La Paracha Vayigach nous fournit les éléments clés afin de comprendre les péripéties survenues au cœur de la famille de Yaakov Avinou. Depuis l’épisode des rêves de Yossef et celui de sa vente par ses frères, celui-ci paraissait balloté par la vie au gré d’évènements qu’il ne maîtrisait pas, et qui le hissaient à des postes de responsabilité avant de le faire rechuter.
Yossef semblait ainsi avoir perdu les manettes de son destin. De même, l’histoire de Yaakov, si riche en détails dans la Torah, semblait en suspens, figée par la terrible nouvelle du décès de Yossef annoncée par ses fils, et dans l’attente d’un dénouement final. Ce dernier nous est donc relaté par notre Paracha qui va amener Yossef à révéler sa véritable identité devant ses frères.
Après cette révélation inattendue, les frères de Yossef repartent annoncer la bonne nouvelle à leur père. En premier lieu, Yaakov a du mal à les croire tant cette nouvelle tient du miracle, mais devant les précisions apportées par ses fils, il finit par se laisser convaincre. La Torah écrit alors que « son esprit revint à la vie ». Rachi explique le sens de ce verset de la manière suivante :
L’esprit de Yaakov revint à la vie (Béréchit ch.45, 27) : La Chékhina, qui s’était retirée de lui (à cause de son état d’abattement), est revenue l’habiter.
Rachi nous rappelle ici une vertu essentielle de la Torah : la Sim’ha, la joie. Non seulement il s’agit d’une disposition d’esprit salutaire dans la mesure où elle adoucit la vie, mais en outre, la joie est si importante qu’elle est indispensable pour entretenir une relation harmonieuse avec D.ieu afin de pouvoir accueillir Sa Présence.
On aurait tort de sous-estimer l’aspect révolutionnaire de ce principe, car la vie de l’esprit a vite fait d’embarquer l’homme dans une perception complexe de la vie humaine, tout en le persuadant que la joie n’est pas de mise face aux défis et aux épreuves de l’existence, et qu’il convient de développer davantage une certain sérieux plutôt qu’une joie naïve.
La Torah ne pense pas de cette manière. Elle souligne au contraire combien la tristesse est délétère. Elle est tellement néfaste que tant que Yaakov Avinou était affligé par la disparition de son fils, il n’était plus en mesure d’accueillir la Présence divine. Son esprit ne vivait plus, il était plongé dans l’obscurité.
Or, comme nous l’avons vu à l’occasion de ‘Hanouka, notre tradition nous exhorte à considérer que la tristesse, le négatif et l’obscurité ne doivent jamais avoir le dernier mot. En effet, ils appellent à être dépassés par la lumière et la joie qui sont seules porteuses de vie.
Certes, l’obscurité existe et cette épisode de la vie de la vie de Yaakov en témoigne, mais elle n’est pas une fatalité ni un horizon infranchissable. L’obscurité peut être l’une des étapes d’une histoire individuelle ou de l’histoire en générale, mais elle ne peut en aucun cas être son aboutissement ni une fin en soi.
En effet, la tristesse empêche l’homme de penser à l’avenir en se mettant en travers de ses bonnes résolutions. Elle le convainc parfois du caractère dérisoire de la vie et de la vanité des agissements de l’homme. Elle puise ainsi son énergie en orientant son regard uniquement sur l’imperfection de la création et des créatures.
On perçoit tout naturellement l’ingratitude que peut causer une telle disposition d’esprit vis-à-vis du Créateur, et à quel point elle éloigne l’homme du message de la Torah, qui est une exhortation permanente à « choisir la vie » et à s’engager dans une quête de perfectibilité permanente.
D.ieu avait déjà mis en garde Caïn contre les risques inhérents à la tristesse lorsqu’il était accablé par le rejet de son sacrifice : « Pourquoi es-tu chagrin, et pourquoi ton visage est-il abattu ? Si tu t'améliores, tu pourras te relever, sinon le péché est tapi à ta porte : il aspire à t'atteindre, mais toi, sache le dominer ! » (Béréchit ch.4, 6-7)
Lorsque l’homme est démoralisé, il devient une proie facile pour le Yétser Hara qui va chercher à l’enfermer dans un sentiment dépressif, l’éloignant de ses forces vitales et notamment d’une volonté de perfectionnement. Or, la grandeur de l’homme, et notamment du Tsadik, est précisément d’appréhender le futur comme une opportunité permanente de se dépasser et d’atteindre des niveaux plus élevés de spiritualité et de service d’Hachem.
Ce regard ouvert sur un avenir plein de promesses et d’améliorations permet à l’homme de se dépasser et de sacraliser chaque instant de sa vie.Aussi, c’est uniquement lorsque l’homme s’efforce de porter un regard positif et optimiste sur le monde, ou simplement sur sa vie, qu’il peut accéder à la compréhension de grandes choses et à une lumière authentique.
C’est ainsi que le prophète Elicha, après avoir perdu l’inspiration prophétique suite à un sentiment de colère, fit venir des musiciens afin qu’ils lui procurent de la joie et qu’il récupère ainsi l’inspiration divine.
La joie est donc une condition sine qua non à l’élévation spirituelle. C’est la raison pour laquelle nous chantons souvent : « Mitsva Guédola lihyot Bésim’ha Tamid », il y a une grande Mitsva d’être joyeux en toute circonstance.
Avec l’aide d’Hachem, puissions-nous avoir le mérite de connaître une joie authentique et profonde au cours de nos vies, et de vivre très prochainement la joie ultime avec l’arrivée du Machia’h.