« Sa sœur se tint (Tétatsev) de loin, pour savoir ce qui lui serait fait. » (Chémot, 2:4)
La Michna (Sota 9b) affirme : « Myriam attendit un moment pour Moché, comme il est dit : "Sa sœur se tint de loin", c’est pourquoi Israël l’attendit pendant sept jours dans le désert, comme il est dit : "Le peuple ne voyagea pas jusqu’à ce que Myriam fût réintégrée."[1] »
Après la naissance de Moché Rabbénou, sa mère Yokhéved le cacha durant trois mois, car les Égyptiens voulaient tuer tout nouveau-né (mâle) juif. Ensuite, quand elle ne put plus le dissimuler, elle le plaça dans un panier qu’elle posa sur les eaux du Nil. La Torah nous raconte qu’alors, Myriam, la sœur de Moché, resta aux bords du fleuve pour voir ce qu’il adviendrait du bébé. La Guémara nous informe qu’elle fut récompensée pour cet acte de nombreuses années après, quand elle fut frappée de lèpre pour avoir dit du Lachone Hara' sur Moché. Elle fut mise en quarantaine durant sept jours, mais Hachem enjoignit au peuple d’interrompre leur périple et de l’attendre pendant cette semaine. Il s’agit d’une récompense « mesure pour mesure » quant au fait qu’elle attendit de voir ce que deviendrait son frère.
Une question évidente peut être soulevée. En quoi son attente est-elle considérée comme un acte tellement méritoire, alors qu’elle voulait simplement voir ce qui lui arriverait ? C’est peut-être une simple curiosité ou un souci qui aurait été naturel qui la motiva à rester au bord du Nil, alors pourquoi cela lui valut-il l’attente de l’ensemble de la nation pendant sept jours, dans le désert ?
Pour répondre à cette question, il faut d’abord évoquer le contexte de cet incident, décrit par la Guémara[2]. Le père de Myriam, Amram, était alors le dirigeant du peuple juif. Quand il entendit le terrible décret royal – celui de jeter tout nouveau-né mâle au Nil, il décida qu’il valait mieux ne pas avoir de garçon (qui serait immédiatement tué) et divorça donc de sa femme, Yokhéved. Tout le monde suivit son exemple et tous les couples juifs se séparèrent. Myriam déclara alors que le décret de son père était pire que celui de Pharaon, car ce dernier ne concernait que les garçons, tandis que l’acte d’Amram empêchait également la naissance des filles. Amram écouta le conseil de sa fille et se remaria, devant tout le peuple, afin que tous suivent son exemple et se remarient. Yokhéved tomba enceinte et quand Moché Rabbénou naquit, la maison s’emplit de lumière. Amram embrassa Myriam sur le front et lui dit : « Ta prophétie s’est réalisée ». Puis, quand Moché dut être déposé sur le Nil (dans le panier), Amram frappa sur le front de sa fille en lui demandant : « Qu’est-il advenu de ta prophétie ? »
Ainsi, la récompense que Myriam reçut au bout de tant d’années ne fut pas uniquement pour son attente au bord du Nil, mais pour sa foi absolue et son refus de perdre espoir alors que la situation semblait tellement désespérée.
Le Rabbi d’Izhbitzer[3] nous montre l’importance de garder espoir. Si quelqu’un perd un objet et abandonne tout espoir de le récupérer (ce que l’on appelle Yéouch), celui qui retrouve l’objet est autorisé à le garder. Par contre, tant que la personne garde espoir de le récupérer, celui qui le retrouve n’a pas le droit de se l’approprier. Le Rabbi d’Izhbitzer explique que l’espoir de l’individu est la seule chose qui le lie à l’objet. Ce dernier n’étant plus avec lui, il ne peut plus l’utiliser, et c’est uniquement son espoir qui l’y relie. Une fois celui-ci abandonné, le lien avec l’objet perdu est coupé et la personne qui le retrouve peut le garder. Comme le précise Rav Issakhar Frand : « Quelle que soit la situation, tant que l’on garde espoir, il reste une solution potentielle, un remède potentiel, une délivrance potentielle. Et il est indispensable pour pouvoir assister à cette délivrance. Si Myriam avait renoncé à tout espoir, le dernier lien avec la future Rédemption du peuple juif aurait été brisé. D’où le côté crucial de son acte. »
En effet, il semble que le refus obstiné de renoncer à tout espoir eut un effet direct sur les événements qui menèrent à la survie de Moché. Quand la fille de Pharaon sortit le bébé de la rivière, elle tenta de le faire nourrir par des Égyptiennes, mais Moché refusa de boire de leur lait, du fait de sa grande sainteté[4]. Étant donné que Myriam était restée pour voir ce qui allait se passer, elle remarqua que Moché ne mangeait pas, alla voir la fille de Pharaon et lui proposa qu’une Juive l’allaite. La princesse accepta et Myriam fit alors venir Yokhéved, la mère de Moché. Ainsi, la détermination de Myriam joua un rôle décisif dans le cours des événements permettant la survie et l’éducation de Moché.
L’exemple de Myriam nous enseigne l’importance de garder la foi, la Émouna absolue. Ceci, autant de manière générale qu’à un niveau plus individuel. De manière générale, il nous enseigne l’importance de garder espoir quant à la venue de la Guéoula (la Délivrance) prédite par les Prophètes. Il ne s’agit pas simplement d’une attitude louable, d’ailleurs, le Rambam l’inclut dans l’un des treize Principes de Foi. La Guémara[5] affirme que l’une des premières questions que l’on posera à l’individu dans le Monde Futur sera : « Tsipita Liyéchou'a ? – As-tu espéré en la Délivrance ? » Le Smak[6] demande pourquoi c’est si important, sachant qu’il n’existe aucune Mitsva explicite enjoignant d’attendre la Délivrance. Il explique que la Mitsva de Émouna consiste, entre autres, à croire que le monde fut créé avec un But ultime et qu’il finira par l’atteindre.
Cette idée s’applique également à un niveau personnel. Si l’individu se trouve dans une situation qui semble sans recours, l’histoire de Myriam et de Moché lui rappelle que « Arbé Chélou’him Lamakom – Hachem dispose de nombreux moyens pour nous sauver de situations qui semblent désespérées. »
[1] Bamidbar, 12:15.
[2] Sota 12b – 13a.
[3] Rapporté par Rav Frand.
[4] Chémot, 2:7, Rachi, dh: Min Ha’ivriot.
[5] Chabbat 31a.
[6] Smak, Mitsva 1