« Ils lui dirent : "Où est Sarah ta femme" ? Il dit : "Elle est dans la tente." » (Béréchit 18,9)
Rachi rapporte la Guémara (Baba Métsia 87a) affirmant que les Anges savaient très bien où était Sarah, mais c’était pour mettre sa décence en valeur et pour la rendre encore plus chère aux yeux de son mari.
Rav Chlomo Wolbe[1] pose une question sur cet épisode. Quand on discourt devant de jeunes mariés, lors de leurs Chéva Bérakhot (repas de fête durant la semaine qui suit leur mariage), il est normal de chanter les louanges du ’Hatan et de décrire longuement les qualités de la Kalla. Ceci, pour cimenter les liens du nouveau couple. Mais Avraham et Sarah avaient respectivement cent et quatre-vingt-dix ans à cette époque. On ne sait pas exactement à quel âge ils se sont mariés, mais cela faisait certainement plusieurs décennies. Après une telle période de vie commune, si la femme n’est pas appréciée par son mari, un tel compliment n’aidera pas à rétablir l’harmonie…
Ainsi quel but y avait-il à rendre Sarah encore plus chère aux yeux de son mari en soulignant sa pudeur ? De plus, Avraham Avinou était un grand Tsadik, le pilier du monde. On n’exalte généralement pas son côté romantique. Comment comprendre l’intention des anges – à savoir de rendre Sarah chère à ses yeux ?
D’après Rav Wolbe, ce passage nous enseigne que le fait de « rendre l’un des conjoints plus cher aux yeux de l’autre » est nécessaire durant toute la vie commune des époux ! Cette Guémara nous enseigne que l’on peut être marié depuis trente, cinquante, soixante ans ou plus, avoir souvent été chéri par son conjoint, les liens des mariés doivent tout de même constamment être renforcés, intensifiés. Il est donc essentiel que les conjoints se chérissent toujours davantage. En l’occurrence, ce sont les anges qui entrainèrent ce renforcement des liens entre Avraham et Sarah, mais nous déduisons de ces versets qu’il incombe au mari et à la femme de toujours s’efforcer de voir l’autre de manière positive, de lui vouer toujours plus de respect et de s’en soucier toujours plus.
L’histoire suivante sert de parfait exemple quant à l’attitude à avoir envers son conjoint[2].
Rav David Hirschovitz était un fervent disciple du célèbre Roch Yéchiva de Mir, le Rav ’Haïm Chmoulevitz. Lors d’un voyage en Erets Israël, il lui rendit visite et le Rav Chmoulevitz l’invita à déjeuner chez lui. Lors du repas, l’attitude du Rav Chmoulevitz troubla son élève, car elle ne semblait pas adaptée au statut du Rav. Dès qu’il entra chez lui, ce dernier demanda à sa femme ce qu’elle comptait leur servir à manger. Puis, il s’attabla et mangea tout son plat, ne laissant aucun reste. Son assiette était redevenue toute propre. Il demanda à sa femme ce qu’elle avait mis comme épice pour que le repas soit si bon. Quand celle-ci lui répondit, il demanda à être resservi et il termina à nouveau son assiette. « Vraiment délicieux ! »
Rav Hirschovitz n’en croyait pas ses yeux ! Une fois la Rabbanite sortie de la pièce, il demanda à son Rav : « Que se passe-t-il ? À Mir, vous n’étiez concentré que sur votre étude ; c’était votre seule occupation, jour et nuit, au point qu’il fallait parfois vous rappeler de manger ! Et quand vous finissiez de manger, il fallait parfois vous rappeler de réciter la bénédiction qui suit le repas, parce que vous aviez oublié que vous aviez mangé… »
Et là, quarante ans plus tard, le Rav Chmoulevitz demandait la recette du plat et dévorait sa part ! L’élève ne comprenait pas… Rav Chmoulevitz répondit : « Sache que je suis un grand Maguid Chiour [conférencier] en Erets Israël. Je ne te raconte pas ceci par orgueil. J’ai travaillé sur ces cours pendant quarante ans, je les ai dispensés à Mir, en Europe et à Shanghai. Je les ai retravaillés, améliorés, lus et relus. Ces cours sont des mines d’or ! Sache que quand un jeune élève de dix-sept ans vient me complimenter à la fin d’un cours en me disant qu’il l’a apprécié, cela me réjouit énormément, ma journée est complètement différente ! Pourtant quels sont le niveau et les connaissances de ce jeune homme ? Il ne saisit pas la profondeur de la question posée, sans parler de la clarté de l’interprétation du passage de Guémara… Malgré tout, son compliment me réjouit, il me fait du bien, car telle est la nature humaine…
Ce repas, ajouta-t-il, est comme l’un de ces cours pour ma femme. C’est toute son occupation et sa préoccupation – elle se soucie de moi et prépare tout ce dont j’ai besoin. Donc, pour lui faire plaisir, je mange ce qu’elle me sert avec appétit et plaisir. Je termine toute mon assiette. Mais je ne suis pas devenu glouton ; c’est son Chiour et je veux lui montrer que je l’apprécie. »
Rav Chmoulevitz était alors marié depuis plus de cinquante ans, mais il savait que tout individu a besoin d’être complimenté, peu importe le nombre d’années de mariages déjà célébrées.
Les Anges nous enseignent que la relation de couple se tisse et se développe sans cesse. Puissions-nous mériter d’émuler le Chalom Baït d’Avraham et Sarah.
[1] Rapporté par Rav Issakhar Frand.
[2] Rapporté par Rav Issakhar Frand, au nom du Rav Chalom Méir Wallakh.