Dans la parachat 'Houkat, il est écrit : « Ils partirent du Mont Hor en direction de la Mer des Joncs, pour tourner le pays d’Édom. Le peuple perdit courage pendant cette marche. Il se plaignit de D. et de Moché : "Pourquoi nous avez-vous tirés de l’Égypte, pour nous faire mourir dans ce désert ? Car il n’a pas de pain, pas d’eau et nous sommes excédés de ce misérable aliment". Hachem envoya alors contre le peuple des serpents brûlants, qui mordirent le peuple, et une multitude d’Israël périt. Le peuple alla vers Moché et ils dirent : "Nous avons fauté en parlant contre Hachem et contre toi, intercède auprès d’Hachem, pour qu’Il retire de nous ces serpents !" Moché pria pour le peuple. » (Bamidbar, 21:4-7)
Rachi explique sur les mots, « Moché pria » : Nous en déduisons qu’il ne faut pas être trop cruel, qu’il ne faut pas refuser d’accorder son pardon.
La paracha de cette semaine relate une autre plainte du peuple juif concernant sa situation dans le désert. À cette occasion, ils parlèrent contre Hachem et contre Moché Rabbénou et la punition fut immédiate et dévastatrice. Les Bné Israël reconnurent alors leur faute et demandèrent à Moché de prier pour eux – ce à quoi il consentit. Rachi explique, en rapportant le Midrach Tan’houma, que Moché leur pardonna, nous enseignant que quand une personne est lésée par son prochain, elle ne doit pas refuser obstinément de l’excuser.
Le rav Its’hak Berkovits chlita énonce le principe suivant ; la Thora rapporte souvent une halakha ou une idée en rapportant un exemple extrême de la situation et nous pouvons alors mettre cette leçon en application à travers un raisonnement a fortiori. Dans ce midrach, Moché aurait pu tenir rigueur au peuple juif, et cela aurait été justifié. Tout d’abord, ils jugèrent son immense bonté comme une marque de cruauté ; il les mena dans le désert afin de les sauver des mains de Pharaon, mais ils l’accusèrent de les avoir dirigés vers la mort dans la sécheresse. Il leur fit descendre la manne, mais ils se plaignirent de son inconsistance. Malgré tout, Moché Rabbénou leur accorda immédiatement son pardon et pria en leur faveur.[1]
Il est difficile d’imaginer pire injustice que ce que fit subir le peuple juif à Moché. Chacun d’entre nous est d’autant plus tenu de pardonner à ceux qui lui ont causé du tort. Rachi ajoute que le refus d’excuser l’autre est considéré comme de la cruauté. Celui qui ne pardonne pas est spirituellement terni, comme le souligne le rav Steinman chlita – la guemara dans Chabbat affirme que celui qui provoque la sanction d’un autre juif ne peut profiter de la Présence Divine dans le Monde Futur[2]. Par exemple, si Réouven a causé un dommage à Chimon et mérite d’être puni, ce dernier souffrira s’il fait perdurer la faute de Réouven – à moins qu’il ne lui pardonne.[3]
L’histoire suivante montre à quel point nos dirigeants spirituels prennent ce sujet au sérieux. Le rav ‘Haïm Soloveitchik zatsal raconta que son père, le rav Yossef Dov zatsal, auteur du Beit Halévy étudiait avec lui un jour à la yéchiva de Slutzk, quand l’un des bouchers de la ville entra dans la salle d’étude et commença à crier et à insulter le Beit Halévy. Parmi les injures prononcées, il accusa l’illustre rav d’être un juge injuste. Il avait été déclaré coupable la veille et, se prétendant innocent, il estimait que le rav avait été soudoyé par son antagoniste, un autre boucher de la ville.
Quand il entendit l’accusation du boucher, le rav mit son chapeau et sa veste et fixa silencieusement le sol. Le boucher, pensant que son interlocuteur était confus, poursuivit sa tirade. Il maudit tous les rabbins et traita le Beit Halévy d’homme malhonnête. Puis il leva la main et menaça de le frapper. Durant tout ce temps, le rav se contrôla et supporta cette honte en silence. Alors que le boucher sortait de la salle d’étude, il continuait à débiter maintes insultes et malédictions, mais le Beit Halévy n’essaya pas de se justifier ou de le réprimander. Au lieu de cela, il le suivit en disant : « Je vous pardonne, je vous pardonne. Personne n’est coupable. »
Le lendemain, le boucher se fit attaquer par l’un des veaux qu’il avait achetés et en mourut. Cet incident peina grandement le Beit Halévy. Rav ‘Haïm raconta que son père répéta plusieurs fois : « Je crains de n’avoir provoqué cette mort à cause de ma cruauté. » Ce n’est qu’après de nombreux efforts pour le convaincre du contraire, que rav ‘Haïm réussit quelque peu à consoler le Beit Halévy, qui demeurait affligé par cet événement. Il alla à l’enterrement du boucher, pleura amèrement sur sa tombe et s’engagea à réciter le Kaddish pendant onze mois et à apprendre quotidiennement des Michnayot pour l’élévation de son âme. Chaque année, il jeûnait le jour de l’anniversaire du décès du boucher et étudiait la Thora, comme il le faisait pour le yahrtzeit (anniversaire du décès) de son propre père.
Cette histoire incroyable montre jusqu’où il faudrait aller pour ne pas être la cause de la souffrance d’autrui, même quand celui-ci est manifestement fautif[4].
Nous avons vu l’importance du pardon, ainsi que les conséquences du refus d’absoudre. De nombreuses discordes qui ont détruit des familles et des amitiés auraient pu être évitées ou amoindries si les parties s’étaient mutuellement accordé leur pardon.
Puissions-nous mériter d’apprendre de Moché Rabbénou et de pardonner sincèrement à notre prochain.
[1] Le Michna Beroura, sk.11, note que le fait de pardonner le motsi chem ra est louable, bien que ce ne soit pas une obligation – il définit ceci comme midat haanava (une marque d’humilité).
[2] Ayéleth Hacha’har, Bamidbar, 21:7.
[3] Il paraît évident que cela n’est vrai que quand la personne en tort n’a pas fait ce qui était en son pouvoir pour excuser le fauteur. Si ce dernier refuse obstinément de demander pardon, la victime ne porte aucunement la responsabilité, puisqu’elle a tout fait pour éviter la punition du fauteur.
[4] Dans d’autres articles, nous avons développé d’autres raisons expliquant pourquoi le refus de pardonner était très préjudiciable pour la personne bornée. Voir mon article sur les trois semaines – Aller au-delà de la stricte Loi.