La réponse tient en ces mots : puisque cette déception personnelle est voulue par D.ieu, pourquoi ne pas l’accepter avec foi ?
Je pourrais m’en tenir là, car tout est dit. Seulement, je ne le ferai pas, pour la simple raison que cette réponse a un défaut majeur : elle est vraie. Elle est si purement vraie, qu’elle reste inaccessible à la plupart d’entre nous. Il est entendu que l’homme doit s’habituer à penser que tout ce que D.ieu fait, Il le fait pour le Bien. Ainsi s’exprime le Choul'han 'Aroukh qui, au passage, expose très rarement ce genre de propos relevant plus du Moussar (Pensée juive) que de la Halakha (Loi juive).
Soyons réalistes. Assurer à une personne en quête de réconfort après une déception personnelle que telle est la volonté de D.ieu, c’est risquer de manquer cruellement de tact. Une telle réponse ne la rassérénera pas, car, en général, la souffrance coupe en quelque sorte l’homme de D.ieu. Non pas que D.ieu soit moins proche, puisqu’au contraire D.ieu est proche des cœurs brisés (Tehilim 34,19). C’est plutôt l’homme qui s’éloigne alors de D.ieu, comme en atteste la tragique histoire de Iyov.
Dans cette optique, j’aimerais développer une idée peut-être plus accessible. Il est entendu que les déceptions dont il sera question en filigrane ne sont pas de ces déceptions traumatisantes, mais restent relativement gérables.
Cette idée, c’est l’anticipation de la déception. En grammaire, une phrase interrogative dont la réponse est soit oui, soit non, s’appelle une interrogation totale. Au quotidien, nous soumettons sans arrêt des interrogations totales aux événements ou aux gens, tout en faignant d’oublier que leur réponse peut être « oui » ou… « non ». Tout se passe comme si nous interrogions la vie tout en exigeant d’elle la seule réponse qui garantisse nos intérêts. Et quand la réponse n’est pas celle attendue, nous sommes déçus.
Prenons l’exemple d’un employé (appelons-le Chim'on) qui, avisant un stylo-plume sur la table de son collègue (appelons-le Levi), demande : « Peux-tu me prêter ton stylo ? ». C’est une interrogation totale. Levi peut répondre « oui », comme il peut répondre « non ». Levi peut même avoir d’excellentes raisons de répondre « non ». Imaginons que le stylo-plume ne lui appartienne pas. La responsabilité de Levi ne serait-elle pas de le rendre à son propriétaire en bon état ? Imaginons que Chim'on endommage la plume : Levi serait tenu pour responsable.
Ainsi, Levi refuse de prêter son stylo. Quant à Chim'on, il refuse ce refus ! C’est qu’il avait déjà programmé son refus en décidant que son interrogation totale n’en serait pas une. Chim'on voyait déjà le stylo-plume dans sa main. Si en apparence il posait une question, dans la réalité il attendait une réponse. C’est justement cette posture paradoxale qui, d’emblée, préparait la déception.
D’ailleurs, la déception n’en restera généralement pas là. Chim'on pourra nourrir de la colère ou du ressentiment, répéter à qui veut l’entendre que Levi n’est pas prêteur, se venger de lui à la première occasion, entretenir une haine qui justifiera plus de mal encore… la liste des transgressions de la Torah est longue. Pourquoi cette escalade ? Parce que Chim'on n’était pas prêt à entendre « non ».
Cet exemple peut faire sourire. Mais en y songeant, bien des Chim'on et des Levi apparaîtront autour de nous. Peut-être même nous reconnaîtrons-nous en Chim'on ?
Le meilleur conseil pour rebondir après une déception est donc d’éviter qu’elle ne survienne ! Ou, plus subtilement, d’éviter qu’elle ait une emprise si toutefois elle devait survenir. Pour cela, il importe de l’anticiper. Quand nous projetons notre volonté dans le monde, il faut s’attendre à ce qu’il offre une sorte de « résistance » et ne s’organise pas selon notre volonté. Quand nous tentons d’imposer notre règle au monde, gardons en tête qu’il a aussi les siennes, et que la réponse à la question que nous lui posons (voire lui imposons) peut être différente de celle que nous attendons.