Dans la parachat Réé il est écrit : « Si ton frère, le fils de ta mère, si ton fils ou ta fille, ta femme ou ton ami vient secrètement te séduire, en disant : "Allons servir des dieux étrangers", que toi ni tes pères n’avez connus, tels que les dieux des peuples qui sont autour de vous, à proximité ou loin de toi, d’un bout à l’autre de la terre ; n’accepte pas, ne l’écoute pas, que ton œil n’aie pas pitié, ne l’épargne pas, ne dissimule pas son crime ; au contraire tu devras le tuer… ! » (Devarim, 13:7-10)Rachi explique, sur les mots « Ne l’écoute pas » : S’il te supplie de lui pardonner, comme il est dit : « Tu devras l’aider » — celui-ci, tu ne dois pas l’aider.

Sur les mots « Que ton œil n’aie pas pitié » : La Thora dit : « Ne sois pas indifférent au danger de ton prochain » – concernant cette personne, tu ne dois pas avoir pitié.

Sur les mots « Ne l’épargne pas » : Ne recherche pas ses mérites.

Dans la paracha de cette semaine, la Thora évoque les lois relatives au messith, celui qui tente de convaincre ses frères juifs de se tourner vers l’idolâtrie. La Thora nous demande de juger cet individu très sévèrement – plus encore que tout autre transgresseur.

Rachi explique les mots de la Thora montrant qu’il s’agit d’une exception aux règles générales d’interaction ; à son égard, aucune mitsva d’entraide ne s’applique. De plus, dans les autres cas de présumés coupables, le Tribunal est tenu de rechercher toutes les circonstances atténuantes possibles pour ne pas les mettre à mort. Mais en ce qui le concerne, elle nous ordonne de ne chercher aucun mérite. ‘Hazal affirment que cet homme est puni par les Cieux plus durement que les autres, parce qu’il a voulu écarter d’autres Juifs de la avodat Hachem, ce qui est extrêmement grave.

On l’apprend de Jéroboam, le premier roi du royaume d'Israël. Il entraîna les Juifs de cette région à s’adonner à l’idolâtrie et est l’un des trois rois que la michna[1] déclare exclus de Monde Futur. Selon ‘Hazal, il incarne l’archétype du racha[2], bien que d’autres rois aient commis de plus graves fautes, parce qu’il incita d’autres Juifs à pécher.

Le Alter de Kelm zatsal fait une remarque intéressante ; il souligne que la personne qui incite à la faute est jugée très rigoureusement, même s’il ne réussit pas, finalement, à faire trébucher d’autres personnes. Nous savons que mida tova mérouba mipouranout — la récompense pour les bonnes actions est proportionnellement plus grande que la punition pour les fautes. Ainsi, si quelqu’un tente de faire l’inverse du messith — à savoir, qu’il rapproche un Juif de la Thora, son salaire sera d’autant plus grand que la sanction du messith. Et, ajoute le Alter, c’est le cas même si le mékarev ne parvient pas à un résultat tangible. Ceci nous enseigne une leçon fondamentale – Hachem nous demande d’essayer d’accomplir Sa volonté. Le résultat n’est pas entre nos mains et est donc indépendant de la récompense que la personne recevra.

Ce principe fut évoqué par le rav Its’hak Hutner zatsal, dans une lettre au rav Moché Sherer zatsal[3]. Ce dernier a longuement œuvré pour recevoir des aides financières en faveur des écoles privées en Amérique, mais en vain. Rav Hutner lui rappela les trois règles énoncées par rav Israël Salanter concernant l’œuvre accomplie pour la communauté. L’une d’elles est de ne pas rechercher la réussite. Il souligna qu’Avraham Avinou n’a finalement pas sacrifié son fils Its’hak, mais le mérite de cette offrande lui est entièrement accordé. Et rav Hutner de conclure : « L’homme a l’obligation d’agir, pas d’accomplir. » Le reste est entre les mains d’Hachem.

Rav Sherer développe cette idée grâce à une guemara dans Berakhot[4]. Elle affirme que si quelqu’un prévoit de faire une mitsva, mais qu’il ne peut finalement pas l’accomplir, la Thora considère qu’il a tout de même mené son projet à bien. La guemara emploie l’expression « maalé alav », que l’on traduit par « on le considère comme », mais qui signifie littéralement « s’élève sur lui ». Ainsi, la récompense pour la mitsva inaccomplie est élevée au-dessus (elle est donc supérieure) de celle réalisée. Ceci, parce que la personne qui a voulu faire cette bonne action n’a même pas eu la satisfaction de l’avoir effectuée.

Nous avons expliqué que la personne qui incite à la faute est sévèrement punie, même si elle ne parvient pas à bout de ses efforts. Inversement, le mékarev est grandement récompensé, même s’il échoue dans son entreprise. Rav Hutner nous a appris que c’est le cas de toute personne qui souhaite s’élever spirituellement. Le ‘Hafets ‘Haïm zatsal précise, concernant l’étude de la Thora, que quand on quitte la Maison d’Étude, on dit : « Nous [ceux qui étudient la Thora] travaillons dur et ils [ceux qui recherchent la matérialité] travaillent dur. Nous peinons et recevons une récompense ; ils peinent et ne reçoivent pas de récompense. » Que signifie cette phrase ? Ceux qui travaillent et sont portés par la matérialité récoltent certainement les fruits de leur dur labeur !

Le ‘Hafets ‘Haïm explique que cette prière parle de celui qui fournit de gros efforts, mais n’atteint pas le résultat escompté (par exemple, celui qui essaie de construire une maison, mais qui n’y arrive pas). Il n’obtient aucun gain de tout son travail. En revanche, celui qui s’efforce de comprendre la Thora reçoit un grand salaire, même s’il ne parvient pas à éclaircir parfaitement l’ensemble du sujet ; ceci, parce que, comme le dit rav Hutner, Hachem juge l’effort. C’est ce qui nous est demandé, et la réussite dépend d’Hachem.

Puissions-nous tous mériter d’intérioriser cette leçon dans tous les domaines de la rou’haniout (spiritualité) et de déployer un maximum d’efforts pour nous rapprocher (et rapprocher nos frères Juifs) d’Hachem.



[1] Sanhédrin, 90a.

[2] Voir Pirké Avot, 5:21.

[3] Rav Sherer était le dirigeant de Agoudat Israël, il œuvra en faveur du monde orthodoxe, durant la deuxième moitié du XXème siècle.

[4] Berakhot, 6a. Voir aussi Kidouchin, 40a.