“AU LIT !!!! TU ATTENDS UNE INVITATION PAR LA POSTE POUR FAIRE TES DEVOIRS ??? LÂCHE LES CHEVEUX DE TA SŒUR. UN DE CES JOURS SA COUETTE VA TE RESTER ENTRE LES DOIGTS. VOUS ALLEZ ME TUER ! J’EN PEUX PLUS !!!”
Ajoutez-y le maximum de décibels et vous voici au beau milieu de mon salon pour la projection de « Maman perd le contrôle sous les yeux ahuris de sa progéniture ». Vous avez raté la séance de ce soir ? Ne vous en faites pas, il y aura une rediffusion tous les soirs de la semaine, du mois, même heure, même lieu.
Je sentais petit à petit que ma maison s’imprégnait de colère et de nervosité, et ce qui était auparavant un refuge de sérénité, devenait un ring de boxe où tous les coups étaient permis.
Je déplorais le fait de toujours avoir à crier, punir, séparer. Je regrettais ce temps où je les appelais tous de leur chambre pour les réunir dans le salon pour discuter, échanger, rire, chanter, danser. Aujourd’hui, j’en étais arrivée à les disperser chacun dans un autre coin de la maison pour ne pas avoir à supporter toutes les crises et caprices en même temps. Je n’étais qu’un être humain et je ne pouvais pas gérer autant de négativité d’un coup. Le moment que je redoutais le plus était le retour d’école qui devenait cauchemardesque et transformait ma maison en commissariat. Je tenais le rôle du shérif et je disposais d’une seule arme pour faire régner l’ordre : mes cordes vocales.
J’étais consciente de cette déchéance, mais le vrai électrochoc a été ce vendredi, lorsque j’ai entendu ma fille de 5 ans jouer à la maman. J’avais été attendrie par son annonce « maman je vais jouer à TOI ». Je suis vite redescendue de mon nuage. À peine avait-elle rejoint sa chambre que j’entendais des hurlements, plus précisément des sons hystériques d’animaux entrecoupés par des mots humains comme “ARRÊTE” “REVIENS” “STOP” “CHUTTTTTTT”. Je m’étais mise à croire naïvement qu’elle avait décidé de changer de jeu, mais j’ai dû me rendre à l’évidence. Ma fille m’imitait, et elle m’imitait plutôt bien. Mes grands oscillaient entre un mi-fou rire et un mi-on se retient de peur que maman nous en colle une. Par contre, moi, je n’ai pas pu retenir les larmes qui sont venues en masse, inonder mes joues.
Quand ? A quel moment j’avais basculé ? Moi qui aimais rire avec eux, je ne supportais plus rien aujourd’hui.
Je ne voulais plus de cette vie, ni pour moi, ni pour mes enfants. Il était temps de changer. Je me suis alors isolée et j’ai séché mes larmes. L’heure n’était plus à l’énervement ou au désespoir, elle était à la réflexion, et surtout à l’action.
Je me suis plongée dans mes souvenirs. Je voulais me rappeler pourquoi et comment j’avais décidé de fonder une famille. Le tableau était clair. J’étais la dernière d’une fratrie de six enfants. J’ai donc été la tata-maman de tous mes neveux et nièces. Je n’avais plus avec qui jouer à la maison alors je passais le plus clair de mon temps avec les enfants de mes frères et sœurs. Je m’en occupais tout en m’occupant de moi-même tout compte fait. Sous le couvert de la baby-sitter, je pouvais me plonger dans tous les jeux d’enfants qui me faisaient tellement plaisir. Puis, je suis devenue la baby-sitter de mon quartier. Les mamans se disputaient mes services, les enfants m’adoraient, et je ne vous cache pas que je les adorais en retour.
Je venais de mettre le doigt sur le problème actuel. J’avais oublié la partie plaisante dans le fait de s’occuper d’enfants. J’avais noyé les rires et les jeux dans les responsabilités et les devoirs. En devenant maman, je m’étais programmée en mode robot, j’avais une liste de tâches à accomplir, mon enfant devait être calme, il devait parler avec respect, demander la permission, obéir, être propre… J’en oubliais que mon enfant était surtout et avant tout mon enfant, un petit être à aimer qu’Hachem m’a confié avant toute autre chose.
Une maman doit certes éduquer et inculquer à ses enfants des valeurs qui les accompagneront toute leur vie et qui feront d’eux des adultes équilibrés et bien dans leur peau. Mais toutes ces valeurs prennent une dimension tellement plus noble lorsqu’elles sont transmises avec amour.
Lorsque je "baby-sittais", je n’avais pour objectif que de divertir les enfants et veiller à leur sécurité pendant quelques heures. Je savais qu’à l’issue de la soirée, je rejoindrais mon domicile avec mes préoccupations d’adolescente. Je ne me chargeais donc pas de la lourde responsabilité d’en faire des gens bien sous tous rapports. Et c’est ainsi que ma réputation me précédait. J’étais pleine de réussite car je restais légère.
Dès qu’on porte une lourde charge sur ses épaules, on ne pense qu’à la difficulté, notre esprit est obsédé par cette charge et nous n’arrivons plus à penser à quoi que ce soit d’autre. On n’attend qu’une seule chose, le moment où l'on pourra la déposer à terre. On est courbé, les yeux rivés sur le sol, on ne profite même pas des magnifiques paysages que nous traversons.
Avoir des enfants ne doit certainement pas s’apparenter à un fardeau. Les enfants sont pleins de vie, de joie, de rires, de bonne humeur. Il est vrai que, quand ils grandissent, ces rires sont parfois troqués par une crise d’identité, ou des propos insolents. Mais si le parent reste léger, la tête hors de l’eau, ces crises passagères sont traversées rapidement et main dans la main avec l’enfant. Alors que si le parent est déjà noyé au quotidien, comment voulez-vous qu’il soutienne son enfant lorsqu’il rencontrera une difficulté ? Il ne le remarquera peut-être même pas s’il focalise en permanence sur sa charge à lui.
Ce soir-là, j’ai eu une idée, je voulais devenir la baby-sitter de mes enfants. Je les ai rejoints, j’ai mis la musique à fond, et j’ai dansé et ri à gorge déployée comme pour rattraper le retard. Mes enfants ne se sont évidemment pas fait prier pour faire la fête avec moi. Ce soir-là, la maison était encore plus bruyante que d’habitude, mais c’était un bruit tellement doux à mes oreilles. J’avais retrouvé la télécommande et j’étais bien décidée à rester connectée sur la chaîne du bonheur pendant de longues années. Au moment d’aller dormir, ma fille de 5 ans m’a chuchoté à l’oreille « maman, je l’aime ce nouveau TOI ».
Ne passons pas à côté du plus précieux des cadeaux que l’Eternel nous a donné, NOS CHERS ENFANTS !!!