La Paracha 'Houkat termine par l’histoire de la conquête de la ville de ’Hechbon par le peuple juif. Elle appartenait à Moav jusqu’à ce que Si’hon, roi des Emoréens prenne le pouvoir sur Moav et conquière ’Hechbon. À propos de cette guerre, la Thora nous raconte : « C’est pourquoi les "Mochlim" [poètes] disaient : "Venez à ’Hechbon ! Et la Cité de Si’hon sera reconstruite et rétablie !" »[1].

D’après le sens simple, ce Passouk indique que les « Mochlim » sont ceux qui disent des Machalim (des poèmes, des analogies) : Bilaam et Béor, et ils disaient à Si’hon d’aller s’emparer de ’Hechbon.

Mais la Guémara voit une allusion dans ce verset : « C’est pourquoi, ceux qui maîtrisent leurs instincts diront : "Venez, faisons un compte-rendu ; la perte [causée par l’accomplissement] d’une Mitsva par rapport à ses bénéfices, ainsi que les intérêts d’une faute contre ce qu’elle fait perdre." »[2]

Les commentateurs demandent pourquoi seuls ceux qui maîtrisent leurs penchants déclarent qu’il faut faire une introspection[3]. Le Messilat Yécharim explique que ceux qui dominent leurs instincts analysent leur Yétser Hara en profondeur et sont conscients de la nécessité d’une extrême vigilance quant à ses tactiques, grâce à un ’Hechbon Hanéfech régulier. Par conséquent, ils exhortent les autres à entreprendre une réflexion. Pour ce faire, la personne doit « inspecter » les objectifs qu’elle s’est fixés dans sa vie et se demander s’ils se concrétisent dans son quotidien.

Celui qui ne « maîtrise pas ses inclinations » ne sait pas que le Yétser Hara cherche constamment à le piéger et à l’entraîner vers le bas. Il est tellement aveuglé par la force du mauvais penchant qu’il trébuche tout au long de sa vie comme quelqu’un qui marche dans l’obscurité, totalement inconscient des nombreux dangers qui le guettent. Il ne réalise pas l’importance du ’Hechbon Hanéfech et c’est donc quelqu’un qui se contrôle, qui peut le motiver à cela.

Le Méssilat Yécharim note les différents éléments qui poussent une personne à se tromper quant au véritable but de la vie. Tout d’abord, l’individu est tellement submergé par ses activités, qu’il n’a jamais l’opportunité de faire une pause et d’analyser le sens que prend son existence. C’est l’une des tactiques les plus efficaces du Yétser Hara – il sait que ce genre d’arrêt incitera la personne à réaliser que de nombreux changements sont nécessaires. C'est pourquoi il nous occupe afin que l’on n’ait aucun temps libre pour penser à la vie. À l’instar de Pharaon, qui, lorsqu’il s’aperçut que les juifs pensaient à leur liberté, les força à travailler encore plus dur pour qu’ils n’aient pas le temps de songer à une éventuelle rébellion. 

Ainsi, le Yétser Hara nous envoie toutes sortes de distractions au point que l’on n’arrive jamais à se poser et à réfléchir. « Il existe une différence entre action et réalisation » ; malgré nos activités, nous risquons d’être bien déçus, si nous nous arrêtions pour examiner nos résultats.

Cette occupation se manifeste de diverses façons.

On raconte l’histoire d’un père qui travaillait énormément, même le dimanche, jour chômé dans l’entreprise qui l’employait et seule journée qu’il pouvait passer avec son fils. Chaque dimanche, le fils souhaitait que son père passe un peu de temps avec lui, mais ce dernier devait aller travailler… Un jour, l’enfant demanda à son père combien il gagnait en une heure de travail, le dimanche, ce à quoi celui-ci répondit : 100 $. Le garçon dit alors qu’il avait économisé 50 $ et qu’il voulait les donner à son papa pour qu’il reste une demi-heure avec lui !

Le père avait peut-être de nobles intentions quand il faisait ces heures supplémentaires, mais il ne se rendait pas compte qu’il sacrifiait un lien étroit avec son fils et que les avantages de ce travail étaient supplantés par le tort qu’il causait. Ce n’est qu’après cet appel désespéré de l’enfant qu’il parvint à s’arrêter un peu et jouer un vrai rôle de père.

Si ce Nissayon était si fort du temps du Messilat Yécharim[4], il l’est d’autant plus dans la société moderne. Le monde est saturé de gadgets et de nouveautés technologiques qui peuvent occuper les gens et les distraire toute la journée[5]. Rares sont les conversations qui ne sont pas interrompues par un appel téléphonique ou par la réception d’un e-mail sur l’iPhone.

Pour vaincre le Yétser Hara, le Messilat Yécharim conseille vivement de faire un ’Hechbon Hanéfech régulier, pour se souvenir des objectifs de la vie et pour s’assurer que l’on vit en accord avec eux. Le Chabbat est un moment propice à ce genre d’analyse. C’est le jour où l’on peut se détacher de toutes ces distractions et faire le bilan de la semaine passée.

Le Yétser Hara fait tout son possible pour nous empêcher d’entreprendre une introspection. Par conséquent, il peut nous paraître plus difficile de consacrer cinq minutes par semaines au ’Hechbon Hanéfech que dix heures par jour à l’étude ! Certes, le mauvais penchant ne veut pas que l’on étudie la Torah, mais s’il ne peut éviter ceci, il s’efforcera d’empêcher l’individu d’utiliser ce qu’il apprend pour vivre en conformité avec la Torah. Il commence par s’opposer à ce qu’il prenne du recul pour réfléchir au sens de sa vie, en faisant du ’Hechbon Hanéfech une tâche pénible.

Mais, comme nous le savons, celui qui tente de se purifier bénéficie d’une grande aide du Ciel et connaîtra donc certainement une grande réussite.



[1] Parachat ‘Houkat, Bamidbar, 21:27.

[2] Baba Batra, 78b.

[3] Voir Messilat Yécharim, Ch. 3 ; Nétivot Chalom, Parachat ‘Houkat.

[4] L’auteur de cet ouvrage est le Rav Moché ‘Haïm Luzzato. Il vécut il y a près de 400 ans.

[5] Cela ne signifie pas que ces appareils ne sont d’aucun bénéfice. Mais, comme tout dans la vie, ils peuvent être utilisés pour le bien ou pour le mal.