas, il vaut mieux ne rien donner. Pour accomplir correctement le ratson Hachem, il nous faut utiliser les mots de la Thora comme guide. Cela signifie souvent demander à une autorité compétente, qui transmettra fidèlement le daat Thora.
Le rav Moché Feinstein ajoute l’exemple de la ra’hmanout (miséricorde) mal placée ; envers les mauvaises personnes. C’est un défaut qui a nui à d’illustres personnages dans l’histoire juive. L’exemple le plus connu est peut-être celui du roi Chaoul. Il reçut l’ordre divin d’anéantir tout le peuple d’Amalek, y compris les femmes, les enfants et les animaux. Chaoul vainquit l’armée d’Amalek et tua tout le monde, excepté le roi, Agag, ainsi que quelques animaux.[4]
La guemara explique le raisonnement a fortiori de Chaoul qui n’élimina pas tout le peuple. Il tira sa déduction de la mitsva de égla aroufa[5] — il s’agit d’une cérémonie solennelle qui avait lieu suite au décès d’une personne entre deux villes. Celle-ci montre l’intérêt que porte la Thora à la mort d’un seul homme et met l’accent sur la valeur de la vie humaine.[6]
Chaoul se dit que si la vie d’un individu est si chère, celles de toute une nation le sont d’autant plus[7]. La guemara ajoute que suite à cet argument « miséricordieux », une bat kol (voix céleste) dit : « Ne sois pas trop vertueux »[8]. À cause de son sentiment de pitié et de sa désobéissance, la royauté lui fut retirée. Quelles furent les conséquences de son erreur ? Agag eut un enfant et l’un de ses descendants fut Haman. Ainsi, la « compassion » de Chaoul a failli provoquer la destruction de tout le peuple juif.
Les deux exemples rapportés montrent comment le yétser hatov peut éloigner une personne du ratson Hachem. Ils sont particulièrement pertinents dans la société moderne, alors que des messages différents, voire opposés, sont prônés dans divers domaines, comme le rôle de l’étude de la Thora, du travail, de la technologie, etc.
Comment peut-on savoir si notre conception est conforme à celle de la Thora ou si elle suit les idées de notre yétser hatov[9] ? Ce n’est certes, pas simple, mais comme nous l’avons expliqué, la meilleure façon de discerner la vérité est de se tourner et de faire appel à des personnes plus versées dans l’étude de la Thora — c’est-à-dire les Guedolim et les talmidé ‘hakhamim. Sans leur guidance, on risque de ne pas utiliser notre yéster hatov correctement.
Puissions-nous tous mériter d’utiliser nos deux penchants pour accomplir le ratson Hachem.
[1] Yétser hatov et yétser hara.
[2] Sifté ‘Hakhamim, Devarim, 6:15, sk. 50.
[3] Darach Moché, Devarim, 6:15.
[4] Chemouel 1, Chap. 15.
[5] Littéralement, « génisse énuquée ».
[6] Voir Parachat Choftim, 21:1-9 pour les détails de cette mitsva.
[7] Yoma 22b.
[8] Partie d’un verset de Koheleth, Chap. 7.
[9] Inutile de préciser que ces inclinations sont influencées par plusieurs facteurs tels que la société dans laquelle on vit et certaines situations personnelles.