La destruction de Sodome est l’un des épisodes centraux de la Paracha de cette semaine. Cette ville a une réputation inégalée de malveillance et de perversité. Certes, ses habitants étaient profondément mauvais, mais il semble un peu simpliste de dire qu’ils étaient sadiques et prenaient plaisir à causer du mal aux autres. On dirait plutôt que leur comportement résultait d’une idéologie qui les motivait à agir de cette manière. Pour promouvoir leurs croyances, ils instaurèrent un code de lois visant à renforcer leur méchanceté. Sur quoi se basait leur doctrine ?

Rav Its’hak Berkovits explique que d’après ces gens, le fait de prodiguer un bienfait à autrui était cruel. En donnant à l’autre ce dont il a besoin, alors qu’il ne le mérite pas, on l’encourage à devenir dépendant et ainsi à ne jamais être un membre productif de la société. Ils mirent donc en place un code de lois et des sanctions pour empêcher le ’Hessed de « détruire » la société. Par ailleurs, les punitions n’étaient pas arbitraires, mais étaient infligées mesure pour mesure pour le « dommage » causé à la « victime » du ’Hessed.

Par exemple, la Guémara dans Sanhédrin raconte que lorsqu’une jeune fille donnait à manger à un indigent, on la recouvrait de miel afin que les abeilles attirées sucent le miel et la piquent à mort[1]. Selon eux, en aidant le pauvre, elle le détruisait, car elle le rendait faible et tributaire des autres. Par conséquent, elle était punie en étant obligée de faire du « ’Hessed » avec les abeilles. Sa bonté fut « destructrice », elle devait donc être détruite par un acte de bonté[2].

La ville de Sodome fut aussi détruite mesure pour mesure, à cause de leur fausse conception du ’Hessed. Rachi nous informe qu’au début, une fine pluie tomba sur Sodome et qu’ensuite, elle se transforma en sulfate et en feu[3]. C’était tout d’abord pour leur donner une dernière chance de se repentir. Mais cela nous montre également qu’ils furent punis par un acte de bonté qui devint un acte de destruction. À l’instar de leur raisonnement quant aux sanctions appliquées aux bienfaiteurs – à savoir que le ’Hessed est dévastateur.

On aurait du mal à imaginer que l’on puisse tirer leçon d’une attitude aussi cruelle. Mais un aspect de leur idéologie s’est installé dans la société durant les dernières décennies. Il s’agit de l’idée que l’aide peut être néfaste parce qu’elle empêche autrui de devenir indépendant. Ce concept est né en réponse aux diverses aides sociales, grâce auxquelles les gens sans emploi reçoivent des allocations significatives. Par conséquent, ils sont souvent réticents à chercher du travail et choisissent de rester dépendants. Quelle est l’opinion de la Torah sur cet aspect de l’idéologie de Sodome ?

Il semble que plusieurs lois et conceptions de la Torah mettent l’accent sur les bienfaits de l’indépendance. Prenons l’exemple du verset : « Celui qui hait les cadeaux vivra. »[4] Cela signifie donc que la meilleure façon de vivre est de ne pas compter sur les présents ou sur la charité des autres. Dans le même ordre d’idées, la Guémara stipule qu’une personne qui n’a pas suffisamment d’argent pour acheter un mets supplémentaire en l’honneur du Chabbat doit tout de même éviter le don. Il vaut mieux, dans ce cas, vivre son Chabbat comme un jour de semaine. On connait l’importance donnée au Kavod du Chabbat (respect du Chabbat) et au Oneg Chabbat (jouir du Chabbat)[5], mais il est malgré tout préférable d’éviter de profiter de l’aide d’autrui.

Alors comment la Torah considère-t-elle l’idée précitée ? Le ’Hessed affaiblit-il les gens ?

Tout dépend du point de vue dans lequel on se place. Il faut faire son possible pour rester indépendant et ne pas compter sur son prochain en ce qui concerne la subsistance[6]. En revanche, cela se limite à la façon dont on doit se comporter avec soi-même – notre attitude à l’égard de l’autre doit être très différente. Quand il est dans le besoin, il faut mettre tout jugement de côté et chercher à lui venir en aide. Notons qu’étant donné la valeur donnée à l’indépendance par la Torah, la meilleure façon d’aider quelqu’un est de lui donner la possibilité de devenir autonome par la suite. Le Rambam écrit que le fait d’aider une personne à trouver un travail pour qu’elle vive ensuite de ses propres efforts est la charité la plus sublime[7].

Mais malheureusement, les gens ne sont parfois pas en mesure de se débrouiller et nous sommes alors dans le devoir de faire de notre mieux pour les aider. L’erreur des habitants de Sodome était de croire que tout le monde est capable de réussir, si seulement on s’en donnait la peine. Ils nous ont donc appris la mauvaise attitude vis-à-vis du ’Hessed.

Puissions-nous tous mériter d’intérioriser ces leçons et d’aider notre prochain de la meilleure façon possible.


[1] Sanhédrin, 109a.

[2] Voir Lev Chalom (sur les cours de Rav Chalom Shwadron), Parachat Vayéra, qui propose une autre explication sur leur sanction.

[3] Rachi, Vayéra, 19:24.

[4] Michlé, 15:27.

[5] Pessa’him, 112b, 113a. Cette loi est évoquée par le Choul’han Aroukh, Ora’h ’Haïm, Siman 242, Séif 1.

[6] Le fait d’étudier la Torah à plein temps et d’avoir par conséquent besoin d’aide financière relève d’un autre sujet dont il n’est pas question dans cet article. (Voir Biour Halakha, Siman 231, d.h : Békol Dérakhav, pour un compte rendu du point de vue de la Torah sur la question.)

[7] Rambam, Hilkhot Matnat Aniim, ch. 10, Halakha 7.