Nous ouvrons cette semaine, avec l’aide d’Hachem, un nouveau livre de la Torah, le dernier du pentateuque, le livre de Dévarim (Deutéronome). Contrairement aux livres précédents qui formaient une continuité, ce livre propose un condensé des épisodes et des lois exposés précédemment lors des livres de Chémot, Vayikra et Bamidbar.
Nos Sages nous font remarquer que ce livre est destiné plus particulièrement à la génération qui va entrer sur la terre d’Israël, et qui se destine donc à former une nouvelle société. Le livre de Dévarim va ainsi s’attacher plus particulièrement à rappeler les lois essentielles qui doivent présider à l’établissement d’une société conformément à l’esprit de la Torah.
Par exemple, notre Paracha nous propose un rappel des règles fondamentales relatives au fonctionnement de la justice et aux compétences des juges dans la société souhaitée par la Torah.
Les premiers mots de la Paracha de cette semaine contiennent des remontrances déguisées de Moché Rabbénou à l’encontre du peuple qu’il réunit en grande assemblée afin de lui donner ses dernières recommandations. Moché ouvre son discours avec une énumération de lieux qui évoquent des fautes commises par les Bné Israël dans le passé : les différentes rebellions du peuple dans le désert, la faute des explorateurs, celle du veau d’or, la révolte de Kora’h…
Nos Sages se sont intéressés à cette démarche particulière de Moché Rabbénou qui consiste d’une part à attendre ses dernières heures pour faire des remontrances au peuple, et d’autre part à faire des reproches de manière indirecte à travers des noms de lieux associés à des fautes.
Voici une première explication donnée par Rachi à la raison pour laquelle Moché ne procède que par allusion :
Celles-là sont les paroles : Etant donné que ce qui va suivre est constitué par des remontrances, et que le texte énumère ici tous les lieux où ils ont irrité Hachem, il les dissimule et ne les cite que par des allusions, afin de ménager l’honneur d’Israël (Sifri).
Moché Rabbénou est donc préoccupé par l’honneur des Bné Israël. Il ne souhaite pas les humilier inutilement en leur rappelant les lieux de leur inconduite de manière explicite. Il pense qu’il suffit de suggérer les endroits où ils ont fauté par allusion, afin qu’ils se souviennent de leurs fautes et les regrettent. De même, Moché attend les derniers moments de sa vie pour réprimander le peuple afin que celui-ci n’ait pas honte à l’avenir en le croisant.
Ces égards de Moché sont non seulement une formidable leçon de savoir-vivre, mais également une leçon d’amour et de respect des hommes, furent-ils des pêcheurs. En effet, la tentation peut être grande d’accabler quelqu’un qui a fauté, non pas par malveillance, mais parfois en pensant que seule une « bonne leçon » est susceptible de faire évoluer les hommes et les amener à mesurer leurs fautes. Moché ne raisonne pas de cette manière. Il tient compte en priorité de la dignité des hommes, de leur amour-propre. Il pense que c’est en ménageant leur susceptibilité et leur honneur qu’il pourra les tirer vers le haut.
Réprimander est ainsi un art difficile à maîtriser qui requiert non seulement du tact et de la délicatesse, mais avant tout un très grand amour vis-à-vis des de la personne à qui on adresse des remontrances.
Il est également indispensable de bien connaître ses interlocuteurs et notamment leur disposition à écouter des remontrances. En effet, une réprimande inopportune, formulée à un moment où l’homme n’est pas en mesure d’accueillir cette parole ou de la comprendre, est vouée non seulement à l’échec mais risque en outre de créer du ressentiment et de l’animosité entre les hommes.
Voilà pourquoi nos Sages nous enseignent même qu’il est méritoire de s’abstenir de dire une chose qui ne sera pas écoutée.
Cette disposition à écouter les remontrances n’est pas facile à acquérir. Notre Paracha nous en donne un premier exemple puisque même la génération de Moché, qui avait atteint un très haut niveau spirituel, n’était pas capable d’accueillir frontalement les remontrances de Moché qui a dû recourir à des allusions. Les Sages du Talmud évoquent également la difficulté de leurs générations respectives à écouter et accepter les remontrances.
Il s’agit d’un défi perpétuel pour les hommes d’accepter la remise en cause sans en concevoir de l’amertume, ou pire, du ressentiment. Ce travail est pourtant essentiel car il permet à l’homme de s’améliorer, de progresser et de s’engager dans un processus de perfectionnement permanent. Rabbi Moché Haim Luzzato souligne ainsi que la capacité à accepter des remontrances sans haine est le meilleur signe d’amour et d’amitié entre les hommes.
Cette réflexion prend un sens tout particulier à l’approche de Ticha Béav, car nos Sages déclarent : « Jérusalem n’a été détruite que parce que ses habitants ne se réprimandaient pas pour leurs fautes »(Talmud, traité Chabbath, 119b).
L’absence de réprimandes face aux fautes de son prochain est non seulement le signe d’une résignation, mais aussi d’un désintérêt et d’une indifférence pour son prochain.
La journée de Ticha Béav peut être l’occasion d’une réflexion sur notre capacité à entendre les remontrances sans en prendre ombrage, et sans chercher à savoir si celui qui les formule est suffisamment irréprochable pour nous les adresser.
Au-delà des remontrances qui viennent de l’extérieur, l’homme doit aussi réfléchir sur sa capacité à entendre les conseils venant de l’intérieur, de notre petite voix intérieure qui nous suggère bien souvent comment agir, parler, nous comporter etc., sans que nous sachions toujours l’écouter (Rabbi M. Miller).
Puisse Hachem nous permettre de bâtir des relations harmonieuses au sein du Klal Israël, et qu’Il nous aide à nous parfaire et à écouter les conseils de nos proches. Nous pourrons ainsi créer et diffuser « l’amour gratuit » entre les Bné Israël, susceptible de hâter la venue du Machia’h et la reconstruction tant attendue du troisième Temple.