Vous descendez sans fin la route de Jéricho dans un paysage lunaire, rocailleux, ocre, de pierres et de sable, accablant de sécheresse. On y croise des bédouins et leurs chameaux, mais jamais un palmier : direction Sodome, point de non-retour, 400 mètres en dessous du niveau de la mer, le ground zero de la planète.
Cette région, il y a 3000 ans, était la plus féconde du monde. Verdoyante, arrosée de sources fraîches, boisée, elle ressemblait au Paradis et ce n’est pas par hasard si Loth, le neveu d’Avraham, choisira d’y poser ses bagages.
Il épousera une femme du pays, qui lui donnera des filles, et lui-même y fera carrière, devenant un notable : juge à Sodome.
Quelle drôle de destinée pour le neveu de celui qui ouvrit sa tente aux quatre points cardinaux de peur de rater un seul invité, que de se trouver dans la ville de l’étroitesse humaine, de l’égoïsme poussé à son comble, celle qui mène même au meurtre.
Les Sodomites, jaloux de leur contrée et de leurs biens, ne tenaient pas à ce que des étrangers viennent s’installer sur leurs terres, diminuant ainsi à leurs yeux le Produit National Brut de chaque habitant. Sans parler, pire encore, de nécessiteux, éléments improductifs parasitant une population active, qui viendraient manger le pain blanc de Sodome sans rien donner en retour.
Pour le Sodomite moyen, un homme devait se débrouiller sans ces béquilles qu’on appelle les bourses, les aides sociales au logement, aux familles nombreuses, qui en auraient fait tôt ou tard, un assisté, sonnant le glas d’une société dynamique et productive. Dans cette optique, la moindre entorse à leur conception était passible de mort, car elle aurait été la brèche qui aurait fissuré tout l’édifice. Le formatage était très serré, puisqu’on écartelait, où à l'inverse amputait, ceux qui n’entraient pas dans les normes de cette étrange société, repliée sur elle-même, et convaincue que sa politique de sur-protectionnisme était la clef de sa prospérité.
La théorie tient debout. Car la réalité nous montre bien qu’une cagnotte dans laquelle on se sert, finit par se vider ; que donner, c’est diminuer son avoir alors que prendre, c’est l’augmenter.
Les Loth d’ailleurs se disputaient sur cette implacable logique, car même si Monsieur le Juge, avait choisi le confort et l’assurance matérielle de la haute bourgeoisie cananéenne, il ne pouvait faire fi de longues années vécues auprès de son oncle, antithèse vivante des théories de Sodome. Allez faire comprendre à Madame Loth, native du pays, la conception d’Avraham, selon laquelle "plus tu donnes, plus tu t’enrichis…" Peine perdue !
Choisi pour être banquier
Il était une fois, à Tel Aviv, à la fin des années 50, un humble commerçant en vêtements, qui prélevait la dîme de ses petits revenus chaque fin de mois. Les affaires allaient bon train, et il réussit à acheter le petit commerce d'à côté. Puis, il ouvrit une succursale et encore une autre. Toujours en prélevant précautionneusement son « Ma'asser », le dixième de ses revenus. Les ventes marchèrent si bien qu’il acheta la fabrique qui confectionnait les vêtements, puis la maison mère en Italie, puis… Il devint un magnat de l’habillement. Sa dîme mensuelle avait maintenant 6 chiffres, et là, ça devenait vraiment difficile de prélever. Il commença à arrondir vers le bas les montants, à être moins précis dans les prélèvements, pour réduire les sommes colossales qu'il aurait dû donner. Mais la roue tourne, et suite à de grosses erreurs de placement, notre homme perdit une partie de ses biens. Et quand il vint épancher son cœur devant son rav, celui ci lui dit : « L’Éternel, qui nourrit toutes Ses créatures, cherche des banquiers ici-bas, qui seront "Ses partenaires" pour distribuer aux indigents ce qui leur revient. Tu as été choisi pour être ce banquier. Tes affaires ont prospéré pour que ta dîme soit conséquente et que par toi, le flux passe pour les nécessiteux. Mais une fois que tu as commencé à "combiner", à soustraire, le partenariat ne pouvait plus continuer, le contrat s’est terminé, et D.ieu a trouvé d’autres associés. »
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La région de Sodome ou rien ne pousse, dévorée par le sel, est frappée jusqu'à aujourd’hui de non-fertilité chronique. Tâche blanche et lépreuse, inguérissable, elle vient montrer aux hommes ce qui se passe lorsqu’on s’évertue à amasser pour soi, à garder pour soi, à penser à soi, et à faire fi des autres. L’endroit est définitivement « brûlé » au sens propre et figuré. Une pluie de soufre et de feu descendit du ciel, pour anéantir ce lieu de perdition et le faire pour toujours ressembler au cœur aride de ses habitants.
Les hommes sont des conduits par lesquels D.ieu envoie Sa bénédiction. Rien ne nous appartient, et la réussite de nos affaires n’est pas là pour nous enrichir et nous engraisser, mais parce que nous avons été désignés pour être le trésorier du Très-Haut. Et sinon, les canaux se dessèchent, faute d’utilité.
La route de Sodome, sinueuse, de pierres et de sable, vient nous en dire long sur ce qu’est la prospérité. Nous avons 40 minutes top chrono, de Jérusalem à la Mer Morte, pour y réfléchir, au détour de chaque virage, de chaque monticule.
Et faute d’y faire pousser quoi que ce soit, c’est la boue de cette région stérile qui en est devenue la matière précieuse.
C’est vraiment tout ce qu’on pouvait en tirer…