Dimanche dernier, nous avons organisé une petite fête à la maison pour célébrer nos 25 ans de mariage. Quelque chose de simple, sans prétention, entourés de nos deux familles et de quelques amis proches. À la fin de la journée, alors que nous étions en train de redonner un aspect plus civilisé à notre domicile, mon mari m’a avoué être fatigué et avoir besoin de s’allonger un instant. Son attitude m’a étonnée. Généralement, c’est moi qui l’abandonne au milieu des tâches. Son père, qui est médecin généraliste, était encore là, D.ieu merci. Je l’entends encore crier : « Becky, arrête tout ce que tu es en train de faire et appelle une ambulance. On part aux urgences. » Évidemment, je m’exécutai sans comprendre et sans poser de questions. Quelques minutes après, mon mari était pris en charge par une équipe de médecins de l’hôpital, il avait fait un AVC.
Je ne comprenais pas ce qui se passait. J’avais l’impression de regarder un film, sauf que j’en étais l’actrice principale. Je me rappelle ne même pas avoir pu pleurer ou parler. L’angoisse avait noué tous les membres de mon corps. Mes yeux fixaient, mais je ne voyais rien, mes oreilles entendaient, mais je n’écoutais pas. Mon corps était présent, mais mon esprit était ailleurs, je ne sais même pas où était mon esprit d’ailleurs, mais il ne voulait pas être là. Il ne voulait pas comprendre.
Mon monde s’écroulait. 25 ans que je partage ma vie avec cet homme, 25 ans que je lui ai offert mon cœur en gage, je ne sais pas vivre sans lui, je ne veux pas savoir ! Voilà les mots qui retentissaient à mes oreilles alors que tout le monde courait autour de moi, s’affairait, alors que les coups de téléphone fusaient, alors que les gens m’étreignaient, moi, je ne faisais que penser : « Je ne peux pas vivre sans lui. »
Mon mari avait 45 ans, il ne fumait pas, ni ne buvait, il faisait du jogging dans le parc tous les dimanches et nous faisait constamment la chasse aux cochonneries à moi et aux enfants. Ma tête bourdonnait à plein régime. Comment a-t-il pu avoir un AVC ? Pourquoi lui ? Pourquoi comme ça ? Pourquoi maintenant ? Je suis perdue sans lui (étonnamment, je me suis mise à penser entre autres choses aux factures, je n’avais jamais voulu apprendre et je le voulais encore moins aujourd’hui, je voulais qu’il continue à faire tout ce qu’il avait l’habitude de faire jusqu’à 120 ans).
Je l’ai connu alors que j’avais 18 ans, nous allions marier notre aînée l’été prochain, j’avais besoin de lui, il était ma force et mon pilier, il n’était pas question que je continue ma route sans mon mari à mes côtés. J’aimais le taquiner en lui disant : « Tu es unique, tu m’écoutes me plaindre toute la journée sans même sourciller. » Mais en fait, c’était exactement ça, il m’écoutait et me déchargeait et je pouvais ainsi reprendre mon chemin plus légère. Nous nous accrochions par moment comme tous les couples, qu’est-ce que je peux regretter ces instants passés à crier ou à bouder. Je veux qu’Hachem me rende ces instants et qu’Il m’en offre encore plein d’autres. Même si nous avions des hauts et des bas, je n’aurais jamais voulu vivre ces moments avec quelqu’un d’autre que lui.
J’avançais dans un couloir noir, j’étais perdue. Je n’entendais pas tout ce qui se disait autour de moi, j’étais comme une fillette abandonnée. Puis, je me suis souvenue de ce que mon papi me disait toujours : « Ma fille, lorsque tu sens que tu es seule, et que tu as perdu tout espoir, il reste la prière. Lui sera toujours là pour toi, Il peut tout, n’hésite jamais à Lui parler. » C’est ce que j’ai fait avec modestie et simplicité. Dans une supplication silencieuse, je L’implorais de me rendre mon oxygène, de guérir mon mari, de me réveiller de ce cauchemar. Je regrettais de ne pas avoir apprécié à leur juste valeur ces 25 années, 25 années de bonheur, d’amour, de rires. Je ressentais alors la vérité de cette phrase qui dit que l’air est tellement banal qu’on ne se rend pas compte de son importance jusqu’à ce qu’on en manque. J’étais en vrai manque d’air, je suffoquais de l’intérieur. Je parlais aussi au nom de mes enfants qui adoraient leur père et à qui je ne voulais absolument pas apprendre à vivre sans. Je voulais tout leur apprendre dans la vie, sauf ça. Je me sentais amputée de ma moitié, et mon autre moitié, celle qui restait collée à moi, me faisait atrocement mal.
D.ieu, Toi qui peux tout, rends-moi mon monde !
Alors que je finissais de prononcer ces mots, un docteur s’avança vers nous et, avec une voix que je n’oublierai jamais, a proclamé ma deuxième naissance : « Vous avez été aidés, nous n’étions pas seuls dans la salle d’opération, votre mari est sauvé. »
Merci Roi de l’univers !