Dans la paracha de Michpatim, la Thora nous enjoint de prêter de l’argent à notre prochain qui est dans le besoin.

Elle ordonne : « Si tu prêtes de l’argent à quelqu’un de Mon peuple, au pauvre qui est avec toi, ne sois pas à son égard comme un créancier ; n’exigez pas de lui des intérêts. Si tu saisis le manteau de ton prochain comme gage, au soleil couchant tu devras le lui rendre. Car c’est sa seule couverture ; c’est le vêtement de son corps : sur quoi dormira-t-il ? Et, s’il se plaint à Moi, Je l’écouterai, car Je suis compatissant. »[1]

Ces mitsvot semblent, après une lecture superficielle, assez simples et compréhensibles. Le rav ‘Haïm Chmoulewitz zatsal tire toutefois de ces versets, un enseignement très important quant à l’approche de la Thora sur le ‘hessed.[2]

 Ce passage parle d’une personne qui procure un grand bienfait, celui d’aider son ami en lui prêtant de l’argent. La Thora ajoute pourtant plusieurs mitsvot pour s’assurer que l’on fait ce ‘hessed de façon optimale, sans atténuer son effet. Il est intéressant d’analyser ces pessoukim (versets) plus attentivement et de relever leur thème commun.

« Ne sois pas à son égard comme un créancier. » Rachi, sur la base du Mé’hilta, explique que si le prêteur sait que l’emprunteur est, pour l’instant, incapable de rembourser le prêt, il ne faut pas lui mettre la pression, mais faire plutôt comme si le crédit n’avait jamais eu lieu, afin de ne pas mettre le débiteur dans l’embarras.

« N’exigez pas de lui des intérêts. » Ceci fait référence à l’interdit de ribit (prêter de l’argent avec intérêt). Le rav Chmoulewitz rapporte plusieurs maamaré ‘Hazal qui soulignent la gravité du prêt avec intérêt. Il rapporte par exemple, un midrach affirmant qu’après chaque faute, des anges tentent de vanter les mérites de la personne qui l’a commise, à l’exception du prêt avec intérêt.

Rav Chmoulewitz note que la sanction du prêt avec intérêt est difficile à comprendre. Il est évident que même celui qui prête en prenant une petite commission rend grandement service à l’emprunteur qui a urgemment besoin d’argent et qui est prêt à verser un pourcentage. Néanmoins, la Thora condamne fermement cette personne.

« Si tu saisis le manteau de ton prochain comme gage, au soleil couchant tu devras le lui rendre. » Quand l’emprunteur est incapable de rembourser son emprunt, le créancier a le droit de prendre certains objets personnels comme garantie du remboursement du prêt. Cependant, il doit rendre ces biens quand l’emprunteur en a besoin. Par exemple, les vêtements sont nécessaires en journée, donc le prêteur ne peut les garder que pendant la nuit et il doit les rendre le matin afin que le débiteur puisse les utiliser.

 Cette loi semble infirmer le but même du nantissement, car si l’emprunteur peut l’utiliser dès qu’il en ressent la nécessité, il sera bien moins motivé à s’acquitter de sa dette. Malgré cela, la Thora enjoint au prêteur de respecter les besoins de base de l’emprunteur.

Rav Chmoulewitz note que ces commandements soulignent tous l’importance de faire du ‘hessed de la manière la plus parfaite possible en évitant de causer un quelconque désagrément. Par conséquent, bien que ce soit une grande mitsva de prêter de l’argent à autrui, le prêteur doit faire très attention à ne pas affadir son bienfait, en faisant, par exemple, pression sur l’emprunteur.

 Rav Chmoulewitz ajoute que plus la personne attache de l’importance au ‘hessed, plus elle est jugée sévèrement dans le cas où elle commet un manquement quant à cette reconnaissance. Ainsi, celui qui prête et exige des intérêts sera jugé très durement, parce qu’il manifeste une volonté d’aider l’emprunteur, mais décide néanmoins de lui prendre des commissions.

Le rav Moché Sternbuch chlita tire un enseignement similaire d’une guemara très surprenante. Le Talmud affirme qu’une personne qui entame une mitsva, mais qui ne la termine pas est très lourdement punie[3]. Ceci semble très difficile à comprendre — une telle sanction n’est pas infligée à celui qui n’accomplit pas du tout une mitsva, alors pourquoi punir sévèrement celui qui se contente de la commencer ?

Cette guemara nous apprend que celui qui entreprend une mitsva montre qu’il la valorise. Par conséquent, s’il ne la termine pas, il est jugé plus durement du fait de sa plus grande appréciation de la mitsva. En revanche, celui qui ne commence même pas son accomplissement n’est pas puni, parce qu’il se trouve à un niveau inférieur et est donc jugé avec plus d’indulgence.

Nous apprenons de ces mitsvot concernant le prêt d’argent que lorsqu’une personne fait un ‘hessed à son prochain, elle doit à tout prix s’efforcer de maximiser l’effet positif de son bienfait, sans l’endommager d’une quelconque façon.

C’est une leçon importante que l’on peut appliquer couramment dans notre vie quotidienne : très souvent, on est sur le point d’accomplir une bonne action ; on accepte de la faire, mais en montrant une certaine répugnance qui mettra l’autre personne mal à l’aise pour le dérangement occasionné. Le bienfaiteur doit faire tout son possible pour être le plus approbatif possible en aidant son ami. Bien que bénéficiant d’une aide, la personne dans le besoin ne doit pas culpabiliser à cause de sa demande.

De même, quand quelqu’un donne de la tsedaka, il peut le faire avec le sourire ou bien en esquissant une moue. ‘Hazal affirment que celui qui donne avec joie reçoit dix-sept berakhot en récompense de sa mitsva, tandis que celui qui donne sans enthousiasme n’en reçoit que six[4]. Le manque de joie diminue donc grandement la portée du bienfait.

Enfin, imaginons quelqu’un qui demande à son ami de lui rendre un service bien précis et ce dernier accepte, mais sans s’efforcer de satisfaire les besoins de la personne qui lui a demandé ce service. Par exemple, une femme demande à son mari de ranger son désordre. Il peut avoir une conception différente du rangement de celle de sa femme, et il va ranger selon ce que lui-même considère comme nécessaire pour obtenir une pièce « ordonnée ». Il sait, en réalité, que sa femme souhaite qu’il fasse de l’ordre conformément à sa définition (à elle) du rangement. S’il veut faire ce ‘hessed correctement, il doit s’efforcer d’agir comme sa femme le désire.

Puissions-nous tous mériter d’aider les autres de la meilleure manière possible.



[1] Parachat Michpatim, Chemot, 22:24-26.

[2] Si’hot Moussar, p. 191-197

[3] La guemara rapporte l’exemple de Yéhouda qui entama la mitsva de sauver Yossef, mais qui ne la termina pas – il perdit, à cause de cela, sa femme et deux fils !

[4] Baba Batra, 9b.