Les semaines se suivent et nous assistons à une série de miracles plus étonnants les uns que les autres. Jamais, dans l’histoire de l’humanité, un peuple ne connaîtra une telle intensité dans la manifestation de la présence Divine.
Après être sortis d’Egypte à travers une série de miracles prodigieux, après avoir traversés à pieds secs la mer des Joncs qui s’est ouverte devant eux, les Bné Israël s’apprêtent à vivre collectivement une expérience hors norme : le don de la Torah, et notamment l’apparition dans le monde de la parole Divine.
Déjà, la semaine dernière, nos Sages nous disaient que même une servante qui a traversé la mer a vu une apparition de la Majesté Divine encore plus éclatante que ce que les prophètes d’Israël verront plus tard dans toute l’histoire, et même le prophète Yé'hezkel qui avait eu pourtant une vision particulièrement précise du char céleste (Rachi et Mékhilta sur Chémot 15.2).
Cette semaine, la manifestation de la parole de D.ieu est une expérience tellement forte qu’elle provoque la mort immédiate de toux ceux qui l’entendaient. Cette parole excédait littéralement les capacités de l’être humain. Il fallut, un miracle, à deux reprises, pour redonner la vie à l’ensemble du peuple, et avant que ce dernier ne délègue Moché Rabbénou comme interprète afin de rendre la parole de D.ieu adéquate aux oreilles des hommes.
C’est dire si les révélations successives auxquelles assistent les Bné Israël sont puissantes et grandioses, et ne laissent aucune place doute ou à la moindre ambiguïté !
Pourtant ce qui intrigue dans cette histoire, c’est le revirement d’état d’esprit à l’égard d’Hachem que les enfants d’Israël vont opérer assez rapidement, d’abord au sujet de la manne, puis tout au long des 40 années de traversée du désert. Comment expliquer ces épisodes de rébellion où la mauvaise foi le disputait à l’ingratitude ? Comment comprendre qu’après avoir vécu des miracles si intenses, les enfants d’Israël ont semblé remettre en cause la providence divine ? Et surtout, comment la terrible faute du veau d’or qui se profile dans quelques semaines a-t-elle pu être possible après une telle révélation ?
L’étude du Daf Hayomi (étude quotidienne d’une page de Talmud) de ces derniers jours nous donne certaines pistes de réflexion fécondes pour essayer de décoder ces mystères.
En effet, les maîtres du Talmud nous expliquent que suite à la faute du veau d’or, Moché s’est lancé dans une grande plaidoirie en faveur des enfants d’Israël. Un de ses arguments était le suivant : « Maître du monde, c’est à cause de tout l’or et l’argent que Tu as donné aux enfants d’Israël jusqu’à ce qu’ils disent "ça suffit" qu’ils ont fait la faute du veau d’or » (Traité Brakhot 32a). Moché faisait allusion non seulement à toutes les richesses données par les Egyptiens avant leur départ, mais aussi au butin perdu par les Egyptiens après s’être noyés dans la mer. Selon Moché Rabbénou, cette abondance de richesse a perturbé les Bné Israël et leur a donné les moyens matériels de réaliser ce funeste veau d’or.
Les maîtres du Talmud nous donnent ensuite une parabole pour comprendre l’attitude des enfants d’Israël : « Cela ressemble à un père qui avait un fils ; le père avait l’habitude de laver son fils, il le frictionnait avec de l’huile, lui donnait à boire et à manger, et suspendait à son cou une bourse d’argent, puis le plaçait devant une maison de débauche. Comment dans ces conditions, le fils peut-il se retenir de fauter ? » (Traité Brakhot 32a).
Nos Sages nous enseignent que l’attitude de ce père généreux envers son fils contient des points communs avec les diverses bontés qu’Hachem a prodiguées au peuple à leur sortie d’Egypte. Il les a « lavés » de leurs fautes, Il leur a donné chaque jour à manger de la manne, Il leur a fait bénéficier de l’or et l’argent des Egyptiens, alors qu’ils vivaient dans une région d’idolâtres, près des filles de Midyan (Sifté 'Hakhamim, rapporté par le Pr. F. H Lumbroso, Récits talmudiques commentés).
Ce que soulignent ainsi les Sages c’est le décalage entre les efforts fournis par les Bné Israël et le niveau spirituel qu’ils avaient atteint. Tout se passe comme si leur ascension spirituelle jusqu’à la révélation du Sinaï cette semaine leur avait été offerte sur un plateau sans exiger d’efforts réguliers de leur part. Or, un homme ne peut se transformer intrinsèquement s’il ne fournit pas lui-même les efforts nécessaires à son élévation spirituelle (Si'hot Moussar, Rav. H. Chmoulevitch, adapt. Pr F. H . Lumbroso).
Voilà pourquoi la servante qui avait pourtant vu tous ses miracles en s’est pas transformée en prophétesse pour le restant de ses jours, mais elle est restée servante. A peine la vision s’est-elle évanouie, qu’elle retourna à ses habitudes de servante. L’homme a beau être témoin de miracles, percevoir la main de D.ieu dans le cours de sa vie, entendre la voix de D.ieu, s’il n’a pas fait un travail intérieur de préparation, d’efforts personnels pour accueillir cette vision et lui donner une postérité, une pérennité, il restera dans son état antérieur et ne sera pas modifié par son expérience.
