La paracha de cette semaine poursuit la description de la Avoda qui devait être accomplie dans le mishkan. Après avoir étudié son architecture la semaine dernière ainsi que les objets qui le composent, nous découvrons à présent les habits que devaient porter les prêtres mais aussi les sacrifices qui accompagnaient son inauguration.
Le début de la paracha mentionne notamment l’allumage des bougies du chandelier à partir d’une huile d’olive pure. Celle-ci avait ceci de particulier qu’elle provenait des premières gouttes d’huile qui tombaient de l’olive lorsqu’on la pressait. En effet, en prenant uniquement ces premières gouttes, on souhaitait éviter que l’huile ne soit pas « abimée » par les déchets de l’olive. Le reste de l’huile qui était extrait de l’olive pouvait servir pour la combustion des offrandes mais pas pour la Ménora (le chandelier).
C’est ainsi que dans la Traité Mena’hot du Talmud (page 86 a), les Sages ont cette formule « [Il était requis] une huile pure et concassée pour éclairer (le chandelier) mais [il n’était pas requis] une huile pure et concassée pour les Ména’hot (les offrandes) ».
Cette sentence talmudique a donné lieu à de nombreuses interprétations porteuses d’une grande valeur morale. L’image de l’huile « concassée » est une métaphore pour désigner la capacité de l’homme à faire preuve d’humilité, à casser « son orgueil » et sa prétention. Cette disposition d’esprit est louable dans la mesure où elle permet à l’homme « d’éclairer » autour de lui, de recevoir les enseignements de la Torah et des Maîtres sans que son orgueil n’y fasse obstacle, et de pouvoir ensuite les diffuser et rayonner autour de lui.
En revanche, une humilité excessive qui confinerait à de l’auto-dénigrement, ou un mépris de soi, est fondamentalement réprouvé. C’est le sens symbolique de la deuxième partie de la sentence talmudique qui ne requiert pas de prendre une huile concassée pour les menahot. En effet la racine du mot « lena’hot » désigne le fait de se rabaisser. (Rabbi de Gour, Beith Israël).
Aussi, nos Sages nous encouragent à faire preuve d’humilité pour pouvoir acquérir la sagesse et « éclairer » notre monde, mais ils nous mettent en garde contre une « humilité » excessive qui rabaisserait, discréditerait voire mépriserait l’image que nous avons de nous-même, notre dignité et notre capacité à agir.
L’humilité est une vertu fondamentale pour raffiner son être et pouvoir accueillir la lumière de la Torah, comme nous le dit la Roi Salomon dans les Proverbes (22.4) « L’humilité est le préalable à la crainte de D.ieu ».
En effet, l’orgueil qui peut naître dans le cœur de l’homme entrave sa capacité à écouter des enseignements, il pense tout savoir, tout comprendre et prête donc une oreille peu attentive à la sagesse d’autrui. Il écoute mais n’entend pas.
Par ailleurs, l’orgueil conduit bien souvent l’homme à vouloir dominer, si ce n’est mépriser, son prochain. Il ne souffre aucune contradiction, et se rassure sur ses propres mérites en rabaissant les autres. Accaparé entièrement par son propre égo, il est incapable de s’ouvrir vers autrui, et d’être attentif à ses besoins.
Voilà pourquoi, le Mont Sinai, la plus petite et la plus modeste de toutes les montagnes, a été choisi symboliquement pour recevoir la Torah. Nos Sages nous enseignent que les secrets de la Torah se livres à celui qui sait rabaisser son égo, qui sait faire de son esprit « un désert » prêt à accueillir les enseignements de la Torah sans que rien n’y fasse obstacle.
Toutefois, comme nous l’avons vu, un écueil menace l’humilité : l’auto-dévalorisation, le sentiment de vanité de l’existence humaine, et finalement, un regard amer sur la vie où se mêlent le scepticisme, le cynisme, et le nihilisme.
Toutes ces valeurs sont profondément réprouvées par notre tradition dans la mesure où elles paralysent l’homme et éteignent sa force vitale, sa « joie de vivre » « sim’hat ‘hayim ».
L’homme doit donc rechercher une vie équilibrée, conscient de sa petitesse mais aussi de sa grandeur. C’est ainsi que notre tradition encourage l’homme à garder deux papiers dans chaque poche. Dans l’un, il écrira « Le monde a été créé pour moi », et dans l’autre, il écrira « Je suis cendre et poussière ». L’homme doit cheminer dans sa vie en s’appuyant sur ces deux principes, sans verser dans un orgueil excessif qui l’amènerait à oublier sa petitesse, ni dans un auto-dénigrement maladif qui ferait fi de son image divine et de la grandeur à laquelle il est appelé.
A cet égard, rappelons que l’humilité est analysée par Maimonide comme le juste milieu entre l’orgueil, et l’auto-dévalorisation. Elle consiste à être conscient de ses qualités mais sans en tirer de gloire personnelle.
L’humilité authentique est avant tout une gratitude et une exigence. Une gratitude envers l’Eternel Qui a donné à l’homme certains talents, certaines capacités, mais vis-à-vis desquelles l’homme doit garder la tête froide et savoir que D. les lui a donnés. Une exigence, ensuite, vis-à-vis de soi : elle oblige l’homme à donner le meilleur de lui-même pour servir l’Eternel et son prochain en exploitant toutes les capacités dont il est doué.
Relisons à cet égard quelques conseils que le Ramban (Nahmanide, un grand sage du Moyen-âge) donnait à son fils dans la fameuse lettre qu’il lui avait adressée : « Je voudrais t’enseigner la façon d’atteindre l’humilité. Tout d’abord, adresses-toi aux gens toujours avec calme et douceur. Ne regarde pas quelqu’un en face lorsque tu lui parles. Considère autrui comme meilleur que toi. Si un homme est érudit ou riche, respectes-le. Si tu es plus érudit ou plus riche que lui, penses qu’il a plus de mérite que toi. Car s’il commet des fautes, il est possible que ce soit par inadvertance, alors que toi, tu devrais savoir ce que tu fais. »
Il en va, finalement, de l’humilité comme de la grandeur. Elles échappent à celui qui s’en prévaut, et elles fuient celui qui les désire comme des objets de conquête. Elles résident dans le cœur de ceux qui savent mettre leur « moi » entre parenthèse pour faire place au « nous ».
Ces derniers ont suffisamment confiance en eux pour ne pas se sentir menacer par autrui. Ils recherchent la coopération plutôt que la compétition (R. J. Sacks). A leurs yeux l’aventure humaine est une immense partition dans laquelle chacun a un rôle spécifique à jouer et dont dépend la symphonie finale. Nul n’est vainqueur si un manque à l’appel, mais tous triomphent lorsque chacun est à sa place et assume son rôle. Ce n’est qu’alors que les âmes se mettent à parler et révèlent la grandeur que le Créateur leur avait réservée.