La déception ressentie après qu’une amie ait été désagréable envers moi doit-elle entamer la confiance que j’avais en elle ?
Avant toute chose, même si cela pourrait sembler évident, il faut préciser que, sans être obligatoire, la déception est prévisible dans le cadre d’une relation de confiance. Essayons de comprendre pourquoi.
Ce que l’on nomme « Emouna » en hébreu, et que l’on traduit par « foi » ou par « confiance », dépasse la notion de croyance en D.ieu. La Emouna, c’est le lien invisible qui rattache l’individu à ce en quoi il croit. Il peut s’agir d’un autre individu, d’une circonstance, d’une idée. Il peut même s’agir d’une belette et d’un puits, dont deux fiancés firent les témoins de leurs épousailles avec conviction (voir Ta'anit 8a).
Or, la foi a la faculté étonnante de renforcer et de perpétuer ce qu’elle vise. Ceci explique que la déception soit proportionnelle à la foi. Par exemple, croire en quelqu’un lui confère une importance telle que si la confiance devait être rompue, le malaise serait d’autant plus tenace.
Ceci étant souligné, j’en viens à votre questionnement.
Un principe général guide les relations humaines : « Juge tout homme favorablement » (Avot 1,6). Juger l’autre favorablement ne signifie pas l’excuser quoi qu’il ait fait, ni faire comme s’il n’avait rien fait, dans un aveuglement forcé peu compatible avec ce que la Torah attend du Juif : de la conscience. Juger favorablement c’est accepter que les agissements d’autrui, même si on ne les comprend pas, même s’ils dérangent, sont motivés par une raison. C’est accepter qu’il y ait du sens à ce que l’on voudrait balayer d’un revers de main. Et s’il y a du sens, en d’autres termes, s’il existe une étincelle de vérité, on a le devoir de la chercher ! La vérité est si précieuse qu’elle mérite bien quelques efforts…
Aussi, il me semble que la première question suite à votre déception devrait être la suivante : « Qu’est-ce qui a motivé mon amie à agir de la sorte ? ». Cette question, notez-le, modifie sensiblement votre posture face à la déception. Vous passez de la rigueur, par exemple perceptible dans la méfiance et le ressentiment à l’égard de votre amie, à un questionnement plus bienveillant. Vous vous posez en fait la même question, mais au lieu de la centrer sur vous (« Comment a-t-elle pu oser me faire cela ? »), vous la tournez vers elle (« Quel motif a pu la pousser à faire cela ? »). Là réside l’enjeu d’un jugement favorable : s’intéresser à l’autre au point de chercher son bien y compris dans sa propre contradiction qui, de surcroît, nous blesse.
Prenons l’exemple d’un enfant turbulent dont les professeurs se plaignent régulièrement. On le sermonnera, on le punira, on l’inscrira à des activités sportives, on le changera d’école, on le confiera à un thérapeute pour soigner son hyperactivité. Mais qui ira imaginer que l’enfant se fait remarquer à l’école justement parce qu’il n’est pas remarqué à la maison ? Et s’il voulait tout simplement transmettre un message qui masque une souffrance, un message au travers duquel il demanderait un peu d’attention de la part de ses parents ?
Cet exemple nous aide à formaliser une interrogation nouvelle face à la déception infligée par votre amie. « A-t-elle voulu me transmettre un message, même s’il est maladroit ? ». Et, plus noble encore : « A-t-elle besoin d’aide ? ».
Je puis vous garantir que si ces questions traduisaient la réalité et que vous agissiez en conséquence, votre amie aurait pour vous une reconnaissance toute particulière. Vous lui donneriez le plus beau cadeau que l’on puisse offrir à son prochain : diminuer son ego pour mieux laisser le sien s’exprimer. En d’autres termes, utiliser son existence pour aider l’autre à exister.