« Toute la terre était d’une seule langue et de paroles identiques (Dévarim A’hadim). » (Béréchit 11,1)

Le Midrach (Béréchit Raba 38,6) explique l’expression « Dévarim A’hadim ». Les habitants de la terre dirent des propos acerbes (’Hadim) sur Hachem, notre D.ieu unique (E’had) et sur l’unique [personne] Avraham (Ya’hid) dont ils se moquèrent, en disant : « Avraham est une mule infertile, parce qu’il n’a pas eu d’enfants. »

Une lecture superficielle de cet épisode montre la tentative de construire une tour immense, atteignant les cieux. Nos Sages affirment que les intentions des protagonistes étaient très mauvaises ; ils désiraient se rebeller contre Hachem. Pour ce faire, ils ont également tenté de saper la seule personne qui s’était occupée à répandre la Parole d’Hachem dans le monde – Avraham Avinou.  Le Midrach précise qu’ils se moquèrent d’Avraham qui avait été, jusqu’alors, incapable d’avoir des enfants.

Rav ’Hanokh Leibowitz[1] soulève une question intéressante sur ce Midrach. On comprend la raison de leur moquerie à propos d’Avraham ; en effet, ils redoutaient l’effet de son appel à la croyance en un D.ieu unique. Ils voulaient continuer leur croyance polythéiste, de façon à pouvoir agir à leur gré, selon les mœurs les plus basses. En soulignant l’infertilité d’Avraham, on dirait qu’ils espéraient montrer à tout le monde qu’Avraham était un véritable échec, puisqu’il n’avait même pas réussi à avoir d’enfant. Le monde entier était idolâtre et scandalisé par l’idée qu’il n’y ait qu’un seul D.ieu. Alors pourquoi pensaient-ils nécessaire, voire important, de se moquer d’Avraham, qui était le seul à adopter une conception universellement méprisée, en soulignant qu’il était stérile ?

Bien qu’Avraham fût un Da'at Ya’hid (une voix solitaire), ses contemporains réalisèrent que s’ils ne se moquaient pas de lui, son message risquait de pénétrer dans le cœur des gens. En effet, l’homme a été créé « Yachar – droit » et au fond de lui-même, il s’attache à la vérité, une fois qu’il y est confronté. Donc, même si la plupart des hommes étaient imbibés d’immoralité et ne souhaitaient aucunement changer leur mode de vie, ils « risquaient » d’y être forcés en entendant un message de vérité. Pour contrer cette menace, les contemporains d’Avraham voulurent se moquer de lui, de façon à ébranler sa campagne.

On peut tirer plusieurs leçons de ce développement. Rav Leibowitz applique cet enseignement au Kirouv Ré’hokim (le fait de rapprocher d’autres Juifs du judaïsme). Certaines personnes tentent de trouver toutes sortes de stratagèmes et d’idées créatives, mais la meilleure méthode reste de leur enseigner la Torah d’Hachem, la Torah de Vérité ; parce que, comme nous l’avons précisé, l’homme a été créé « droit » et il s’attache à la vérité quand il l’entend.

On peut tirer une deuxième leçon de l’explication de Rav Leibowitz. Elle concerne le pouvoir négatif de la moquerie ; celle-ci peut dissiper tout argument, même le plus véridique et touchant. Comme l’enseignent les Maîtres du Moussar[2] : « Une seule moquerie peut repousser cent réprimandes. » 

Cela signifie que même lorsqu’il n’y a pas de réfutation logique des enseignements véridiques, une déclaration moqueuse peut refroidir le pouvoir de la vérité et pousser l’individu à y échapper. Dans la génération de la tour de Bavel, la stérilité d’Avraham était tout à fait hors de propos et n’affectait en rien la véracité de ses arguments. Cette moquerie vicieuse ne visait qu’une chose, son but était de dissuader les gens d'écouter et de s’attacher aux paroles du Tsadik, de les pousser à poursuivre leurs modes de vie.

Espérons que la moquerie ne soit pas utilisée par la plupart d’entre nous dans le but d’éviter d’accomplir la volonté divine… Mais il reste possible qu’elle serve à certaines personnes, pour dissiper des réprimandes dans quelques domaines spécifiques ou pour éviter d’avoir à répondre à des questions délicates sur leur mode de vie.

Pour résumer, tout le monde connaît et s’attache à la vérité. Et en disant la vérité, il est possible d’atteindre le cœur des personnes les plus éloignées. Toutefois, nous devons faire attention à ne pas utiliser la moquerie comme tactique pour nous dispenser d’adhérer à la Vérité.

 

[1] ’Hidouché Halev, Béréchit 11,1.

[2] Cité dans Chévet Moussar.