Dans la paracha 'Hayé Sarah, il est écrit : « J’ai dit à mon maître : "Peut-être (אלי) la femme ne me suivra pas !" » (Beréchit, 24:39)
Rachi explique sur le mot « Peut-être » : אלי est écrit [sans le « vav »] : Eliezer avait une fille et cherchait un moyen de tourner Avraham vers lui [afin qu’Its’hak] se marie avec sa fille.Quand Avraham demanda à son fidèle serviteur de chercher une femme pour Its’hak, Eliezer lui demande ce qui se passerait si la jeune fille refusait de le suivre. Après sa rencontre avec Rivka, il relate cette histoire à Betouel et à Lavan.
Dans le premier récit de la discussion avec Avraham, le mot אולי – peut-être – est écrit normalement, c’est-à-dire avec le « vav ». En revanche, lors du compte-rendu d’Eliezer, la Thora écrit ce terme sans la lettre « vav ». Le mot obtenu, אלי, qui signifie « vers moi », fait allusion au fait qu’Eliezer espérait ne pas trouver de bon parti pour Its’hak durant son voyage et que, par conséquent, ce dernier viendrait « vers lui » et se marierait avec sa fille.
Les commentateurs se demandent pourquoi la Thora insinue ce projet seulement lors de la répétition du récit ; n’aurait-il pas été plus logique de nous le dire dès la première fois ?[1]
Le Rebbe de Kotsk zatsal explique que la première fois qu’Eliezer exprima cette réserve, il n’était pas conscient de son espoir secret de voir Its’hak se marier avec sa fille. On ne fait donc aucune allusion à ses motivations. Ceci, parce qu’il était dans l’incapacité de considérer la situation objectivement et de réaliser qu’il avait des arrière-pensées. Après avoir trouvé une jeune fille pour Its’hak, il eut une vision plus globale et juste de ce qui s’était passé. Il reconnut alors rétroactivement que son objection contre la décision d’Avraham provenait de l’espérance de voir sa propre fille mariée à Its’hak.
L’explication du Rebbe de Kotsk montre à quel point il est facile d’être pris au piège par des motivations égoïstes, sans même s’en rendre compte. On ne peut les identifier qu’après certains événements, quand notre jugement est totalement objectif, mais il est alors souvent trop tard… Comment éviter ce problème ?
La Michna dans Pirké Avot nous aide à répondre à cette question. Elle nous enjoint : « Acquiers pour toi un ami[2] ». Rabbénou Yona note qu’un ami peut nous aider à accomplir les mitsvot. « Même quand il n’est pas plus vertueux, voire qu’il agit incorrectement, il ne veut néanmoins pas que l’autre en fasse de même, car il n’en tire aucun bénéfice[3]. »
Il prouve ensuite qu’« une personne ne commet pas de faute en faveur de quelqu’un d’autre ». En d’autres termes, un homme trébuche parce qu’il est aveuglé par un désir de satisfaire un plaisir, mais en ce qui concerne son prochain, il n’a pas les mêmes penchants et on ne le suspecte donc pas de fauter pour avantager autrui.
On applique souvent ce principe dans la guemara[4].
Rabbénou Yona nous enseigne donc l’importance d’avoir au moins un ami qui agit en « spectateur » impartial vis-à-vis de nos actions et qui nous met en garde quand nos arrière-pensées distordent notre raisonnement. Cet ami ne doit pas nécessairement être plus grand ou plus vertueux que nous – c’est son objectivité qui le rend plus apte à discerner nos véritables intentions.
Ainsi, nous espérons pouvoir éviter les embûches du yétser hara et lever l’ambiguïté sur ce qui nous motive à agir d’une certaine façon.
[1] Voir Sifté ‘Hakhamim et Kli Yakar, Beréchit, 24:39 pour certaines approches.
[2] Pirké Avot, 1:6.
[3] Rabbénou Yona, Pirké Avot, 1:6.
[4] Baba Métsia 5b, Kidouchin 63b, Chevouot 42b, Arakhin 23a.