La Paracha de cette semaine marque un tournant dans le livre de Béréchit dans la mesure où elle voit s’accomplir la promesse faite à Abraham au début du livre. Celle-ci prévoyait que sa descendance serait asservie dans une terre étrangère avant de repartir avec de grandes richesses. Or, nous assistons précisément dans cette Paracha à la descente de la famille de Ya’acov en Egypte, prélude au futur esclavage.
Cette Paracha nous présente également un évènement très émouvant : les retrouvailles entre Ya’acov et Yossef, et la très vive émotion ressentie par notre Patriarche. En effet, depuis la disparition de son fils chéri, Ya’acov était empli d’une grande tristesse et d’un sentiment d’abattement qui faisaient obstacle à l’inspiration divine et au Roua’h Hakodech qui reposait sur lui jusqu’ici.
Notre texte nous dit que l’heureuse nouvelle de la bonne santé de Yossef a redonné vie à l’esprit du Patriarche et lui a permis de retrouver l’inspiration divine. Rachi note ainsi : L’esprit de Ya’akov revint à la vie (ch.45, 27) : La Chekhina, qui s’était retirée de lui (à cause de son état d’abattement), est revenue l’habiter.
Nos Sages nous enseignent ainsi que l’homme doit s’efforcer de cultiver en lui une vertu cardinale : la joie, qui est un des moteurs les plus importants du service divin.
Il ne s’agit pas, nous met en garde le Orh’ot Tsadikim, de placer sa vie sous le signe de la légèreté, de la dérision ou de la frivolité qui sont les mères de nombreux vices, mais plutôt de développer une confiance sereine dans la vie et dans la providence divine.
Et il faut bien comprendre pourquoi la joie, la « Sim’ha », est une vertu si importante dans la Torah. Dans son œuvre maîtresse, le Michné Torah, Maimonide explique que la joie est liée à la faculté imaginative de l’homme. Or l’imagination est précisément un des ressorts essentiels de la vie spirituelle.
Prenons le principe de la Techouva, « le repentir ». Ce dernier est intrinsèquement lié à l’imagination, dans la mesure où, en faisant Techouva, l’homme est capable d’imaginer un avenir différent de son passé. Il ne se perçoit pas comme bloqué face à une fatalité qui l’accable et qui le poursuit, mais il a la capacité à s’affranchir de la pesanteur du passé et du présent pour imaginer un avenir différent, meilleur.
De même, qu’est ce que l’espérance messianique portée depuis des millénaires par notre peuple, si ce n’est une capacité à « imaginer » un futur fondamentalement différent ? Ni les persécutions, ni les exils, ni la haine des peuples n’ont eu raison de notre imagination, de notre conviction qu’un temps viendra où Israël sera rétabli dans ses droits, où la vérité sera reconnue de tous, et où l’Eternel règnera sur toute la terre.
Le Rav Simh’a Zissel avait une très belle formule à ce sujet, il disait ainsi : « La différence entre le Tsadik et le Racha’, c’est l’imagination ! » (rapporté par R. Sadin). Le Tsadik est porté par une faculté à imaginer sa vie sous le plus bel angle, il pense pouvoir faire le bien, pouvoir s’améliorer, pouvoir étudier la Torah et devenir peut-être progressivement, avec l’aide d’Hachem, un « Talmid ‘Hakham ». Il est parfois capable de supporter les épreuves du présent en imaginant une issue lumineuse, ou en plaçant sa confiance dans l’infinie bonté d’Hachem, même si certaines choses lui échappent.
La tristesse ou la mélancolie paralysent inversement cette capacité d’imagination, et confinent l’homme dans un huis clos délétère. Alors que le joie et l’imagination affranchissent l’homme des rigidités de la matière et du réel, la tristesse et la mélancolie l’y ramènent sans cesse et elles l’y enferment. Elles obsèdent son esprit et font obstacle à la ‘Avodat Hachem (le service divin). Il est, par exemple, très difficile de prier avec la concentration appropriée lorsque l’on est assailli par de telles pensées.
Il n’est évidemment pas simple de faire fi des sentiments de tristesse ou de mélancolie lorsqu’ils surviennent, bien souvent malgré nous, à notre corps et notre esprit défendant. C’est un élément de la nature humaine qui ne s’efface pas en le décrétant, et qui requiert un travail considérable de construction intérieure.
Toutefois, la joie à laquelle nous exhorte nos Sages relève avant tout d’un sentiment de gratitude vis-à-vis de D.ieu mais aussi de confiance apaisée dans Sa providence qui intervient auprès de chacun avec bonté. C’est bien souvent en prenant le temps de méditer sur Sa grandeur, sur les multiples cadeaux et miracles du quotidien que l’on en vient à trouver l’apaisement et la confiance dans la providence divine.
Il convient à cet égard de développer une sensibilité particulière aux différents messages qui nous sont envoyés par Hachem, aussi bien dans les élèvements anodins du quotidien que dans des évènements plus extraordinaires. Nous pourrions dire ainsi que le pessimisme est de nature, alors que l’optimisme est de culture.
Il convient, chacun à son niveau, de s’éduquer progressivement à la « Sim’ha », c’est-à-dire à une vision apaisée et confiante de la vie, attentive aux signes de la providence, et consciente des merveilleuses richesses qu’offre le futur.