« C’est pourquoi, dis aux enfants d’Israël : "Je suis Hachem ! Je vous ferai sortir de sous les fardeaux de l’Égypte, Je vous sauverai de leur servitude, Je vous délivrerai d’un bras étendu et avec de grands jugements. Je vous prendrai pour Moi comme peuple, Je serai pour vous D.ieu, vous saurez que Je suis Hachem votre D.ieu qui vous fais sortir de sous les fardeaux de l’Égypte. Je vous ferai venir au pays [au sujet du]quel J’ai levé Ma main pour le donner à Avraham, à Its’hak et à Ya'acov. Je vous le donnerai en héritage, Je suis Hachem." » (Chémot 6,6-8)
Le Ba'al Hatourim explique qu’il y a deux héritages (Morachot) : celui mentionné dans ces versets (« Je vous le donnerai en héritage ») et « La Torah que Moché a ordonnée est un héritage pour la congrégation de Ya'acov »[1]. En effet, ils hériteront de la Terre par le mérite de la Torah… Le mot employé est « Moracha » et non « Yéroucha » pour nous montrer qu’ils la posséderont, mais qu’ils ne la recevront pas concrètement ; en effet, ils [les gens qui sortirent d’Égypte] n’entrèrent pas dans la Terre.
Hachem ordonna à Moché Rabbénou de dire au peuple juif qu’Il allait le faire sortir d’Égypte et le faire entrer en Erets Israël, pour leur donner le pays en Moracha. La Guémara[2] répond, grâce à ce verset, à la question suivante : la Terre sainte fut-elle donnée aux Juifs qui sortirent d’Égypte puis répartie parmi leurs descendants ou bien fut-elle directement donnée à ceux qui y entrèrent ? La Guémara explique que l’emploi du mot Moracha plutôt que Yéroucha montre qu’il ne s’agit pas d’un véritable héritage. Ce terme indique que la Terre ne fut réellement donnée qu’à ceux qui y entrèrent. La génération qui sortit d’Égypte transmit l’héritage à la génération suivante, celui-ci leur était destiné, mais ne leur appartenait pas vraiment encore.
Rav Issakhar Frand explique que Moracha signifie « legs, patrimoine ». Donc l’individu ne possède pas nécessairement l’objet de l’héritage, mais il reçoit la possibilité de le transmettre à la génération suivante. Une Yéroucha est un bien concrètement transmis, donné dans les mains du successeur.
Le Ba'al Hatourim souligne que le mot Moracha apparaît seulement deux fois dans la Torah. La deuxième mention de ce mot se trouve dans le célèbre verset : « Torah Tsiva Lanou Moché Moracha Kehilat Ya'acov – La Torah que Moché a ordonnée est un héritage pour la congrégation de Ya'acov. » Ce verset nous enseigne que le peuple héritera de la Terre sainte par le mérite de la Torah (Ba'al Hatourim). Le Chémen Hatov[3] fait le lien entre la Moracha de la Terre d’Israël et celle de la Torah.
Comme nous l’avons expliqué plus haut, les personnes qui sortirent d’Égypte n’étaient liées à la Terre qu’à un niveau de « Moracha ». – ils n’ont pas vraiment acquis la Terre, mais la possédaient suffisamment pour pouvoir la transmettre à leurs enfants. C’est un peu ce qui existe concernant la Torah chez plusieurs familles, entre les parents, les enfants et les petits-enfants. La Torah est parfois une Moracha dans le sens où une certaine génération ne la détient pas vraiment, elle n’a pas réellement conscience de ce que ses lois signifient, mais elle la « possède » suffisamment pour la transmettre à la génération suivante. La Torah n’est pas automatiquement « héritée » ; elle est certes une sorte de patrimoine partagé par tout Juif, mais il faut s’efforcer à faire de la Torah « SA Torah ».
Cette idée peut nous aider à répondre à une apparente contradiction entre les versets de la Torah et une Michna dans Pirké Avot : « Prépare-toi à étudier la Torah, parce qu’elle est pour toi une Yéroucha… »[4]. On nous enseigne que chaque Juif a un lien intrinsèque avec la Torah, parce qu’elle est l’héritage du peuple juif. Mais cela ne signifie pas qu’il « détient » forcément la Torah. Ainsi, la Michna confirme que la Torah n’est une Yéroucha que dans le cas où l’on se prépare à l’étudier et ainsi à la rendre « sienne ».
Nous avons donc compris la différence qui existe entre Yéroucha et Moracha. La Terre d’Israël est une Yéroucha pour chaque Juif, mais la Torah ne l’est pas ; elle doit être étudiée, acquise. Et le fait que la Terre d’Israël soit une Yéroucha ne signifie pas qu’il suffit d’habiter en Israël. D’ailleurs, la Torah nous lance un avertissement et prévient que si le peuple juif ne respecte pas correctement ses Lois sur la Terre, celle-ci les « vomira », elle les chassera et l’Histoire peut témoigner de ce phénomène. Ainsi, pour vraiment « hériter » d’Erets Israël, chacun doit aspirer et s’efforcer de posséder véritablement de la Torah. Il pourra alors jouir pleinement des bienfaits de la Terre et de la Torah.
[1] Dévarim 32,40.
[2] Baba Batra 119.
[3] Rapporté par Rav Frand.
[4] Avot 2,12.