« Si l’on trouve, dans la terre qu’Hachem, ton D., te donne en possession, un cadavre gisant en plein champ, et que l’auteur du meurtre est resté inconnu, tes Anciens et tes juges sortiront et mesureront la distance jusqu’aux villes situées autour du cadavre. » (Devarim 21:1 -2)

« Et tous les Anciens de la ville en question, voisins du cadavre, se laveront les mains sur la génisse dont on a brisé la nuque dans le bas-fond. Ils déclareront : "Nos mains n’ont pas répandu ce sang-là, et nos yeux n’ont pas vu." » (Devarim, 21:6 -7)

Rachi explique sur les mots « Nos mains n’ont pas répandu » : Aurait-on pu penser que les Anciens du Beit Din étaient des meurtriers ? Mais [ils disaient] : "Nous ne l’avons pas vu [le voyageur] et nous ne l’avons pas laissé partir sans vivres et sans accompagnement.

La paracha se termine par les lois de la égla aroufa (génisse énuquée) à appliquer si quelqu’un est trouvé mort en dehors d’une ville. Les Anciens de la ville doivent déclarer qu’ils ne sont pas responsables de ce meurtre. Rachi, sur la base de la guemara [1], note qu’il est évident que les Anciens n’ont pas commis un tel crime, le but de leur déclaration est de se mettre à l’abri de tout soupçon ; qu’ils ne soient pas accusés de n’avoir pas agi comme ils le devaient à l’égard du visiteur – le raccompagner et lui donner de la nourriture pour la route. Comment ce manque d’attention peut-il nous faire penser à un meurtre ?

Le séfer Darké moussar propose une réponse éloquente [2]. Il explique que si les Anciens n’avaient pas donné de la nourriture et n’avaient pas raccompagné le voyageur, cela aurait effectivement ressemblé à un meurtre, à leur niveau. C’est considéré comme un avizarayhou du meurtre – c’est-à-dire une extension du concept de base, incluant d’autres types de comportement, qui sont des manifestations du défaut présent dans la faute. Nous avons expliqué dans un précédent article que selon le Rambam, chaque faute comporte plusieurs ramifications qui en sont, en quelque sorte, un reflet. C’est ainsi qu’il expliquait pourquoi nous confessons plusieurs fautes dans le vidouï, même si nous ne les avons pas réellement commises. Dans cet ordre d’idées, le meurtre est l’expression extrême du manque de considération vis-à-vis d’une vie humaine. Mais le point de départ du meurtre peut se cacher dans des fautes moins graves, comme le manque d’attention ou de soin à l’égard d’autrui qui est créé à l’image de D. Les hommes prestigieux comme ces Anciens étaient accusés d’avoir joué un rôle dans la mort du voyageur s’ils ne lui accordaient pas suffisamment d’attention.

Le séfer Darké moussar poursuit en affirmant que si les Anciens étaient coupables d’un acte ressemblant à un meurtre, cela pouvait avoir des conséquences fâcheuses sur les autres habitants de la ville. Ceci, parce que le comportement des plus vertueux de la communauté influence tous ses membres. Si les Anciens montraient une faille minime dans leur appréciation de la vie, chacun risquait de moins respecter la vie de son prochain. Cela pouvait se répercuter sur les personnes moins éminentes, au point qu’un homme pouvait véritablement en tuer un autre.

Ce développement nous enseigne deux leçons fondamentales. Tout d’abord, les personnes de haut niveau spirituel doivent être extrêmement conscientes de l’impact de leurs actions ; leurs faits et gestes ne se font pas en vase clos. Ainsi, chaque renforcement de leur niveau peut avoir des conséquences positives sur leur entourage et inversement, tout relâchement peut nuire aux autres. Le second enseignement à tirer concerne l’importance à accorder à la vie de notre prochain. Cela s’applique aux visiteurs, ou à ceux qui ont récemment rejoint notre quartier. Il est important de se focaliser sur de telles personnes, étant donné leur situation « pénible ». Ils arrivent dans un endroit nouveau, où ils ne connaissent personne — les accueillir chaleureusement et leur proposer de s’asseoir ou de manger les réconforterait certainement.

Il existe plusieurs cas de personnes de passage dans des communautés ou dans des synagogues qui furent ignorées par les fidèles. Ces histoires eurent parfois de tristes retombées. Une fois, la personne offensée écrivit une longue lettre de sévères blâmes au  rabbin de la synagogue. Aussi, un accueil froid et distant peut gêner une personne qui refusera peut-être de se joindre à une communauté qui aurait pu aider sa famille à s’élever spirituellement. Inversement, de nombreuses autres personnes furent grandement encouragées par un mot gentil. À la suite du décès d’un homme vertueux, plusieurs inconnus vinent pleurer sa mort – ils étaient, pour la plupart, des employés subalternes. Ils firent savoir que son contact chaleureux et sa sollicitude les avaient beaucoup réconfortés, la plupart des autres gens agissant comme s’ils n’existaient pas. De même, un accueil cordial réservé à un nouveau membre de la communauté peut énormément jouer sur son intégration.

Puissions-nous tous mettre cette leçon en application et considérer chacun avec le respect et l’attention qu’il mérite.


[1] Sota, 45 b.

[2] Rapporté dans Léka’h Tov, Devarim 2, p 40-41. On y rapporte une autre réponse au nom du Alter de Kelm zatsal.