Le thème de cette chronique est lié à l’adoption récente par l’Assemblée Nationale d’un texte de bioéthique, qui proclame l’ouverture de la PMA (Procréation médicalement assistée) aux femmes non mariées. Cette adoption est, selon notre conception de la vie, un tournant de la civilisation, et la manifestation d’une libération totale de la société. Soyons clairs : notre but est de réfléchir à la perspective sociétale que l’adoption de cette loi traduit. Ce n’est pas un thème nouveau, mais il est nécessaire d’y réfléchir plus que jamais.
En premier lieu, il est clair que, selon la Torah, le but de la création est de « remplir la terre ». C’est ce qui est dit à Adam Ha-Richon : « Croissez et multipliez ! Remplissez la terre et soumettez-la » (Beréchit 1, 28). Et la Torah revient constamment sur le thème de la sainteté, qui doit accompagner l’instinct de reproduction : « Ne vous laissez pas entraîner par votre cœur et vos yeux… et soyez saints » (Bamidbar-Nombres 15,40). La sainteté, la pureté est le moteur de la création. Le but de l’homme sur terre n’est pas la jouissance animale, mais la jouissance n’est pas un élément défendu, si elle est liée à la sainteté, à la supériorité de l’homme sur la bête.
L’amour, selon la Torah, est à l’origine de la création. « Sur l’origine de la vie plane invisiblement le mystère de l’amour. Parmi les éléments tout-puissants de ce monde, seul l’amour a le pouvoir de faire éclore le germe de la vie… L’amour fut le premier, le plus pur et le plus merveilleux présent que D. prodigua à l’humanité » (Elie Munk – Vers l’Harmonie, p. 13). Pour transférer ce don à l’humanité, pour assurer la reproduction de l’espèce, l’amour est toujours ce moyen séducteur qui attire naturellement le masculin vers le féminin, et réciproquement. C’est la désacralisation de cette attraction qui fait de l’être humain un animal, puisque cet instinct est commun à l’homme et à la bête, dans le but de garantir la survie de la création.
La littérature mondiale a amplement développé ce thème : Tristan et Iseult, Roméo et Juliette hantent la mémoire des écoliers, et innombrables sont les romans fondés sur ces bases. La psychologie, essentiellement à la suite de Freud, voit cet instinct comme le moteur de l’activité humaine. C’est ici qu’apparaît en toute lumière, au niveau de l’être humain, la supériorité de la pensée sur la machine. L’homme utilise sa liberté, la bête vit selon son instinct. La puissance infinie de l’homme – c’est une difficulté mais c’est un atout – est de relier à l’Infini l’être fini. Cette supériorité, cet avantage, c’est la sainteté, qui n’est en aucun cas selon la Torah une ascèse, mais une acceptation – librement consentie – d’une règlementation des pulsions naturelles. A ce stade, l’homme s’élève, et donne un sens à son existence. Ce n’est pas une aspiration obscurantiste, rétrograde, que l’on veut signaler ici, mais au contraire la manière suprême de l’utilisation des forces intérieures à l’homme qui, en se contrôlant, s’élève !
Reconnaissons, bien sûr, combien notre époque, permissive, a ouvert la voie à une licence totale. Certes, certains écarts exagérés restent interdits par la société, mais une liberté totale est accordée à l’individu, face à ses pulsions. Cette libération donne-t-elle à l’homme son bonheur sur cette terre ? Arrive-t-il, grâce à cette licence, à rendre Sisyphe heureux ? Tel est le sens donné actuellement à notre civilisation. La violation des tabous imposés par les générations précédentes a-t-elle rendu notre contemporain plus satisfait ? Le vote de la PMA pour toutes les femmes ouvre-t-il définitivement les verrous que la société s’imposait encore ? Il s’agit, pour répondre à ces questions, de s’interroger sur la direction à donner à notre civilisation. Une chute morale, une catastrophe sociétale est à nos portes. Il ne s’agit pas d’effrayer mais d’ouvrir les yeux et de constater que la destruction risque de s’infiltrer à travers cette décadence. Il ne nous appartient pas de jouer les Cassandre, mais le Juif fidèle à la Torah doit se rappeler l’avertissement du Psalmiste : « Notre but sur terre est de sentir que l’on habite la maison de l’Eternel toute notre vie » (Tehillim 27, 4). Sentir que la jouissance matérielle n’est qu’éphémère, mais ressentir une satisfaction spirituelle, telle est la réalité du bonheur. Certes, il est tout à fait permis de profiter de ce monde, de se satisfaire ici-bas, mais n’oublions pas, réveillons-nous. Certes les obstacles existent, la jouissance matérialiste nous appelle et la transcendance est occultée aujourd’hui. « On a obtenu le PMA pour toutes ! » Mais où allons-nous ? Notre civilisation – moderne, ouverte – est-elle ainsi en progrès ? Si nous nous réveillons, si nous pensons à un avenir pour l’humanité, il nous faudra certes prendre conscience d’une chute, d’un recul… Mais peut-être est-ce là la voie qui doit permettre l’avènement de l’épopée messianique !