Un récent article dans la presse parisienne résume le leadership mondial, la puissance économique et militaire de notre époque, en évoquant deux « empires » qui dirigent actuellement la planète : les Etats-Unis de Trump, et la Chine de Xi Jinping, Président à vie (« Le Monde » 13/10/19). La comparaison entre ces deux personnages, « les plus puissants du monde actuel », nous invite à réfléchir sur cette « puissance », sur la signification de ce parallèle, et surtout sur l’intervention de ce concept de « puissance mondiale » dans la perspective historique, telle que la Torah la comprend. La dimension religieuse, la référence à un repère transcendant, doit nous permettre de dépasser l’instant, l’époque, pour nous situer dans un espace qui va au-delà de l’immédiateté pour s’insérer dans une vision universelle. C’est l’idéal métaphysique du Royaume, d’une ultime fin qui s’impose à notre réflexion.
Deux remarques préliminaires sont à relever aujourd’hui. Alors que la puissance s’exprimait précédemment en termes politiques essentiellement, qui se traduisait uniquement en une puissance militaire, l’époque actuelle – sans occulter, bien sûr, le vecteur militaire – se traduit sur le plan économique. Il nous est difficile d’imaginer que deux puissances colossales, comme la Chine et les Etats-Unis, ont pu parvenir à un tel degré de puissance sans qu’il y ait eu d’affrontement réel – militaire – entre ces deux pays. Une guerre réelle existe, mais c’est une guerre commerciale – « à la vie à la mort » certes ; il s’agit d’augmenter, par exemple, les tarifs de douane, de boycotter un nombre croissant d’entreprises chinoises. Que D. nous préserve d’une guerre militaire, chacune des deux puissances possédant une panoplie impressionnante d’armes nucléaires. Que la guerre reste dans le domaine économique, tel est le souhait de l’humanité. Assurément, le péril nucléaire a sauvé, depuis plus de 70 ans, l’humanité d’affrontements militaires.
Une deuxième remarque concerne l’aspect humain de cette confrontation : dans le passé, certaines régions étaient opposées à d’autres. Dans l’Antiquité, les cités grecques s’affrontaient pour imposer leur loi. Rome était la maîtresse du monde, qui s’étendait jusqu’aux îles britanniques. Alexandre ou César voulaient étendre leur empire, mais c’était bien limité dans l’espace malgré leur ambition. Plus tard, les guerres intra européennes impliquaient surtout les Européens. Certes, il y eut deux guerres mondiales, impliquant le Japon par exemple, qui s’était lié à l’Allemagne, mais le caractère global de l’affrontement n’était jamais aussi étendu qu’il l’est actuellement. L’univers entier est touché par ces conflits commerciaux, de l’Afrique à l’Asie, en passant par les deux Amériques. Ce caractère global est dû aussi à l’absence de conflits idéalistes. Ce n’est pas le désir d’affirmer une idéologie qui sous-tend les affrontements. Dans cette perspective, par contre, il est plus facile de comprendre le désir de conquérir le monde qui caractérise la version la plus radicale de l’Islam qui est, probablement, la seule à tenter de dominer la planète. « Catholique » signifiait certes « universel », mais cela n’a jamais servi de prétexte à une domination du monde. L’Inquisition imposait ses critères, mais dans les régions qu’elle régissait. De nos jours, l’implication « universelle », « globale », est plus apparente, depuis que la planète est devenue un village. A ce niveau, les conflits régionaux sont liés aux grands intérêts mondiaux. Les grands trusts internationaux dominent bien souvent les politiques nationales. A ce niveau, il est impressionnant de voir combien l’Histoire se résume aujourd’hui presque à un affrontement entre deux superpuissances qui dominent la planète.
Considérer qu’ici se situe le conflit entre deux personnages est significatif d’une époque. L’opposition entre un dictateur, victime d’une « ubris » – assurance exorbitante, démesure – insupportable, et un Président élu démocratiquement, mais capable de prendre des décisions non raisonnées, cette opposition résume parfaitement le déséquilibre de notre époque : la puissance mondiale réside entre des mains trop assurées de leur puissance ou irrationnelles. D’après le journaliste analysant cet « impossible duo », cela risque de conduire l’humanité vers une situation très dangereuse. Il écrit : « Trump a qualifié la chine de ‘menace pour le monde’, tandis que le dirigeant chinois dressait, devant un défilé de missiles, ‘l’éloge de la puissance chinoise’ », et il conclut qu’« entre la Chine de Xi et les Etats-Unis de Trump, le niveau de conflictualité monte dangereusement ».
Dans une perspective historique juive, la globalisation de l’affrontement entre empires permet de découvrir les desseins du Créateur. D’abord les empires se sont succédé dans l’Histoire, ont grandi, se sont développés et ont disparu. L’Empire ottoman, l’Empire austro-hongrois, l’impérialisme anglais ont dirigé le monde, puis ont été effacés. Les puissances matérielles sont soumises à la volonté du Tout-Puissant. Le projet divin dans l’Histoire est de construire un monde qui corresponde à l’idéal spirituel. Cependant, afin de parvenir au Royaume, fin ultime et nécessaire, des échecs sont nécessaires, car ils sont la conséquence de la liberté de l’humain. Montée et déclin, telles sont les données de l’Histoire. Le Maharal explique ainsi le Midrach qui rapporte que l’Histoire inclut les divers empires, et qui finalement s’écrouleront pour laisser la place à l’avènement messianique. Le chaos et le désarroi sont une composante nécessaire de l’œuvre de la Création. « L’esprit de D. planera sur la face des eaux » est-il écrit dans Béréchit (1, 2). La Création est en danger, parce qu’elle marque une rupture avec l’unité originelle. L’éclatement de l’absolu est nécessaire, dangereux, mais se réparera par le besoin de l’humain de retrouver son identité première. Cette explication du Midrach par le Maharal semble répondre au désarroi actuel d’une humanité ne retrouvant aucun équilibre idéologique, mais cette situation se réparera par un retour nécessaire à l’unité originelle. La globalisation actuelle peut être un danger, peut-être conflictuelle, mais ne peut-on pas espérer qu’elle annonce une époque où « l’esprit divin planera sur la face des eaux », vers une Téchouva, comparée à l’eau. La multiplicité doit s’achever en une unité bienfaisante, annonçant le Royaume divin.