La Haftara de cette semaine est issue du livre de Mikha. Ce dernier appartient à une génération qui a connu une forte intensité prophétique, puisqu’il est contemporain des prophètes Hochéa, Amos et Isaïe (Baba Batra 14b). Il est l’une des rares figures de notre tradition à être qualifié de « Ich Ha-Elokim », homme de D.ieu.
Outre cette Haftara, les prophéties de Mikha sont restées célèbres pour plusieurs raisons. Il fut le premier prophète à annoncer la destruction du Temple de Jérusalem. Et sa prophétie est rappelée, en son nom, par Jérémie dans son livre :
« Des hommes se sont levés parmi les anciens du pays, et ils se sont adressés à l’ensemble du peuple en disant : « Mikha de Moréchet prophétisait […] : "Ainsi dit Hachem, Maître des armées ; Sion sera labourée comme un champ, et Jérusalem sera des monceaux de pierres, et la montagne de la Maison les lieux hauts d’une forêt" ».
En outre, ce sont des versets de Mikha qui sont énoncés et qui ont donné son nom à la prière de « Tachlikh », l’après-midi du premier jour de Roch Hachana.
Liens entre la Paracha et la Haftara
Nous pouvons identifier plusieurs liens entre la Paracha de Balak et notre Haftara. Tout d’abord, l’épisode du complot de Bilam et Balak contre les enfants d’Israël est rappelé explicitement dans notre texte.
Ensuite, notre Haftara dénonce l’absurdité de multiplier les offrandes et sacrifices à Hachem, dès lors que l’intention et la volonté d’accomplir Sa volonté ne sont pas ancrées dans le cœur des offrants. Or, c’est précisément ce que fit Bilam dans notre Paracha.
Enfin, nous pouvons identifier des thématiques similaires dans nos deux textes : la comparaison d’Israël avec un lion, la dénonciation de la sorcellerie et de la divination, ou encore l’image des collines et des rochers qui désignent métaphoriquement les Patriarches et les Matriarches.
L’écho de la Haftara
Une des phrases de notre Haftara est restée particulièrement célèbre dans la mesure où elle condense, selon les Sages du Talmud (traité Makot, 24a), l’ensemble des 613 Mitsvot en 3 grands principes. Il s’agit de la dernière phrase de notre texte : « Homme, D.ieu t’a dit ce qui est bon et ce qu’Il attend de toi, seulement que tu pratiques la justice, que tu aimes faire des actes de bonté, et que tu marches discrètement auprès de D.ieu » (Mikha, 6-8).
Voilà donc la quintessence du message de la Torah, le cœur de ce qu’Hachem attend de nous : la justice, la bonté, et la discrétion. Il ne s’agit pas naturellement de prétendre pouvoir substituer des principes moraux aux détails des lois (Halakha) que nous devons mettre en pratique, mais simplement de rappeler que la pratique des Mitsvot doit être orientée vers le perfectionnement des qualités morales de l’homme.
Comme nous le voyons clairement à partir de l’analyse de la Haftara et de la Paracha de cette semaine, ce qui importe à Hachem, ce n’est certainement pas une pratique formelle déconnectée d’une ambition morale et d’un désir authentique de se rapprocher de D.ieu. Comme le dit le prophète, en des termes très clairs : « L’Eternel prend-il plaisir à des milliers de sacrifices, à des torrents d’huile déversés pour les offrandes ? »
Certainement pas. Une pratique dénuée d’intention, une pratique sans cœur, sans volonté sincère de s’amender pour ses fautes importe peu à Hachem. C’était là notamment l’erreur de Bilam qui pensait pouvoir faire illusion devant D.ieu en multipliant les sacrifices et les autels, comme si la quantité de ses actes pouvait suppléer à l’impureté de son cœur…
Nos Sages nous ont averti depuis longtemps : « Ra’hmana ‘Hafets Liba », D.ieu désire le cœur. Hachem affectionne ceux qui Le servent avec authenticité, avec un cœur pur, ceux qui cherchent réellement à Lui donner satisfaction en perfectionnant leurs qualités morales, notamment dans la relation au prochain.
Pour y parvenir, l’homme doit faire preuve d’une grande humilité afin d’être capable de s’ouvrir à la volonté de D.ieu. Tant que l’homme met son égo, ses envies, et sa logique au centre de sa vie, il crée involontairement des écrans qui l’empêchent de s’ouvrir pleinement à la volonté divine.
