Dans la Paracha de cette semaine, nous trouvons un échange d’une grande tension émotionnelle et déterminant pour l’avenir du peuple hébreu.

« Abram répondit : "D.ieu Éternel, que me donnerais-Tu, alors que je m'en vais sans postérité et que le fils adoptif de ma maison est un Damascénien, Eliézer ? " 

Mais voici que la parole de l’Éternel vint à lui, disant : "Celui-ci n'héritera pas de toi ;  c'est bien un homme issu de tes entrailles qui sera ton héritier." » (Genèse, 15, 2-4)

Le Rav Avraham Twerski attire notre attention sur le terme apparemment superflu « Leimor » « en disant » employé à propos de la réponse de l’Éternel. Le recours à ce verbe supplémentaire semble vouloir souligner l’importance des mots qui vont suivre.

Et de fait, ce terme introduit la réponse de l’Éternel à ce qui semble être une expression de désespoir. Le premier verset mentionné ci-dessus paraît signifier qu’Avraham, presque centenaire, s’était résigné à ne pas avoir d’enfants, et il fait part au Maître du monde de son désespoir. Toutefois, telle n’était pas l’intention de l’Éternel, Avraham aurait bel et bien un descendant, même s’il fallait s’affranchir des lois de la nature.

Aussi, le terme « Leimor » vient exhorter Avraham à corriger les mots qu’il vient de prononcer, il ne fallait pas figer à travers l’expression de sa parole son désespoir, en actant que « Eliézer serait son héritier ». L’Éternel intervient immédiatement pour lui demander « Leimor » « de dire » « Cet homme ne sera pas mon héritier ».

La bénédiction divine ne peut être totalement efficace sur un esprit désespéré, elle trouve sa force précisément sur la capacité de l’homme à espérer, à imaginer des ouvertures vers de nouveaux horizons, à concevoir des réponses aux questions les plus ardues, et à être convaincu qu’il n’est de problème pas qui n’ait pas de solution.

Enfermé dans les limites étroites de sa rationalité, conditionné par la force de la routine et de l’habitude, l’homme réduit considérablement son champ d’espérance, et le périmètre mental dans lequel il appréhende son destin. C’est oublier que l’homme n’est pas qu’un être matériel, et « rationnel », il a été façonné « Bétsélem Élokim » « à l’image de D.ieu », c’est-à-dire avec une dimension infinie, qui échappe radicalement aux structures matérielles et finies du monde. L’homme vit à la fois dans ce monde, régi apparemment par les lois de la nature, et du déterminisme matérialiste, mais aussi dans le monde de l’esprit, du lien permanent avec l’Éternel, qui peut s’affranchir des lois naturelles.

Voilà pourquoi, les maîtres du Talmud nous disent : « Même avec une épée sur la gorge, nul ne doit désespérer » (Talmud de Babylone, Berakhot, 10 a). Avraham va en faire l’expérience à des nombreuses reprises au cours de son existence. À cet égard, notons que cette force d’espérer n’est jamais acquise pour toujours, mais il faut l’entretenir en permanence. On aurait pu imaginer qu’Avraham qui avait été sauvé miraculeusement des flammes de Nimrod après avoir brisé les idoles de son père, avait compris pour toujours qu’il ne fallait jamais désespérer.

Le verset de notre Paracha nous montre à quel point l’espoir est fragile. Lorsque, jour après jour, les évènements ne semblent pas aller dans la direction que l’homme souhaite, lorsqu’il songe aux probabilités infimes de voir son rêve se réaliser, lorsque ses contemporains lui disent qu’il est un doux rêveur, et que c’est « rationnellement » impossible… Quelle force faut-il pour s’opposer au courant puissant et impitoyable du « désespoir » ?

Rappelons-nous ces mots de Victor Hugo dans les Misérables : « L'espoir, c'est un peu comme une chandelle dans le vent : un souffle trop fort, et elle vacille, menace de s'éteindre, mais elle éclaire encore, fragile mais obstinée. »

Il appartient ainsi à l’homme de renforcer chaque jour le muscle de l’espoir grâce à son imagination, à sa foi, et sa confiance dans la Providence divine qui l’accompagne à chaque instant, le protège, et le dirige.

Concluons avec cette fameuse sentence attribuée à Rav Na'hman de Breslev : « Ein Yéouch Ba'olam - Il n’y a aucune place pour le désespoir dans le monde ! ».