Il y a 5 ans, je me suis remariée alors que j’avais abandonné tout espoir d’être aimée et d’aimer en retour. J’avais connu un premier mariage chaotique qui m’a laissé durant de longues années des plaies ouvertes qui n’arrivaient pas à cicatriser. Lorsque j’ai mis un terme à cette union qui me faisait plus de mal que de bien, ma plus grande appréhension était de savoir si je trouverais un homme qui aimera mes enfants autant que moi je les aime. Pendant de longues années, je passais de désillusion en déception. J’observais les familles recomposées et je me rendais à l’évidence : on était loin du schéma de la famille traditionnelle, ça y ressemblait peut-être de loin, mais certainement pas de près.
Il n’y a qu’un père pour apprendre à son enfant à ne pas faire les mêmes erreurs que lui, à être fort face au monde, il n’y a qu’un père pour avoir confiance et peur à la fois. Il n’y a qu’une mère pour ressentir les douleurs de ses enfants dans son propre corps, pour retenir sa respiration lorsque son enfant s’apprête à franchir un cap, il n’y a qu’une mère pour pleurer à chaque réussite de ses petits. Je regardais ces familles recomposées et je me rendais compte qu’il manquait quelque chose, qu’il s’agissait d’un puzzle rassemblé maladroitement, on voyait encore les démarcations entre chacune des pièces. Il manquait le ciment naturel qui soude une famille qui se construit ensemble. Des vrais frères et sœurs, même s’ils se chamaillent et se disputent, seront toujours là les uns pour les autres en cas de coups durs. Il manquait les regards complices entre le père et la mère lors du spectacle de fin d’année de leur dernière ou de la présentation du mémoire de leur aîné, ces regards emplis de fierté qui disent « c’est le fruit de notre travail commun ».
C’est vrai, ce ciment n’est pas inné, mais il peut se créer. Dans mon second mariage, j’ai vu ce ciment naître lorsque nous avons eu des enfants en commun. Ce sont eux qui nous unissent, ce sont eux qui ont fait de notre famille une vraie famille traditionnelle, ce sont eux qui ont ranimé nos regards complices emplis de fierté, et ce sont également eux qui ont ranimé cette angoisse permanente qui fait des parents ce qu’ils sont. Et plus que tout, ce sont eux qui ont donné l’envie à leurs « demi-frères et sœurs » de faire partie intégrante de cette famille. Nous ne vivions plus en cohabitation, nous étions liés, le bonheur de l’un importait plus que jamais à l’autre et il n’y avait plus de « clans » famille de maman et famille de papa.
Nous étions devenus une famille traditionnelle améliorée je dirais, car mon mari et moi étions conscients de la fragilité de ce que nous avions entre les mains. Nous avions assisté à l’explosion de nos deux familles qui avaient volé en éclats en faisant des malheureux de tous les côtés. Nous savions contre quoi nous nous battions, nous savions ce que nous voulions fuir et nous étions très vigilants lorsque nous sentions notre embarcation s’aventurer dans des eaux troubles qui nous étaient beaucoup trop connues, malheureusement.
Pour les enfants de nos premiers mariages respectifs, nous nous sommes fait aider pour savoir comment les approcher, nous voulions les mettre à l’aise sans les brusquer, nous ne voulions pas les déstabiliser davantage. Ces enfants avaient déjà tellement souffert, ils avaient droit à une pause dans leur malheur, ils avaient droit eux aussi à la vie insouciante de tous les enfants du monde. Nous avons, mon mari et moi, fait preuve d’énormément de patience à leur égard et doucement, doucement, tout s’est fait avec amour et diplomatie. Personne n’a pris la place de personne, nous avons créé des places qui n’ont pas lieu d’être dans une famille classique, nous avons même créé des sentiments qui n’ont pas lieu d’être dans des familles classiques, un subtil mélange d’amour, de respect, de compréhension, de partage et de confiance. Dans une famille recomposée, une maman ne peut pas se contenter d’aimer comme une maman traditionnelle, elle doit prouver à l’enfant qu’elle a en face d’elle, qu’elle le guidera s’il en a besoin, et qu’elle sera toujours là pour lui les fois où il en aura envie. Elle respecte si l’enfant n’est pas prêt, elle patiente avec bienveillance. Son amour est mis en veille jusqu’au jour où le petit se sent fin prêt à l’accepter.
Finalement, aujourd’hui, lorsque je regarde ma famille, je nous trouve tout ce qu’il y a de plus traditionnel. Nous rencontrons des divergences comme dans toutes les familles et nous apprenons à les affronter avec respect et compréhension. En fait, l’amour qui lie les membres d’une famille recomposée est un amour conscient et contrôlé. Conscient de ce qui peut nous être retiré à chaque instant, et contrôlé pour ne jamais envahir ni l’espace ni le temps de l’autre.