Les textes que nous lisons ce Chabbath nous permettent d’approfondir ces notions. Notre tradition nous enseigne que Bilam était un très grand prophète non juif ; il reconnaissait le Tout-Puissant, mais il était impie. La Torah nous indique clairement que ses motivations n’étaient pas de servir D.ieu mais avant tout sa quête des honneurs, son besoin de reconnaissance, et sa soif de richesse.
Face à Bilam, le plus grand prophète des Nations, notre tradition oppose le plus grand prophète d’Israël, Moché Rabbénou. Moché se caractérise avant tout par son extrême humilité. Rappelons-nous le cri du cœur qu’il opposa avec son frère Aharon aux récriminations du peuple : « Na’hnou ma » (Que sommes-nous ?), sous-entendu : « Nous ne sommes rien ». Ce terme de « Ma », qui introduit le questionnement en hébreu, va ainsi devenir le symbole de l’humilité et de la capacité de l’homme à se questionner lui-même. Moché et Aaron rejoignent en ce sens Avraham Avinou qui s’était lui-même qualifié de « Afar Vaéfèr », cendre et poussière.
Et de fait, la comparaison entre Moché et Avraham d’une part, et Bilam d’autre part, est féconde pour comprendre le chemin vertueux que l’homme doit poursuivre. Aussi, dans les Pirké Avot, nos maîtres énoncent le principe suivant : « Celui qui possède ces trois qualités fait partie des élèves d’Avraham Avinou : un bon œil, un esprit modeste, un appétit limité. Celui qui possède ces trois qualités fait partie des élèves de Bilam Haracha : un mauvais œil, un esprit orgueilleux et une soif de richesse insatiable ».
Ces mots expriment à nouveau de manière très claire les dispositions d’esprit et de cœur chéries par l’Eternel : la capacité à s’ouvrir avec bonté et générosité à autrui, l’humilité, mais aussi la faculté à savoir limiter ses désirs de possessions matérielles. Rabbénou Yona précise que ces 3 qualités sont en quelque sorte les vertus-mères qui contiennent en elles-mêmes l’ensemble des autres qualités que l’homme doit rechercher.
Relisons à présent la phrase de la Haftara que nous avons mise en exergue au début de notre commentaire, et qui synthétise selon nos Sages les 613 Mitsvot : « Homme, D.ieu t’a dit ce qui est bon (Ma Tov) et ce qu’Il attend de toi (Ma Hachem Dorèch Mimékha)… » Nos Maitres nous suggèrent de lire ce verset de la manière suivante : « Homme, D.ieu t’a dit que l’humilité (Ma) est bonne, et c’est l’humilité (Ma) que D.ieu recherche de toi. Grâce à cette disposition d’esprit, tu pourras répandre le ‘Hessed, pratiquer la justice, et bien sûr, marcher discrètement avec l’Eternel ton Dieu ». (Rav Rozenberg)
En choisissant ce verset pour résumer les 613 Mitsvot, les Sages ont fait preuve d’une grande audace, mais ils ont sans aucun doute souhaité interpeler les esprits des modernes comme des anciens sur la finalité de la Torah : le perfectionnement moral.
Ce dernier ne se conquiert pas de manière solitaire, il s’obtient dans l’ouverture à l’autre et la capacité à pratiquer le ‘Hessed, c’est-à-dire à multiplier les actes de générosité et de sollicitude matériels et spirituels auprès des hommes. Si les Sages insistent tellement sur ces principes, c’est probablement car ce n’est pas la nature spontanée des hommes que d’exceller dans cette voie. Voilà pourquoi seule une prise de conscience forte peut inciter les hommes à travailler ce trait de caractère : étudier les textes de nos Sages, apprendre les lois, développer une sensibilité à autrui afin d’être capable de répondre à ses besoins, voire de les anticiper.
Afin de ne pas dévier de cette voie, rappelons-nous la récompense immense qui attend les disciples d’Avraham : « Ils jouissent de ce monde et héritent du monde futur » (Pirké Avot, 5-19). En outre, la diffusion du ‘Hessed au sein de notre peuple conjuguée à l’étude de la Torah permettra sans aucun doute à notre génération de favoriser l’arrivée très prochaine du Machia’h !