Le récit de la vie des patriarches est particulièrement riche d’enseignements sur les relations qui prévalaient au sein de leurs familles, et notamment entre les époux.
Parmi les couples emblématiques de la Torah, celui d’Abraham et Sarah occupe une place particulière. Notre paracha est ainsi particulièrement riche en précisions, allusions, commentaires qui permettent de mieux saisir la profondeur du lien qui unissaient nos ancêtres et qui ont vocation à nous éclairer dans la manière dont nous devons orienter notre vie familiale.
Alors que les anges ont pris place chez Abraham, ces derniers s’enquièrent de son épouse : « Où est Sarah ta femme ? » demandent-ils à Abraham, ce dernier leur répond « Elle est dans la tente ». Et les maîtres du Talmud de préciser « Les anges de service savaient que Sarah étaient dans la tente. Ils souhaitaient souligner ainsi sa pudeur, afin de la rendre encore plus chère aux yeux de son époux ». (Talmud de Babylone, Baba Metsia, 87a).
Ce commentaire souligne à quel point l’entente conjugal, le fameux « shalom bayit » est précieux dans notre tradition et chéri par l’Eternel. Comme le souligne le Gaon Rabbi Haim Shmoulevitch (Si’hot Moussar), les anges ne manquent ainsi pas une occasion de le renforcer, quand bien même étaient-ils dans un foyer aussi exceptionnel que celui d’Abraham et Sarah. Ils nous rappellent ainsi que le « shalom », la « paix » n’est pas seulement un état de fait, une absence de conflit, une harmonie, c’est également une dynamique, un flux de vitalité qui ne connaît pas de limite, et se nourrit sans limite de toutes les bonnes intentions et de toutes les vertus.
A cet égard, le texte de notre paracha va encore plus loin puisqu’il nous rappelle que D.ieu lui-même prend part à cette préservation de la paix entre les époux. En effet, alors que Sarah vient d’évoquer sa surprise de pouvoir enfanter comme le lui promettent les anges alors que « son mari » est presque centenaire ; l’Eternel relate cette surprise en modifiant les propos de Sarah, D.ieu « gomme » la vieillesse d’Abraham et ne mentionne que la « vieillisse de Sarah » afin de ne pas heurter la sensibilité du patriarche, le peiner et altérer, fut-ce légèrement, l’harmonie entre les époux. Dans le même passage du Talmud, nos Maîtres précisent ainsi : « De là, nous apprenons qu’il est permis de changer des propos pour préserver la paix » (Baba Metsia 87a).
Enfin, notre paracha nous relate un passage ayant généré une grande tension entre Abraham et Sarah : le renvoi d’Agar et Yishmaël. Constatant les écarts de comportement d’Yishmaël et son influence potentiellement délétère sur Isaac, Sarah demande à Abraham de les renvoyer. Les Pirkei de Rabbi Eliezer (31) nous disent que « De toutes les épreuves que Abraham dut supporter, ce renvoi fut particulièrement douloureux », et, de fait, le texte nous dit que « la chose déplut fort à Abraham ».
Pourtant, l’Eternel demande au patriarche « d’écouter la voix (de sa femme) » / « Shema’ bekolah ». C’est une même expression qui avait été évoquée précédemment lorsqu’Avram accepta la proposition de Saraï de donner naissance à un enfant avec Agar, sa servante. Le Rav E. Munk (La voix de la Torah) propose à cet égard une analyse très fine sur la distinction entre « entendre une parole » et « écouter une voix ». « Entendre une parole » est un exercice technique, « écouter une voix » « un kol », c’est bien plus que cela, cela consiste à rechercher derrière le son qui se fait entendre la nechama qui parle, le message spirituel dont le locuteur peut être porteur.
« Hakol, Kol Yaakov » « la voix c’est la voix de Yaakov » dira plus tard le texte biblique, témoignant ainsi que la spécificité du peuple Juif c’est précisément de rechercher le message spirituel dont chaque être est porteur et dont la parole, héritée du souffle de D.ieu, est le vecteur.
En demandant à Abraham d’écouter la voix de sa femme, alors que cela constitue une épreuve considérable pour lui, la Torah nous invite à prendre conscience de la part de vérité dont l’autre, à commencer par sa femme, peut être porteur et qui m’échappe parfois radicalement. Et, de fait, les Sages nous diront dans la Talmud que la femme dispose d’une « bina yetera » « un niveau supplémentaire de compréhension » a été donnée aux femmes notamment en matière des traits de caractère humains.
Ecouter, la voix d’une personne cela revient à lui donner du poids, reconnaître son existence, sa légitimité, bref sa dignité.
On raconte ainsi à propos du Hafets Hayim zatsal, qu’il venait d’achever la construction de sa soucca lorsque sa femme arriva. Elle lui fit observer, gênée, qu’il aurait été peut-être préférable que la Soucca soit bâtie à un autre endroit. Le grand maître démonta immédiatement la soucca et la déplaça à l’endroit désiré par son épouse. Puis, celle-ci s’excusa et reconnut : « Mon mari si juste, il est vrai que le premier emplacement était le meilleur » ; le Hafets Hayim, à nouveau, démonta sa soucca sans dire un mot et la re-contruisit au premier emplacement.
Le Hafets Hayim confiait avoir appris comment se comporter avec son épouse auprès de son propre maître, le Tsadik R. Nahoum (Na’houmké) de Horodna zatsal. Une fois, le Hafets Hayim se trouvait chez lui pour l’allumage des bougies de Hanouka. Le temps passait, et il était largement temps d’allumer les bougies, pourtant R. Nah’oum semblait patienter et ce n’est qu’après le retour de sa femme que le Tsadik alluma les bougies de Hanouka.
Etonné par cette attente, d’autant plus que la halakha permet à une femme, même en son absence, d’être acquittée de la mitsva par l’allumage de son mari, le Hafets Hayim posa la question à son maître sur les raisons qui ont justifié de décaler l’allumage.
Et Rabbi Na’houm lui répondit : « La halakha prescrit à celui qui n’a pas assez d’argent pour acheter à la fois les bougies de Shabat et celles de Hanouka, de privilégier celles de Shabat car elles symbolisent le Shalom Bayt. Mon épouse s’est sacrifiée pour que je puisse consacrer ma vie à la sainteté, à l’étude de la Torah et au service de D.ieu ; or je sais qu’elle se réjouit de l’allumage des bougies, le « shalom bayit » m’oblige à l’attendre et à renoncer à allumer à l’heure idéale ».
Cette sensibilité à la « voix » de son épouse ou de son mari, cette capacité mutuelle à donner et à ressentir ce que l’autre désire est précisément ce qui caractérise les grands couples de notre tradition et qui leur ont permis de recevoir la bénédiction de l’Eternel et de bâtir notre peuple.