« Les enfants d’Israël étaient "’Hamouchim" quand ils sortirent d’Égypte. » (Chémot, 13:18)
Selon Rachi, le terme « ’Hamouchim » signifie qu’un cinquième fut délivré et que quatre cinquièmes moururent durant les trois jours d’obscurité.
Le Targoum Yonathan explique que chaque Juif sortit d’Égypte avec cinq enfants. Et le Targoum Yérouchalmi estime que le peuple sortit d’Égypte « armé » de bonnes actions.
Ces trois explications semblent n’avoir aucun rapport. Rachi (sur la base de la Mé’hilta et du Midrach Tan’houma) relie le mot « ’Hamouchim » au chiffre cinq – ’Hamech et affirme qu’un cinquième des Juifs sortit d’Égypte et que le reste du peuple périt au cours de la plaie de l’obscurité. Le Targoum Yonathan utilise également le lien avec le chiffre cinq, et précise que chaque famille sortit avec cinq enfants. Enfin, le Targoum Yérouchalmi traduit ’Hamouchim par « armés » ; les Juifs ne portaient pas de véritables munitions[1], mais ils étaient équipés de bonnes actions.
Ces interprétations soulèvent plusieurs questions.
Tout d’abord, comment concilier tant d’explications disparates sur un seul et même mot ? Qui plus est, le Béer Yossef repousse l’interprétation du Targoum Yonathan, selon laquelle chaque famille aurait eu précisément cinq enfants ; il est difficilement concevable que toutes les familles juives aient eu exactement le même nombre d’enfants. Et puis à quelles bonnes actions fait référence le Targoum Yérouchalmi ? ’Hazal affirment pourtant qu’en sortant d’Égypte, les Juifs n’avaient aucun mérite, c’est pourquoi Hachem leur donna les Mitsvot de Mila et de Korban Pessa’h…
En réalité, ces trois explications sont étroitement liées. Le Béer Yossef élabore en premier lieu celle de Rachi, selon laquelle quatre cinquièmes de la population juive moururent – seuls les adultes périrent, tandis que les enfants - des âmes innocentes – restèrent en vie. Par conséquent, quatre cinquièmes de ceux-ci devinrent orphelins. Ce qui nous mène au Targoum Yonathan qui affirme que chacun sortit avec cinq enfants. Cela ne signifie pas que chaque couple avait cinq enfants, mais qu’ils sortirent avec cinq « sets » d’enfants. Les adultes survivants adoptèrent quatre familles orphelines, ce qui, additionné à leurs propres enfants, fait un total de cinq séries d’enfants.
C’est ce qui permet de comprendre l’explication du Targoum Yérouchalmi – les bonnes actions dont il est question sont les adoptions faites par les survivants, en dépit de leur situation déjà difficile. Il est déjà suffisamment compliqué d’éduquer un seul enfant en période normale, mais dans leur cas, la situation était déjà très précaire, ils s’apprêtaient à faire un long voyage dans le désert… et ils acceptèrent volontiers d’élever quatre autres fratries esseulées. C’est à ces bonnes actions que la Torah fait référence lors de la sortie d’Égypte.
Le Béer Yossef rapporte les propos d’un Sage qui estime qu’il est fait allusion à ces bienfaits dans le verset de Yirmiahou, lorsqu’Hachem dit : « Je me suis souvenu des bontés de ta jeunesse… d’aller derrière Moi dans le désert vers une terre inculte »[2]. Les bontés dont il est alors question sont l’aide et l’affection des Juifs à l’égard de ces orphelins, malgré les difficultés et les dangers du désert.
Plusieurs enseignements peuvent être tirés de l’explication du Béer Yossef. On apprend, entre autres, que lorsque l’on est dépassé par ses propres affaires, préoccupé par ses propres problèmes, on peut se sentir « dispensé » d’aider les autres et de soulager leurs souffrances. Nos soucis sont déjà tellement prenants… C’est, certes, compréhensible en un sens, mais l’exemple de la bonté du peuple juif à leur sortie d’Égypte nous montre qu’un tel dévouement malgré la situation difficile du bienfaiteur est d’autant plus digne de louanges, ce sont de tels bienfaits que le prophète rappelle et dont Hachem se souvient !
[1] Rachi, dans sa première explication, écrit qu’ils sortirent avec de réelles armes.
[2] Yirmiahou, chapitre 2.