La paracha de cette semaine, Reeh, continue de passer en revue un grand nombre de mitsvot, et de thématiques centrales de la Torah. Il est difficile de choisir un thème en particulier mais, en cette veille de Roch Hodech Eloul, mois de le Techouva et du repentir, nous aimerions nous arrêter quelques instants sur une notion fondamentale de la Torah mentionnée dans notre sidra : la tsedaka.
Il n’est pas aisé de trouver une traduction adéquate au terme de tsedaka. Par commodité, et à défaut de trouver dans la langue française un meilleur terme, nous le traduisons par « charité » ou « générosité ». Ce terme n’est pas totalement satisfaisant dans la mesure où il semble suggérer que l’homme s’est départi de « son » argent pour le donner à autrui, qu’il était libre de ne pas le faire, mais par « générosité », il a décidé de se montrer généreux et de faire un « don » à autrui.
Or, le terme de « tsedaka » renvoie à une idée de « justice », comme si ce don n’était pas dépendant du « bon vouloir » de chacun, mais qu’il répondait à une « nécessité », à l’ordre des choses telle que l’Eternel le souhaite.
L’homme est ainsi invité à considérer qu’une partie de l’argent qu’il reçoit ne lui appartient pas mais qu’il est le canal par lequel D.ieu a décidé de distribuer de l’argent aux nécessiteux, ou à ceux qui étudient la Torah.
Il ne s’agit donc pas de considérer que nous renonçons à ce que nous « possédons », mais plutôt que nous contribuons à l’harmonie du monde en rendant ce que D.ieu nous a confié temporairement à ceux qui en sont les véritables destinataires.
Cela étant dit, la tsédaka est un acte très méritoire qui est récompensé dans la Torah par les bénédictions les plus belles et les plus puissantes. Nos Sages nous disent qu’elle est capable de « sauver de la mort » et qu’elle peut bouleverser le cours naturel du monde.
Notre paracha évoque précisément la tsedaka à plusieurs reprises.
Tout d‘abord avec la prescription du ma’asser (verser 10% de ses revenus à la tsedaka) : « Tu prélèveras la dîme du produit de ta semence, de ce qui vient annuellement sur ton champ […] » (Devarim 14. 22).
Et, un peu plus loin, la prescription plus générale de la solidarité avec les nécessiteux : « Que s'il y a chez toi un indigent, d'entre tes frères, dans l'une de tes villes, au pays que l'Éternel, ton Dieu, te destine, tu n'endurciras point ton cœur, ni ne fermeras ta main à ton frère nécessiteux. Ouvre-lui plutôt ta main ! Prête-lui en raison de ses besoins, de ce qui peut lui manquer! […] Non! Il faut lui donner, et lui donner sans que ton cœur le regrette; car, pour prix de cette conduite, l'Éternel, ton Dieu, te bénira dans ton labeur et dans toutes les entreprises de ta main. Or, il y aura toujours des nécessiteux dans le pays; c'est pourquoi, je te fais cette recommandation: ouvre, ouvre ta main à ton frère, au pauvre, au nécessiteux qui sera dans ton pays! » (Devarim 15. 7-11)
Ces mots merveilleux de la Torah sont suffisamment explicites et invitent à être médités avec soin afin que chacun se pénètre de l’idée que l’équilibre du monde repose sur cette capacité des hommes à ouvrir leur cœur aux besoins de leurs prochains, que ce soit un soutien matériel avec la tsedaka ou un soutien psychologique et moral avec les actes de bonté et de générosité « guemilout ‘hassadim ».
Ces mitsvot ont ceci de particulier qu’elles permettent à l’homme de raffiner considérablement ses traits de caractère et de l’éloigner d’une tendance naturelle à l’égoïsme et l’égocentrisme. Or cette capacité d’ouverture aux besoins d’autrui, de faire preuve d’empathie à son égard, procure un sentiment de profond accomplissement, de parvenir à coïncider avec la grandeur de notre âme.
