La paracha "Vaéra" explique que Moché s’exprima ainsi devant l’Éternel : « Quoi ! Les enfants d’Israël ne m’ont pas écouté et Pharaon m’écouterait, moi qui ai la parole embarrassée ! » (6, 12)
On raconte que chaque soir, Rabbi Israël de Viznitz zatsa”l avait coutume de faire une promenade d’une demi-heure en compagnie de son bedeau. Durant l’une de ces marches, ses pas les menèrent devant la demeure d’une grosse fortune locale, le directeur de la banque, un Juif assimilé qui ne comptait certainement pas parmi ses fidèles. Voilà pourquoi, le bedeau fut extrêmement étonné de voir son maître frapper à la porte de cet homme et entrer dans la somptueuse demeure sur l’invitation de la gouvernante. Mais il n’osa pas lui en faire la remarque et se contenta de le suivre.
Quand le maître de maison vit le Rabbi entrer soudainement dans son salon, il se précipita à sa rencontre et l’accueillit avec tous les honneurs car c’était un homme courtois. Rabbi Israël s’assit sur le siège qu’il lui présenta mais garda le silence. N’osant pas demander au Rabbi que lui valait l’honneur d’une telle visite, il interrogea discrètement le bedeau, mais celui-ci avoua qu’il n’en avait pas la moindre idée. Quelques instants plus tard, le Rabbi se leva de son siège, prit congé de son hôte, et se dirigea vers la sortie. Par déférence pour ce dernier, le banquier l’accompagna jusqu’à sa demeure.
Arrivé devant la porte du juste, il se tourna vers lui et, incapable de retenir sa curiosité plus longtemps, lui demanda :
« Pardonnez ma question, Rabbi. Mais pour quelle raison m’avez-vous honoré de votre présence, ce soir ?
— Je suis venu chez toi pour accomplir une bonne action et, D.ieu merci, je l’ai accomplie, répondit le juste.
— Quelle bonne action ? s’étonna le banquier.
— Nos Sages ont enseigné : "Tout comme il y a une mitsva de dire une parole qui est susceptible d’être écoutée, il y a une mitsva de s’abstenir de dire une parole qui n’est pas susceptible d’être écoutée." Je me suis donc déplacé chez toi pour accomplir la seconde partie de cet adage, à savoir la mitsva de s’abstenir de prononcer une parole qui n’est pas susceptible d’être écoutée…
— Mais… protesta l’homme. Si le Rabbi me révélait cette parole en question, peut-être l’écouterais-je ?
— Non, déclara Rabbi Israël, je suis persuadé que tu ne l’écouteras pas. »
Et plus le juste s’entêtait dans son refus, plus la curiosité du banquier grandissait et plus il suppliait son visiteur de lui dévoiler cette fameuse « parole qui n’était pas susceptible d’être écoutée ». Finalement, Rabbi Israël céda et déclara :
« Unetelle, une veuve sans le sou, doit à votre banque une somme importante pour un crédit immobilier qu’elle a contracté. Or, comme elle n’a pas de quoi honorer sa dette, d’ici quelques jours, votre établissement va vendre sa maison aux enchères et cette pauvre femme va se retrouver à la rue. Je désirais te demander de lui pardonner sa dette, mais je ne t’ai pas exprimé ma requête, sachant que tu refuserais certainement de l’exaucer.
— Votre honneur, protesta le banquier, comment pouvez-vous me demander une telle chose ? Ce n’est pas à moi que la veuve doit cet argent, mais à la banque dont je ne suis que le directeur et non pas le propriétaire ! Qui plus est, il s’agit d’une somme de plusieurs milliers de roubles…
— C’est bien ce que je pensais, l’interrompit Rabbi Israël, tu n’allais certainement pas accepter une telle requête ! »
Sur ce, le Rabbi tourna les talons et poussa la porte de sa demeure, mettant fin à la discussion.
Quant au banquier, il rentra aussi chez lui, le coeur lourd. Les paroles du saint homme l’avaient atteint comme une flèche en plein coeur et ne lui laissaient aucun répit. Tant et si bien qu’après maintes réflexions, il prit la décision de couvrir la dette de la nécessiteuse de sa propre poche et la veuve put ainsi rester dans sa maison.