« Tout est fini entre nous ! »
Dans notre société saturée de médias audiovisuels, combien de fois avons-nous entendu ces mots ? La formule est tant familière qu’on en viendrait à penser qu’un divorce se résume en effet à une tirade brève, sans réplique, lancée avec une pointe d’arrogance.
Mais non, divorcer ce n’est pas ça du tout. Et si on croit le contraire, si on veut se convaincre que l’on divorce comme dans les films, il faut craindre que l’on assimile la vie à un film.
L’acte de divorce est appelé par la Torah Séfer Kritout, un « livre de rupture » mot à mot. Rupture du mariage, c’est évident. Évidemment, vraiment ? Moins qu’il n’y paraît. Du fait que s’il doit arriver, le divorce succède immédiatement au mariage, les deux processus sont liés. Effectivement, le divorce c’est la suite logique d’un mariage qui n’est pas devenu.
Justement, comment le mariage devient-il ? Qu’est-ce qui lui donne l’occasion de s’épanouir ? Peut-être rien, après tout. Peut-être le mariage s’épanouit-il de manière autonome, laissant les époux profiter gratuitement du film de leur bonheur sur un grand écran, tranquillement installés dans leurs fauteuils ? Tel est bien le cas… au début, du moins. Dans les premiers mois suivant la 'Houppa, les époux n’ont littéralement rien à faire. L’amour, en plus d’être délicieusement intense, est naturel. Il est là, tout prêt, disponible en abondance, et nécessite pour seul effort le fait d’y goûter.
Si l’amour qui abreuve le couple durant cette période féerique est gratuit, c’est que D.ieu lui en fait don gracieusement. Pour cette raison, on l’appelle « 'Hèn », « la grâce » en hébreu. Mais nous allons comprendre que ce sentiment n’est pas l’amour, même si beaucoup d’entre nous aimeraient que l’amour ne soit que cela…
Le bonheur des premiers mois du mariage n’est pas fait pour durer. Il serait plus juste de dire que sa fonction est précisément de ne pas durer. Pendant la période où le couple profite de cette impulsion providentielle, il visionne donc, passif, détendu, heureux, le film de sa propre béatitude. Un jour, le 'Hèn commence à donner des signes de faiblesse. Alors commencent les premières disputes, les accrochages au sujet de défauts jamais décelés auparavant. Puis, le 'Hèn disparaît totalement. Les lumières s’allument alors, obligeant les époux à réaliser soudain que le film est terminé. Et si par malheur leur vie à deux n’a été que ce film, leur mariage s’arrête à son tour. Ils divorcent.
Dans ce cas de figure, le plus tragique n’est pas qu’un couple se soit séparé. Le plus tragique, c’est qu’il n’ait jamais été marié. Une fois pour toutes, il faut réaliser que le mariage n’est pas un état de fait, mais le résultat d’un effort commun. Essentiellement, on n’est pas marié : on le devient.
En ce cas, comment aider le mariage à devenir ? La réponse peut nous être inspirée par le conseil de nos Sages : « Sois effronté comme le léopard […] et puissant comme le lion » (Avot 5,20). Il est ici question de deux types de forces complémentaires, que l’homme doit développer dans la vie en général, et dans la vie conjugale en particulier.
Le 'Hèn, cette agitation émotionnelle intense mais courte, peut ôter toute initiative à l’époux puisque, nous l’avons souligné, grâce à ce sentiment, son couple marche tout seul. Or, la force du léopard, c’est l’effronterie. C’est une force brute, brusque même, capable de tirer l’époux de sa léthargie. Durant la grâce du début du mariage, il est en effet temps de sortir du cycle de la facilité pour planter les jalons des quelques dizaines d’années à venir. Il faut oser rejeter la facilité, presque effrontément, pour se consacrer aux grands principes d’un mariage réussi : reconnaître son conjoint, lui ménager une place, assumer sa propre place afin de ne pas l’obliger à en occuper deux, deviner ses besoins, partager sur la base de ce que l’on a en commun, être prodigue en compliments, avare en reproches, et, s’ils doivent être dits, les exprimer en prenant soin qu’ils ne blessent pas.
Ces chantiers impressionnants, ces chantiers d’une vie (de couple), le léopard ne peut les supporter. Si un effronté peut exprimer sa force brièvement, il est incapable de la renouveler afin qu’elle ne faiblisse pas. Certains appellent ceci la force tranquille, nos Sages parlent de la force du lion. Ainsi, une fois arraché à l’envoûtement 'Hèn et à l’immobilisme doucereux auquel il incite, il est temps de travailler à son bonheur futur. Il est temps de s’investir comme un lion au risque que, pour paraphraser une fable célèbre, le léopard se trouve fort dépourvu quand le 'Hèn aura disparu.
L’époux avisé, tout en goûtant au charme si agréable des premiers mois de vie conjugale, prépare déjà la suite, sachant pertinemment que le mariage est une construction commune constante, dont D.ieu facilite le début. Tout en étant perpétuelle, cette construction n’est pas pour autant un travail sans fin, éreintant, désespérant. On profite de son fruit en son temps (Téhilim 1,3) et régulièrement. Ce fruit délicieux qui se mange à deux, la Torah l’appelle « amour »…
Et si, hélas, les époux ne veulent pas comprendre cela, à quoi ressembleront-ils quand ils penseront divorcer ? À deux êtres qui voudraient se séparer alors qu’ils n’ont jamais tenté de se réunir. Ce serait presque amusant, si ce n’était pas tragique ! Peut-être le divorce viendra-t-il, peut-être même sera-t-il inévitable : nous traiterons la question dans une seconde partie. Pour l’heure, concluons en disant qu’avant de s’investir dans le divorce, il faut s’être investi dans le mariage.