De nombreux grands Maîtres du judaïsme se sont illustrés par l’attention scrupuleuse qu’ils accordaient à la tsedaka. R. Meir de Premishlan considérait ainsi que le mérite de la tsedaka était si fort qu’il ouvrait immédiatement les portes du Paradis à celui qui la pratiquait. Quelle chance et quel bonheur de pouvoir accomplir des mitsvot dans ce monde dont la récompense est si grande ! (Rav A. J. Twerski)
Toutefois, même dans la tsedaka, il est des manières de pratiquer cette mitsva qui décuple encore davantage les mérites de ceux qui la mettent en œuvre. Nos Sages nous disent ainsi que « celui qui donne de la tsedaka mérite 6 bénédictions, celui qui donne de la tsedaka et réconforte celui qui la reçoit mérite 11 bénédictions » (Traité Baba Batra 9b).
Aussi, même si la tsedaka est un acte méritoire en soi, il peut être encore plus approfondi s’il est accompli avec tact, sensibilité et empathie avec autrui. Celui agit ainsi ajoute au soutien matériel un soutien moral, il ajoute à la mitsva de « tsedaka », celle de « guemilout hassadim » (faire des actes de bonté et de générosité).
Or, agir avec bonté, faire preuve de « hessed » est au fondement de notre peuple, au cœur de notre ADN ; c’est même à travers cette qualité que l’on reconnaît un Juif, comme le disent nos Sages « Une carence dans la bonté et la générosité est un signe qu’il faut vérifier si la personne est vraiment juive » (Traité Yevamot 78b). Nous avons hérité cette disposition du cœur et de l’esprit de notre ancêtre Abraham qui s’était caractérisé tout particulièrement par un « hessed » extraordinaire à l’égard de chaque homme. Il a ainsi dévoilé la capacité infinie de bonté qui se loge dans l’âme de chaque homme et qu’il nous appartient de révéler.
Non seulement, l’homme qui pratique le hessed approfondit et raffine son être, mais en outre il entre en résonance avec « l’âme du monde », l’harmonie de la Création telle qu’elle a été voulue par D.ieu. En effet, ne l’oublions pas, « Olam ‘hessed Yibané » « Le monde a été créé par la bonté ». L’acte fondateur du monde et de l’humanité a été animé par la « bonté », le « hessed » divin et c’est grâce à cette disposition que le monde est renouvelé chaque jour, et que la vie nous est prêtée à chaque instant. Lorsque nous agissons nous-mêmes avec « hessed » nous justifions pleinement la raison d’être du monde, notre vie se met à alors au diapason de l’équilibre du monde, et de l’harmonie universelle.
En cette veille du nouveau mois de Eloul, durant lequel nous sommes invités à nous repentir de nos fautes et à revenir vers D.ieu, rappelons-nous que la Tsedaka est précisément, à côté de la Tefila (la prière) et la Teshouva (le repentir des fautes), un des vecteurs privilégiés mentionnés par nos Sages pour permettre à l’homme de se rapprocher de Son créateur. Le prophète Malachie le mentionne explicitement : « Sur quoi devons-nous revenir ? […] Apportez toutes les dîmes dans le lieu du dépôt, pour qu'il y ait des provisions dans Ma maison, et attendez-Moi à cette épreuve, dit l'Eternel-Cebaot: [vous verrez] si Je n'ouvre pas en votre faveur les cataractes du ciel, si Je ne répands pas sur vous la bénédiction au-delà de toute mesure. » (Malachie 3. 7-10)
Comme nous le voyons, il n’est pas de lien plus fort que l’homme puisse tisser avec l’Eternel que celui du hessed et de la bonté. Le ‘Hozé de Lublin, un grand maître de la Torah, témoignait que les actes de Tsedaka et de générosité contribuaient à illuminer le Ciel chaque fois qu’ils étaient accomplis.
Aussi, l’homme qui s’ouvre aux besoins d’autrui élève son humanité au niveau le plus haut, il construit son bonheur dans ce monde et bâtit le palais qui l’attend dans le monde futur (‘Hafetz Hayim).
Nous ne trouverons pas de meilleure conclusion que ces mots merveilleux de Rav Dessler : « Donner est le propre de celui qui est heureux de son sort. Sa joie est celle de la quête spirituelle qui estompe toute autre recherche. Il est comme un fleuve qui déborde partout sous l’afflux de ses eaux vives. Son cœur s’élargit aux dimensions de son bonheur, il veut y faire baigner tous ceux qu’il aime. De cette plénitude de joie et de bonheur découlent le don de soi et l’amour ». (Mikhtav Me Eliahou, Le discours sur la bonté)