La Torah nous raconte qu’Hachem choisit un jeune homme prénommé Betsalel pour construire le Michkan. Le Midrach souligne que le nom de son grand-père est mentionné, ce qui est assez inhabituel (généralement, on désigne une personne en précisant le nom de son père uniquement). Il explique que c’est par le mérite de ’Hour [le grand-père] que Betsalel fut choisi pour cette mission. Quel fut ce mérite ? Lorsque le peuple voulut fabriquer le veau d’or, il fit appel à ’Hour[1] pour qu’il remplace Moché par une entité physique qui servirait d’intermédiaire entre lui et Hachem[2]. ’Hour refusa catégoriquement et réprimanda ses frères. Ceux-ci, outrés, le tuèrent[3]. C’est ce qui le rendit digne d’avoir un petit-fils bâtisseur du Michkan.[4]
Le Daat Zékénim ajoute que Moché s’attendait à recevoir cette noble tâche – celle de construire le Michkan. Il savait que ce n’était pas des talents d’architecte qui étaient nécessaires pour ceci, mais une noblesse spirituelle pour cet édifice d’une sainteté extrême. Or Hachem l’informa que ce ne serait pas lui, mais le jeune Betsalel qui serait élu. En quoi son mérite dépassait-il celui de Moché ?[5]
Établissons tout d’abord le lien entre le veau d’or et la construction du Michkan. Plusieurs commentateurs affirment que ce dernier servit d’expiation pour la faute du veau d’or[6]. Le Beth Halevi détaille ce sujet et précise qu’au départ, les motivations des Bné Israël étaient pures ; ils pensaient que Moché était mort et ils voulaient le remplacer par une entité physique qui pourrait faire office de résidence de la Chékhina (Présence divine). C’est pour cela qu’ils demandèrent à Aharon de le faire – celui-ci étant la personne le plus vertueuse qui restait, avec les connaissances les plus profondes du monde spirituel. D’ailleurs, le veau d’or avait une force spirituelle très grande.
Mais ils commirent une erreur fatale. Il manquait une condition sine qua non pour que leur action ait un effet positif ; il fallait que celle-ci provienne d’un ordre d’Hachem. Or ce n’était pas le cas (au contraire, ils avaient été soumis à l’interdiction de fabriquer une image, un emblème). Donc en dépit de leurs nobles intentions, cet acte fut terriblement grave.
Ainsi, leur faute consista à agir sur la base de leur propre intellect, alors qu’il contredisait la volonté d’Hachem. Le Michkan expia cette faille ; sa construction impliquait de nombreux commandements, dans bien des domaines, sur plusieurs aspects. À maintes reprises lors de l’édification du Michkan, la Torah précise que les Bné Israël agirent « exactement comme l’avait demandé Hachem ». Cela prouve qu’ils se soumirent à D.ieu et c’est ainsi qu’ils corrigèrent la faute du veau d’or.
Pour revenir à ’Hour et à son mérite, le Méchekh ’Hokhma explique la mention du nom du grand-père ainsi que de la tribu de Yéhouda. Ce dernier (et ses descendants) excella dans cette capacité à se sacrifier pour accomplir la volonté divine, sans faire intervenir la logique humaine, sans chercher à rationaliser, à justifier les choses. Prenons pour exemple, l’épisode de la traversée de la Mer Rouge. Chaque tribu estimait qu’il était normal qu’une autre commence à entrer dans l’eau, donc personne n’osait faire le premier pas, jusqu’à ce que Na’hchon ben Aminadav (issu de Yéhouda) s’engage[7]. Les arguments des uns et des autres étaient certainement justifiés, mais seul Na’hchon eut la force d’accomplir le Ratson Hachem sans savoir ce qui allait se passer. C’est sa Émouna pure qui entraina cette Messirout Néfech (don de soi)[8].
’Hour aussi fut doté de cette qualité. Quand le peuple lui demanda de fabriquer un intermédiaire pour remplacer Moché, il savait certainement que son refus représenterait un grand danger. Mais il ne fit aucun calcul. Sa Émouna fut infaillible, il sacrifia sa vie. Et son acte ne fut pas vain. C’est cette Messirout Néfech qui rendit son petit-fils digne de construire le Michkan. Comme l’a expliqué le Beth Halévi, le Michkan est le symbole de la Émouna sincère qui ne laisse pas sa place au raisonnement humain. Betsalel était donc la personne appropriée pour enseigner cette confiance en D.ieu.[9]
Il est vrai que le judaïsme encourage la réflexion et la compréhension. La Torah ne prône pas la foi aveugle ou le fait d’observer les Mitsvot simplement parce qu’on y a été habitué depuis notre enfance. Mais quand on s’engage à respecter les Lois de la Torah, il est essentiel de savoir soumettre son opinion à celle de la Torah, reconnaître les limites de l’être humain. Si on est trop dépendant de sa propre logique, on risque de mal utiliser son intellect et de justifier un acte incorrect ou interdit.
[1] ’Hour était le fils de Kalev et Myriam, donc le neveu de Moché et Aharon. Il dirigea le peuple avec Aharon quand Moché était sur le mont Sinaï.
[2] Voir Ramban, 32:1 qui précise que le people ne voulait pas construire une idole, mais une sorte d’intermédiaire pour remplacer Moché.
[3] Vayikra Raba, 10:3, rapporté par Rachi, Chémot, 32:5.
[4] Chémot Raba, 48:3.
[5] Daat Zékénim Mibaalé Tossefot, Chémot, 35:30.
[6] Sforno, 31:18, Daat Zékénim, ibid.
[7] Bamidbar Raba, 13:7.
[8] La Guémara affirme d’ailleurs que cet acte permit à la tribu de Yéhouda d’être élue pour la royauté.
[9] Méchekh ’Hokhma, 35:30.