La Paracha 'Houkat évoque de nombreux épisodes restés célèbres dans la tradition juive. Elle s’ouvre sur le commandement relatif à la vache rousse et aux règles relatives à la pureté et à l’impureté en présence d’un mort. Cette règle a donné son nom à notre Paracha, « ‘Houkat », qui désigne un décret qui dépasse le cadre de l’entendement humain et qui ne peut être compris de manière rationnelle.
Outre ce premier épisode, la Paracha évoque ensuite la mort d’Aharon, puis un autre passage douloureux concernant le découragement du peuple et ses récriminations contre Moché.
Ensuite, notre texte nous relate les différentes confrontations entre les hébreux et les peuplades qui habitaient dans la région et qui s’opposaient à eux. Parmi ces différentes populations, la Paracha mentionne le peuple cananéen qui habitait dans le Sud et qui profita de la mort d’Aharon et de la tristesse du peuple pour l’attaquer.
Le texte parle ainsi des Cananéens, et pourtant, Rachi évoque Amalek dans son commentaire, car c’est lui qui est réputé pour habiter dans le Sud. Or, les Cananéens et les Amalécites sont deux peuples différents. Comment comprendre cette incohérence apparente ? Consultons Rachi, il nous donne la solution :
Habitant au sud : Il s’agit de Amalek, comme il est écrit : « Amalek demeure dans le pays du sud » (supra 13, 29) (Midrach Tan‘houma). Le texte change son appellation et le désigne sous le nom de Kenaan, afin que les enfants d’Israël demandent dans leurs prières au Saint béni soit-Il de « donner les Kenaani dans leurs mains », bien que ce n’en soit pas. Israël a constaté que leurs vêtements étaient ceux de Amalek et leur langue celle de Kenaan. Ils se sont dit : « Nous allons prier sans précision de nom », comme il est écrit : « Si donner, tu donnes “ce peuple-ci” dans ma main… » (verset 2).
Rachi nous explique ainsi la stratégie mise en place par Amalek pour dérouter les Bné Israël. Craignant que ces derniers prient pour le vaincre, Amalek imite la langue des Cananéens afin que les Bné Israël pensent qu’ils vont les combattre et qu’ils prient pour les vaincre. Ainsi, en l’absence de prières contre lui, Amalek se sent en confiance pour combattre et vaincre les Bné Israël.
Si l’on souhaitait trouver une illustration de la force de la prière, on ne trouverait pas meilleur exemple. Même l’ennemi le plus farouche d’Israël reconnaît l’impact de la prière et la redoute au point de mettre en place des stratagèmes pour y échapper.
La prière est un trésor que D.ieu a mis à notre disposition pour nous adresser à Lui et tisser ainsi une relation intense, permanente. Nos Sages nous invitent à prendre conscience de cette force en nous rappelant qu’Hachem se tient toujours aux cotés de ceux qui L’invoquent, et qu’Il ne laisse pas les prières des hommes sans réponse. L’homme ne voit pas toujours immédiatement le résultat de sa prière, mais il doit être convaincu que tôt ou tard, il recevra une réponse. Il est possible également que cette réponse soit différente car D.ieu sait mieux que l’homme ce qui est réellement bon pour lui. Mais l’essentiel est là, D.ieu écoute l’homme qui s’adresse à Lui, et Il désire répondre à son attente. Souvenons-nous des mots de Rabbi Chimon : « Lorsque tu pries, ne rend pas ta prière pesante mais sensible et suppliante devant D.ieu, béni soit-Il, comme il est dit « Car il se laisse émouvoir et prend en pitié, Il est lent à la colère, grand en générosité et Il revient du mal ». (Maximes des Pères, 2-13)
La prière est un art qui ne nécessite aucune compétence particulière, elle est à la portée de chacun. De même que la Torah est le bien commun de l’ensemble du peuple juif, de même la force de la prière a été offerte à tous. La Torah ne peut être plus explicite lorsqu’elle écrit : « Elle n'est pas dans le ciel, pour que tu dises : "Qui montera pour nous au ciel et nous l'ira quérir, et nous la fera entendre afin que nous l'observions ?" Elle n'est pas non plus au-delà de l'océan, pour que tu dises : "Qui traversera pour nous l'océan et nous l'ira quérir, et nous la fera entendre afin que nous l'observions ?" Non, la chose est tout près de toi : tu l'as dans la bouche et dans le cœur, pour pouvoir l'observer ! »
Toutefois, nous devons reconnaître que certains freins entravent le déploiement de la prière. Le premier frein est peut-être l’inconstance de l’homme qui oublie parfois la force de la prière, s’acquitte de celle-ci de manière expéditive et automatique et ne déploie pas dans la prière la même énergie qu’il met dans la gestion de ses affaires matérielles.
Ensuite, la prière est menacée par la routine qui assèche les mots que le fidèle prononce. A force de répéter les mêmes mots, l’homme qui n’est pas vigilant peut perdre de vue la saveur unique de ce privilège extraordinaire : s’adresser à D.ieu.
Enfin, il est bien connu que dès que l’homme se met à prier, il peut être envahi par des pensées étrangères qui éloignent son esprit et sa conscience des mots qu’il prononce.
Voilà pourquoi de même qu’Amalek met en place une stratégie pour faire échouer les prières des Bné Israël, nous devons réfléchir aux stratégies opportunes pour rendre nos prières les plus efficaces et les plus belles. La prière est avant tout un dialogue que l’homme noue avec Hachem, elle est une opportunité de louer le Créateur, d’exprimer sa gratitude et de demander ce que nous souhaitons.
Rabbi Na’hman de Breslev a longuement commenté l’art de la prière. Il insiste notamment sur l’importance d’y mettre tout son cœur. L’homme peut initier de son propre chef, et avec sa langue maternelle, un dialogue avec Hachem en y incluant d’une part des louanges et des remerciements, et d’autre part des demandes pour ce qu’il désire.
Bien sûr, la prière rédigée par les Sages dans la liturgie reste le cœur du service divin demandé à l’homme. Comme l’explique Rabbi Haïm de Volozhin, les mots que nous prononçons et qui ont été fixés par les Sages de la Grande Assemblée ont une portée que l’on ne soupçonne pas, et ils montent directement dans les Cieux afin de bâtir l’harmonie universelle.
La prière est ainsi le chant quotidien qui unit l’homme avec son Créateur, elle est la première des poésies qui concilie la gratitude et la requête, la louange et l’humilité, l’amour et l’espoir.
Avec l’aide d’Hachem, puissions-nous devenir tous des poètes afin d’adresser à Hachem les plus belles des prières, et ressentir avec tout notre cœur la puissance des mots fixés par Nos Sages. Nous pourrons ainsi ressentir avec encore plus d’intensité les liens qui nous unissent à Hachem et accompagner par nos prières la venue du Machia’h !