L’une des questions qui préoccupèrent Batia et Gabriel à l’aube de leur vie commune fut celle du lieu où ils allaient habiter. Plusieurs critères étaient à prendre en compte : leur lieu de travail respectif, leurs familles qui n’habitaient pas au même endroit, le prix du loyer, etc. Finalement, leur choix se porta sur un petit studio à proximité des parents de Gabriel, avec lesquels Batia s’entendait à merveille et qui pourraient les aider tout au moins dans les premiers temps.
Si, au début, ce choix s’avéra judicieux, il n’en fut pas de même au fur et à mesure que les années passèrent… Les parents de Gabriel rendaient visite au jeune couple de plus en plus souvent (généralement, à l’improviste), leurs appels devinrent une habitude journalière, et Gabriel se mit à impliquer ses parents dans tous les aspects de sa vie, même ceux qui ne regardaient que son couple. Il prit lentement la mauvaise habitude de consulter sa mère pour un rien, avant même d’avoir évoqué le sujet avec sa femme. De plus, avec le temps, le regard critique de la mère de Gabriel se fit de plus en plus sentir, ou, pour reprendre les mots de Batia : « À chaque visite, je sentais que l’on m’observait à la loupe pour repérer la moindre faille.» C’est ainsi que leur relation de couple se détériora peu à peu…
Un autre point de vue
Pas besoin d’être prophète pour deviner l’inconfort et l’étonnement dans les yeux de Gabriel au fur et à mesure que son épouse exposait ses griefs contre lui. Je n’avais aucunement l’intention de balayer les sentiments de Batia d’un revers de main, mais il m’importait à ce stade de l’aider à envisager la situation d’un autre point de vue, celui de Gabriel : « Je comprends parfaitement votre sentiment et votre difficulté à accepter cette situation au quotidien. Vous vous sentez reléguée dans un coin, qui plus est, au sein de votre propre foyer ! D’un autre côté, vos parents, Gabriel, sont animés de bonnes intentions et ne souhaitent que votre bien, ainsi que celui de votre épouse. Comprenez, Batia, que votre mari se trouve déchiré entre deux volontés, celle d’honorer ses parents, et celle de vous satisfaire. Il aimerait tant y parvenir, mais c’est impossible. Pour lui, c’est comme se trouver entre le marteau et l’enclume ! Batia, essayez pour quelques minutes de vous mettre à la place de votre mari ; essayez de comprendre le dilemme qui l’habite et qu’il ne parvient pas à résoudre. Il aimerait tant honorer ses parents et vous rendre heureuse en même temps. »
Grâce à D.ieu, son cœur s’ouvrit à mes paroles, et je sentis qu’elle était enfin prête à envisager le problème sous un autre angle. Il m’importait de lui faire comprendre la position de son mari, qui lui aussi souffrait et était déchiré entre deux amours qu’il considérait comme incompatibles. Je savais que c’était là le préambule à toute tentative d’assainir le terrain.
Chaque chose à sa place
Une fois leurs écoutilles – et leur cœur – grandes ouvertes, je leur expliquai combien la Mitsva d’honorer ses parents était grande. J’insistai sur la récompense et les bienfaits qui étaient réservés à ceux qui, bienheureux, avaient l’extraordinaire mérite de l’accomplir comme il se doit. Mais, ajoutai-je, il arrivait souvent que cette grande Mitsva entre en concurrence avec une autre obligation de la Torah, et non des moindres, celle de construire sa cellule familiale sur des bases saines.
Puis, m’adressant à Gabriel sans en avoir l’air, j’insistai sur le fait que les femmes ont un besoin absolument vital de se positionner en première place sur la liste des priorités de leur époux, et qu’aucune femme au monde ne pouvait accepter d’être reléguée en seconde place derrière une autre femme, qui plus est sa propre belle-mère. En parlant de la sorte, mon but caché était d’amener en finesse Gabriel à comprendre qu’il était impératif pour lui de redonner à son épouse la place qui lui revenait de droit. Je lui expliquai qu’il allait devoir redessiner la limite entre les besoins de son épouse et ceux de ses parents, tout en veillant à continuer de les honorer, ainsi que la Torah nous l’ordonne.
La femme en « number one »
Lors de ce long entretien, Gabriel changea lui aussi peu à peu son regard sur la situation. Si, en arrivant, il était convaincu du fait que l’omniprésence de ses parents dans sa vie était positive, qu’elle n’était en rien dérangeante, si ce n’était pour sa femme qui y trouvait à redire, il accepta peu à peu l’idée qu’une telle ingérence puisse effectivement être parfois toxique pour son couple, et qu’il n’avait peut-être pas su offrir à sa femme la place qui lui revenait. Il réalisa qu’avec le temps, il avait laissé ses parents s’immiscer outre mesure dans son couple, et qu’il avait à son tour développé une sorte de dépendance à leur égard, alors même que c’est le processus inverse qui aurait dû s’accomplir, ainsi que l’enjoint la Torah (Béréchit 2,24) : « C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère pour se lier à son épouse ; et ils ne formeront qu’une seule chair ».
Les règles de l’art
Ensemble, nous avons fixé quelques règles afin de définir quand et comment les parents de Gabriel pouvaient offrir leur aide et leur rendre visite. Plus globalement, nous avons établi les critères de ce qui pouvait être considéré comme une aide précieuse, ou, au contraire, une ingérence nocive. Gabriel a pris sur lui différentes résolutions visant à faire de sa femme le centre de sa vie et à renforcer le lien qui les unit. Batia, pour sa part, a appris à comprendre son mari et les difficultés qu’il pouvait ressentir dans certains domaines, et à le juger avec davantage de bienveillance.
Aujourd’hui, avec l’aide du Ciel et beaucoup de bonne volonté, Gabriel et Batia forment un couple heureux. Gabriel a appris à redéfinir ses priorités et a compris le poids de la responsabilité qui pesait sur lui, en tant que père de famille d’une part, et fils de ses parents, d’autre part. Batia, quant à elle, a retrouvé le sourire...
Rav Eliahou Naccache