La Paracha commence par le célèbre épisode de l’interprétation des rêves de Pharaon par Yossef. Yossef expliqua à Pharaon que ses rêves faisaient allusion à sept années d’abondance suivies de sept années de famine. Mais Yossef en rajouta et dit à Pharaon qu’il devrait nommer un homme sage et perspicace pour superviser la collecte de la nourriture pendant la période d’abondance afin qu’il y ait suffisamment de nourriture disponible lors des années de disette. Les commentateurs posent une question intéressante. Comment Yossef a-t-il pu faire cette suggestion alors que Pharaon ne lui avait demandé que l’interprétation des rêves, et non de le conseiller quant à la gestion des événements à venir. D’après le Ramban[1], Yossef vit que dans le rêve, les sept vaches maigres qui représentaient la famine, avalaient les sept vaches grasses qui représentaient le temps de l’abondance. Il en déduisit que la nourriture de la période faste devait être conservée afin d’être disponible en temps de famine. Quelqu’un devait donc être chargé de s’assurer que cela se produirait. Mais pourquoi Yossef insista-t-il sur la nécessité que cette personne soit sage et perspicace ?
La Michna de Pirké Avot nous enseigne : « Qui est l’homme sage (’Hakham) ? Celui qui anticipe l’avenir (Haroé Eth Hanolad). »[2] Ainsi, la sagesse se trouve chez celui qui prévoit les situations futures et, bien sûr, qui agit en conséquence. Yossef disait donc à Pharaon que pour connaître le succès dans les années à venir, il était crucial de trouver une personne sage, à savoir qui sait anticiper l’avenir et agir en conséquence. Quant à Pharaon, il réalisa que Yossef (à travers son interprétation et sa suggestion judicieuses) répondait parfaitement aux critères énoncés.
À d’autres moments également, Yossef fit preuve de grande prévoyance et de grande sagesse. Dans la Parachat Vayigach, on décrit les diverses Takanot (règles) que Yossef instaura quand il fut vice-roi d’Égypte. Il décida, entre autres choses, d’une loi exemptant les prêtres de vendre leurs terres à Pharaon, ce qui leur octroyait une certaine indépendance. Pourquoi Yossef aida-t-il les prêtres idolâtres de l’époque ? En réalité, il anticipait l’avenir ; il savait que le peuple juif allait être asservi par les Égyptiens, mais que tout Juif qui se dévoue à l’étude de la Torah et au service d’Hachem est considéré comme un prêtre d’Hachem et qu’il serait donc dispensé de l’esclavage. Effectivement, c’est ce qui se produisit. La tribu de Lévi assumait le rôle de Kohanim du peuple juif et ne fut donc pas asservie comme les autres Juifs. Cela fut vital pour permettre à Moché et à Aharon (issus de la tribu de Lévi) de passer librement d’un endroit à l’autre du pays, pour tenter de libérer les Juifs.
Ce pouvoir d’anticipation et de préparation de l’avenir est essentiel pour un Juif dans de nombreux aspects de sa 'Avodat Hachem. Dans le domaine de la Téfila, la Halakha enjoint de réserver un certain temps de préparation pour vider son esprit des pensées extérieures. En outre, le Néfech Ha'haïm estime que la préparation avant l’étude de la Torah est également essentielle. « À chaque fois que quelqu’un se prépare à étudier, il convient de passer un peu de temps à réfléchir à la crainte de D.ieu avec un cœur pur. »[3]
Par ailleurs, les maîtres du Moussar enseignent que lors d’une épreuve qui affecte les Middot de l’individu, il est extrêmement difficile de surmonter ce défi « à chaud ». Il faudrait plutôt se préparer à cette situation de défi à l’avance, en période calme, et envisager un plan d’action pour surmonter le défi avec succès. Prenons l’exemple d’un homme qui entre chez lui le soir, affamé, après une longue et difficile journée de travail ou d’étude. Il doit être préparé à l’éventualité de ne pas être accueilli dans une maison calme et sereine, avec un dîner servi à temps. Il risque peut-être de rentrer et d’être accueilli par des enfants en pleurs et par une femme qui attend impatiemment qu’il prenne la relève et le repas ne sera pas encore dans le four. S’il n’a pas prévu cette éventualité (qui n’est pourtant pas si rare), il risque d’être choqué, frustré et de ne pas réagir de manière optimale. Par contre, s’il anticipe, il sera beaucoup plus à même de surmonter ses émotions. Il peut aussi, par exemple, s’organiser sur le plan pratique et manger une petite collation avant de rentrer à la maison, pour apaiser sa faim avant que le dîner ne soit prêt.
La préparation est tout aussi importante en ce qui concerne les situations de la vie à plus long terme, telles que le mariage et la naissance d’enfants. Si une personne ne consacre pas de temps et d’énergie à réfléchir aux défis potentiels auxquels elle sera confrontée dans sa vie de couple et dans son rôle de parent, elle risque fortement d’être désagréablement surprise lorsqu’elle y sera soudainement confrontée. En plus de la planification pratique de ces grands événements de la vie, toute la vie de l’individu, qui le mène au mariage et à la parentalité, est en fait une préparation pour ces moments. S’il a travaillé sur ses Middot jusque-là, il sera beaucoup mieux préparé à affronter les nouveaux défis présentés par le mariage et l’éducation. Quelqu’un demanda un jour à Rav Wolbe quand il devait commencer à travailler dans le domaine de l’éducation des enfants et le Rav lui répondit : « Vingt ans avant d’avoir ses propres enfants ». Il voulait dire que la vie d’une personne, jusqu’à son mariage ou la naissance de ses enfants, doit consister à se préparer et à se construire pour être autant prêt que possible à l’éducation de ses enfants.
Yossef nous apprend que la prévoyance et l’anticipation des événements est un aspect essentiel de la sagesse et permet à l’individu de bien mieux réussir dans de nombreux domaines de la vie.
[1] Ramban, Béréchit, 41,4.
[2] Pirké Avot 2,9.
[3] Rav ’Haïm de Volozhin, Néfech Ha’haïm 4,6.