Voilà pourquoi également les enfants d’Israël ont pu faire preuve d’une telle ingratitude par la suite, et commettre la faute du veau d’or. Ils avaient, certes, parcouru collectivement en tant que peuple un grand chemin depuis leur sortie d’Egypte, et leur mérite est incontestable, notamment du point de vue de leur capacité à former un peuple uni, solidaire. Cette grande qualité leur a valu cette expérience extraordinaire du don de la Torah.
Mais, il n’en demeure pas moins que les miracles auxquels ils avaient assisté collectivement n’étaient pas proportionnels à leur progression spirituelle personnelle et à leurs efforts de construction intérieure. Il est d‘ailleurs significatif à cet égard que ce soit le « 'Erev Rav » qui soit à l’origine de la faute du Veau d’Or. Ils ont été accueillis dans le peuple Juif et ont assisté à tous les miracles mentionnés précédemment sans avoir dû accomplir le travail intérieur qu’avaient fait les enfants d’Israël en Egypte, notamment avec le Korban Pessa’h. Ils avaient certes témoigné d’une certaine bonne volonté et d’un début de réveil intérieur, mais cette étincelle exigeait d’être entretenue, développée, amplifiée, elle devait se transformer en un feu intérieur qui aurait modifié profondément tout leur être. Cela n’a pas été le cas, et, face à l’épreuve, ils ont chuté car leur ascension n’était pas le fruit de leurs efforts, de leur travail, de leur labeur personnel.
La foi n’est pas un don, mais une conquête pour laquelle l’homme doit redoubler d’efforts toute sa vie.
C’est ainsi que nos Sages nous mettent en garde et nous disent que, en matière spirituelle : « Si on te dit je n’ai pas fait d’efforts et j’ai réussi, ne le crois pas ! mais si on te dit « j’ai fait des efforts et j’ai réussi, crois-le » (traité Méguila 6b). Il peut en être différemment dans le monde matériel, où les résultats peuvent parfois être indépendants des efforts fournis. Mais, en matière spirituelle, un homme ne peut réussir à progresser et à changer sa nature que s’il fournit des efforts.
L’homme est doté de merveilleuses ressources dans sa Néchama (âme) qui ont vocation à l’élever spirituellement. Mais il doit également être conscient de toutes ses imperfections, tous les traits de caractère qu’il doit travailler, corriger, parfaire. Ce travail ne peut se faire sans peine.
Mais l’homme n’est pas seul, il est accompagné dans ce chemin ambitieux par le Maître du monde qui à lui offert un mode d’emploi : l’étude de la Torah, l’accomplissement des Mitsvot, le raffinement progressif de ses qualités de cœur et de générosité. Chacun part d’un niveau différent selon son éducation, son environnement, sa sensibilité, mais ce qui importe aux yeux du Tout Puissant ce n’est probablement pas tant que tout le monde arrive au même point d’arrivée, que de constater l’effort que chaque homme, pris dans sa singularité, a été prêt à accomplir pour se transformer.
En effet, l’homme n’est pas responsable de son niveau spirituel d’origine, mais il est responsable des efforts qu’il va déployer pour s’améliorer et grandir spirituellement. C’est là également le sens de cette remarque de nos Sages : « Tout est entre les mains de D.ieu sauf la crainte du Ciel » (traité Brakhot 33b). La véritable mission de l’homme sur terre, et sa responsabilité fondamentale, consiste à essayer de se rapprocher du Maître du monde et à développer en lui la conscience de la providence Divine.
Cela requiert des efforts, une démarche régulière, constante qui se nourrit, par exemple, des prières que l’on adresse à l’Eternel tout au long de la journée et qui doivent être récitées avec une certaine concentration et non de manière mécanique, qui se nourrit également de l’étude de la Torah, de l’enseignement des Rabbanim, de leur fréquentation, de l’accomplissement des Mitsvot et des progrès que l’on peut faire dans ce domaine, du raffinement de notre sensibilité, de notre empathie et de notre bonté.
Les progrès qu’un homme accomplit dans ces domaines sont extrêmement précieux et chers aux yeux du Créateur, car très improbables. La nature humaine encourage bien souvent l’homme à persévérer dans sa nature, à choisir la voie de la facilité, à privilégier son propre intérêt. Lorsque l’homme s’arrache à ses habitudes pour ajouter une nouvelle Mitsva, pour progresser dans son lien avec l’Eternel, lorsqu’il combat son Yétser Hara’ pour mettre un terme à de mauvaises habitudes, il peut être sûr que sa progression sera durable et qu’elle portera des fruits qu’il ne soupçonne même pas.
Puisse l’Eternel nous donner la sagesse, la force de caractère et la lucidité de nous engager dans cette voie, et permettre à chacun, à son niveau, de dévoiler les richesses et la lumière que son âme portait depuis l’origine.