La paracha de cette semaine met en lumière le cas particulier du « nazir » (abstème) qui s’astreint volontairement à une période d’abstinence, d’éloignement de la matérialité et s’impose un ascétisme qui dépasse ce que le Torah préconise. Il s’interdit ainsi de consommer des produits de la vigne, des liqueurs, il laisse pousser ses cheveux et ne peut se rendre impur au contact d’un mort.
Le statut de cette personne fait l’objet d’un débat parmi les maîtres de la Torah pour savoir s’il s’agit d’une attitude louable et digne d’éloges ou bien si, au contraire, il s’agit d’une attitude répréhensible, ou à tout le moins, d’un « pis-aller » à défaut de pouvoir agir autrement.
En effet, d’une part, le terme même de « nazir » semble positif et peut être traduit par « couronné » « La couronne de D.ieu est sur sa tête…il est consacré à D.ieu » (Bamidbar, 6.7). En s’imposant des restrictions supplémentaires, le nazir témoigne de son aspiration à une plus grande sainteté, une plus grande proximité avec l’Eternel. Le midrach explique ses mérites de la manière suivante « Lorsque quelqu’un se sanctifie ici-bas, on le sanctifie en haut. Cet homme qui se prive de bin et s’impose la gêne de ne pas se couper les cheveux afin de se garder du péché, D. considère qu’il ressemble au grand prêtre ». (Midrach Raba, Bamidbar, 10-11)
D’un autre côté, nos Sages nous enseignent que l’Eternel a créé le monde afin que l’homme profite des merveilles et des délices de la Création. Or, en s’imposant de ne pas profiter des bonnes choses de ce monde tel que le vin qui est également le moyen d’accomplir certaines mitsvot, l’homme va au-delà de ce qu’on lui demande, il n’honore pas la Création comme il le devrait, et les maîtres du Talmud le qualifie ainsi de « pêcheur ». Aussi, au terme de sa période d’abstinence, il doit apporter un sacrifice pour « expier » sa faute.
Pour comprendre cette présentation paradoxale du nazir, tantôt sous les traits de la « sainteté » tantôt sous les traits de la faute, il faut se rappeler du contexte dans lequel une personne décide de devenir « nazir ».
Il s’agit de certaines périodes de la vie durant lesquelles l’homme ressent une forme de malaise, il ne se sent pas à sa place, il aspire à se rapprocher de D.ieu et il a le sentiment de ne pas y arriver à cause du poids de la matérialité qui l’empêche de s’élever. De même, un homme qui se sait enclin à une mauvaise inclinaison, tenté par des désirs négatifs peut décider de son propre chef de se soumettre à une conduite rigoureuse, au-delà de ce que la loi impose, afin de contrebalancer et faire échec à ses pulsions destructrices.
L’exemple du nazir donne finalement à l’homme un mode opératoire pour affronter positivement les périodes difficiles de la vie où l’on connaît des échecs, où l’on ressent de la peine ou de la tristesse.
Le premier enseignement est que, de même que la période d’abstinence dot être limitée dans le temps, de même les difficultés qu’un homme connaît au cours de sa vie sont limitées dans le temps et ont vocation à être relayées par des joies et des bonheurs. Nos maîtres nous enseignent que la vie est ainsi faite qu’elle voit se succéder des moments de joie et de moments moins joyeux. Rabbeinou Tam écrit ainsi « Celui qui sert Hachem doit savoir et garder en tête dès le départ qu’il y aura toujours une bataille dans son for intérieur entre la joie et la tristesse. Mais, quand la tristesse l’emporte, il faut savoir que ses jours sont comptés et qu’elle disparaitra rapidement » (Sefer Hayashar, Sha’ar 6, rapporté par R. H. Margolin, Living simcha).
Cette limitation dans le temps de la période d’abstinence du nazir, de même que celle des jours difficiles qui émaillent la vie, est une première source de réconfort et d’espoir.
Le deuxième enseignement consiste à comprendre la dimension positive contenue dans ces périodes de vie où le yetser hara’, le « mauvais penchant » se fait plus pressant et obsédant. En effet, le yetser hara’ n’est pas une création « autonome », sans aucune utilité. Ses attaques contre les hommes ont vocation à les amener à travailler sur eux, à raffiner leurs « qualités », et rendre possible un perfectionnement permanent de l’homme sur la longue durée. Le Talmud rappelle ainsi ses propos de D.ieu « J’ai créé le yetser hara’ et la Torah comme antidote » (Kidouchin 30b).
Les maîtres de la morale mettent en garde l’homme comme la « routinisation » de la vie qui assoupit la vigilance de l’homme et ne l’incite pas à s’améliorer, en le maintenant au chaud dans ses certitudes et ses habitudes. Naturellement, on ne désire pas être éprouvé par le yester hara’, on prie Hachem pour être épargné de ses épreuves le plus possible. Mais lorsque de telles épreuves se présentent, il faut les percevoir comme des opportunités de travailler sur un point faible de sa personnalité afin de se renforcer et être en mesure de déployer toutes les potentialités de notre âme.
Après avoir éprouvé une difficulté, avoir surmonté une tentation négative, l’homme connaît un profond sentiment de joie et de satisfaction. La lumière qu’il perçoit est beaucoup plus grande que celle qu’il connaissait précédemment. C’est là le sens des mots du prophète Mikha « N’exulte pas à mon sujet, ô mon ennemie, car je suis tombé, je me relève ; si je suis confinée dans les ténèbres, l’Eternel est ma lumière » (Mikha 7.8)
Comme l’explique R. Hayim Shmulevitz dans Sihot Moussar, c’est seulement après avoir connu l’obscurité que l’homme peut apprécier la lumière. Celle-ci prend alors un relief, une profondeur et une acuité beaucoup plus forte.
Quand l’homme prend conscience de certaines difficultés qu’il éprouve, qu’il est capable de les identifier, de les combattre et de les vaincre, il accède à une nouvelle dimension de sa vie porteuse de joie et de confiance dans les promesses de l’avenir.
Pour sortir victorieux de ces moments de défi de l’existence, nos Sages recommandent une attitude proche de celle du nazir : s’accrocher à une conduite vertueuse sur quelques points en particulier. « Durant ces moments de faiblesse, l’homme ne doit pas se décourager. S’il abandonne son service de D.ieu, il aura tout perdu. Il doit être souple sur certains points, mais tenir avec force un petit nombre de résolutions ». (R. S. Wolbe, Alei Shour).
Aussi, les faiblesses qui se révèlent à l’homme au cours de sa vie n’apparaissent pas au hasard des situations de la vie. Elles sont des appels de notre néchama à corriger certains points faibles afin d’accéder à une lumière plus grande, et faire de la vie, avec l’aide d’Hachem, la voie d’un perfectionnement permanent.